L'eau du robinet, une "dépense contenue" mais plus pour longtemps, estiment les professionnels de l'eau

Les Français, qui se disent satisfaits à environ 90% de leur eau du robinet malgré quelques inquiétudes, vont devoir s'habituer à "des prix du service de l'eau amenés à augmenter", prévient la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E) qui a présenté ce 5 décembre son huitième rapport sur les services publics d'eau et d'assainissement.

La Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E) a présenté ce 5 décembre, en présence d'élus, de représentants agricoles, de consommateurs, d'autorités sanitaires et de chercheurs, la huitième édition de son rapport sur les services publics d'eau et d'assainissement.

Réalisée par le cabinet d'audit BDO, l'étude chiffre à 0,8% la part que les ménages français consacraient à l'eau dans leur budget en 2021 (348 euros/an en moyenne). "Des dépenses contenues", souligne l'étude, et une eau parmi les moins chères d'Europe selon le service public d'information Eau France.

Comportements plus sobres

L'étude note aussi le comportement plus économe en eau de la part de la population, par rapport à la décennie 2000. En 2021, une majorité de départements (68%) a eu une consommation d’eau inférieure à la moyenne de 179 litres/jour/habitant, avec toutefois des différences marquées entre territoires -  120 litres journaliers étaient consommés dans le Doubs (64% de représentativité), près de deux fois plus dans l’Aude (227 litres journaliers pour 58% de représentativité) et plus de 2,5 fois plus en Haute-Garonne (338 litres journaliers pour 72% de représentativité).

Avec le plan Eau de mars 2023, dont l'objectif est d'accompagner la myriade de collectivités gérant les services d'eau (13.850 en 2021), l'objectif du gouvernement est d'affirmer la tendance à la sobriété en parvenant à au moins 10% d'économies d'eau d'ici 2030.

"Cette réduction des volumes, c'est ce que nous attendions tous collectivement", a souligné mardi le directeur général Eau France de Suez, Arnaud Bazire, président de la FP2E depuis juillet. Mais "si les volumes continuent à décroître, cela pose un problème sur la façon de pérenniser le financement du réseau", a-t-il prévenu. Dans un avis voté ce 29 novembre, le Conseil économique social et environnemental (Cese) parle lui aussi de hausse "inéluctable" du prix de l'eau (lire notre article).

Pressions de plus en plus fortes sur la ressource

D'autant que le secteur s'estime "en première ligne" du changement climatique qui rend l'eau plus rare, pèse sur sa qualité et aiguise les conflits entre usagers. En 10 ans, plus de la moitié des départements métropolitains (51) ont subi une diminution supérieure à 5% du débit annuel moyen de leurs cours d'eau, souligne le rapport de la FP2E. En 2022, sept Français sur dix craignaient de manquer d'eau dans leur région, contre 37% il y a douze ans. Fait nouveau, pour 11% d'entre eux, cette crainte porte sur un horizon proche (5 à 10 ans). La qualité de l'eau est aussi une préoccupation pour trois Français sur 4 qui pensent que les ressources sont polluées. Ce qui ne les empêche pas d'avoir confiance dans l'eau du robinet – 9 Français sur 10 – et d'en boire tous les jours (7 Français sur 10). 8 Français sur 10 sont même prêts à consommer des légumes arrosés par réutilisation d'eaux usées traitées (REUT).

L'étude chiffre le volume d'eau prélevé pour la production d'eau potable en France métropolitaine à 5,3 milliards de m3 en moyenne depuis 2012, soit 220 litres par jour et par habitant en 2021. Cela représente 500 millions de m3 de moins en moyenne que dans les années 2000 alors que la population augmente chaque année, souligne le document.

Mais ces volumes moyens prélevés pour les usages domestiques sont inégalement répartis sur le territoire métropolitain, allant de 119 litres dans le département du Nord à plus de 500 litres dans les Hautes-Alpes ou dans l’Yonne, indique le rapport. "Ces différences s’expliquent par des caractéristiques locales de consommation (en raison de conditions climatiques, de localisation des populations résidentielles et saisonnières, de localisation d’activités économiques) et de disponibilité de ressources en eau (nécessitant par exemple des prélèvements éloignés des territoires de consommation)", explique-t-il. Pour près de 8 départements métropolitains sur 10 (78%), les prélèvements d’eau pour les usages domestiques ont faiblement évolué sur 10 ans. Sur la vingtaine de départements ayant connu des évolutions plus significatives, ceux dans lesquels les prélèvements ont diminué sont légèrement plus nombreux que ceux où ces prélèvements ont augmenté.

Opacité des prix

Côté prix, les consommateurs ont du mal à s'y retrouver. Pour beaucoup, "le prix de l'eau est aujourd'hui illisible", alors qu'il serait judicieux que chacun ait "une vision au moins mensuelle ou trimestrielle" de sa consommation, estime Alexandre Mayol, maître de conférences en économie à l'université de Lorraine, et spécialiste de l'économie de l'eau. Majoritairement déployés en ville, les compteurs d'eau intelligents permettant la relève à distance ou des alertes en cas de fuite progressent. Ils équipent désormais 42% des ménages (16,8 millions en 2021, +4,2% comparé à 2017), selon l'étude. Mais "attention aux solutions miracles", tempère Alexandre Mayol : un nouveau compteur entraîne une hausse de l'abonnement et appeler à consommer moins quand la facture augmente, "c'est compliqué". Selon les cas, il faut aussi vérifier si l'argent serait mieux investi à réparer les canalisations plutôt que dans ces fameux compteurs communicants. Même la tarification progressive de l'eau que le gouvernement envisageait de généraliser (les premiers m3 essentiels sont moins chers, le tarif augmente avec la consommation) n'est pas aussi simple qu'elle en a l'air, souligne Alexandre Mayol, citant l'exemple pionnier de Dunkerque. Le Cese a d'ailleurs rejeté l'idée mercredi dernier.

En France, le prix de l'eau dépend de la commune ou l'intercommunalité de résidence. Les entreprises de l'eau assurent l'approvisionnement en eau potable de près de 60% des Français et la dépollution des eaux usées de 51% d'entre eux. Selon l'étude BDO, le prix médian au robinet a atteint 4,02 euros TTC par m3 en 2021 (50% des Français payaient moins, 50% payaient plus), avec d'importantes disparités, de 0,89 à 10,95 euros TTC par m3. Les disparités de prix à l'échelle communale sont également observables à celle des départements. La moitié d'entre eux a un prix total compris entre 4 et 4,8 euros TTC/m3 , un quart d’entre eux a des prix inférieurs à 4 euros TTC/m3 (dont 3,3 euros TTC/m3 en Haute-Garonne) et un autre quart se situe dans les prix les plus élevés (supérieurs à 4,7euros TTC/m3 , dont 5,8 euros TTC/m3 en Dordogne).

Les différences s'expliquent par les spécificités géographiques locales, des facteurs techniques comme la diminution des fuites sur le réseau, qui globalement s'améliore depuis dix ans en France selon les industriels du secteur. Le prix enfin dépend aussi de la présence ou non d'industries, de la saisonnalité de la population (tourisme) et surtout, des choix d'investissements.

Pour la FP2E, les efforts devraient se concentrer prioritairement sur les services de petite taille (moins de 3.500 habitants) qui s'avèrent les moins performants, qu’il s’agisse de rendement du réseau, de pertes linéaires, de qualité de service, de performances sanitaires ou encore de la connaissance du patrimoine. Les professionnels de l'eau voient aussi dans les eaux usées traitées "un potentiel non exploité" en France.