Les "managers du commerce" plébiscités par les collectivités

Fin du Fisac pour une approche davantage liée à l'aménagement du territoire (programmes ACV, PVD...), dispositifs nés pendant la crise sanitaire (places de marché, managers de commerce)... La Cour des comptes dresse un bilan détaillé des différentes formes de soutien au commerce de proximité mises en place depuis 2017, avec des résultats parfois décevants. Les "managers de commerce" sont en revanche "très appréciés" des collectivités. Face aux disparités de profils et de fonctions, la Cour envisage une plus grande professionnalisation. 

Avec 500 millions d'euros (subventions et prêts) dépensés entre 2018 et 2022, les pouvoirs publics ont déboursé sans compter pour venir en aide au commerce de proximité, dans une période marquée notamment par le Covid. Mais pour des résultats inégaux et qui restent difficiles à évaluer, estime la Cour des comptes dans un rapport sur "La politique de l'Etat en faveur du commerce de proximité". Le secteur compte environ 700.000 entreprises et 1,1 million d'emplois et est "confronté à des défis économiques, sociaux et territoriaux importants, accentués par une double transition numérique et environnementale", rappelle-t-elle.

La rue Cambon démarre son analyse en 2017, période à laquelle l'Etat a abandonné sa politique d'aides directes aux commerçants en faveur du cadre plus large de la redynamisation des centres-villes. En résultent la fin du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac) en 2019, la création des programmes Action cœur de ville (ACV) en 2018, Petites villes de demain (PVD) en 2020 et la mise à disposition des collectivités de nouveaux outils comme le soutien à l'ingénierie ou les opérations de revitalisation de territoire (ORT). La Cour passe aussi en revue les mesures qui ont  été ajoutées durant la crise sanitaire et dans le cadre du plan de relance.

Le soutien aux plateformes locales de marché, un échec

Au rang des dispositifs qui ne semblent pas fonctionner de manière optimale : les chèques numériques et le soutien aux plateformes locales de marché. La Cour s'interroge ainsi sur le dispositif des chèques dont les aides dépassent parfois le montant des dépenses engagées, avec un nombre important de dossiers non conformes. Si des progrès ont été constatés quant à la numérisation des commerces de proximité et leur présence en ligne (76% des PME ont un site internet en 2022 contre 43% en 2020), la Cour considère qu'on ne peut pas les attribuer à ces chèques. Quant au soutien aux plateformes locales de marché, il "s'est avéré un échec, elles ne correspondaient aux attentes ni des consommateurs ni des commerçants", estime la Cour. "Les pouvoirs publics devraient en tirer les enseignements en cessant de financer des places locales de marché, et en concentrant leurs efforts sur l’amélioration de l’accompagnement des commerçants", en conclut-elle.

Autre bémol : les dispositifs d'exonération proposés en lien avec les ORT. Ils sont peu utilisés. 20 communes ou EPCI y ont eu recours en 2022 pour les zones en milieu rural et moins de 10 pour les zones en centre-ville. Leur impact reste limité, le levier fiscal apparaissant comme un outil peu déterminant dans la décision d'implantation d'un commerce par rapport à la dynamique du territoire et aux autres modalités d'accompagnement. La Cour propose tout simplement de ne pas les reconduire.

Le renforcement de l'ingénierie, avec les études financées à 100%, semble aussi peu utile, indique la Cour qui préconise de mettre fin à cette prise en charge.

ACV et PVD : les financements des collectivités mal retracés

D'autres mesures, comme les foncières de redynamisation notamment, mériteraient quant à elles une évaluation. Le programme, délégué à la Banque des Territoires, a été renforcé avec le plan de relance pour atteindre 100 foncières pour 6.000 locaux d'activité rénovés. "Ce programme monte en charge plus lentement que prévu : seuls 322 locaux avaient été livrés fin 2022, dont 118 créations nettes de commerces et 40% de ces locaux situés en dehors des zonages prioritaires", précise le document. Le Fonds de restructuration des locaux d'activité (FRLA) mis en place par l'Etat pour couvrir une partie des déficits des opérations les plus coûteuses est aussi remis en question. Les projets sont plus coûteux que prévu. Ils n'ont concerné que 691 locaux sur les 1.900 initialement envisagés. La Cour propose une évaluation pour s'assurer de la sélectivité et du ciblage de l'intervention de l'Etat.

La note fait un état des lieux important des programmes ACV et PVD et notamment de leurs actions et financements dont elle estime qu'il faudrait améliorer le suivi. "Les financements des collectivités territoriales dans le cadre de ces programmes territorialisés sont mal retracés et la nomenclature comptable et sectorielle ne permet pas d’identifier facilement les aides versées aux commerçants", indique le document. Et si le taux de vacance dans ces territoires, notamment dans les villes ACV, a baissé depuis deux ans plus rapidement que dans les autres villes moyennes, "environ 40% des communes ACV ont vu leur taux de vacance se dégrader sur la même période", insistent les magistrats, particulièrement dans les communes situées dans des départements en déprise démographique. La Cour des comptes propose une évaluation approfondie des effets d'ACV sur le commerce alors que s'engage la phase 2 du programme (voir notre article du 22 novembre 2022).

Elaborer une stratégie coordonnée d'intervention

En revanche, certains dispositifs ont prouvé leur efficacité, comme celui des "managers de commerce", dont le cofinancement par la Banque des Territoires ou l'Etat a été "très apprécié par les collectivités locales". 118 communes ACV ont eu recours à un cofinancement, 734 communes PVD et 16 autres communes (dans le cadre d'un mandat de gestion confié par l'Etat). Il leur a permis de structurer des relations et des actions concrètes avec les commerçants. Mais face à une disparités de profils et de fonctions, la Cour des comptes propose de mettre en place dès 2024 les conditions de leur professionnalisation, sachant que les collectivités sont demandeuses d'une pérennisation de leurs postes. L'utilisation, en augmentation, de la taxe sur les friches commerciales est aussi saluée : 404 collectivités y avaient recours en 2022, son rendement a été multiplié par cinq depuis 2017. L'outil est considéré comme utile pour lutter contre la vacance commerciale. L'institution préconise d'en simplifier la procédure d'ici 2024.

Plus globalement, la Cour des comptes considère que certains chantiers connus de longue date restent peu traités (ouverture dominicale, rénovation de la réglementation des baux commerciaux, transition environnementale) en raison de la difficulté à trouver un consensus. "L'ensemble de ces constats appelle à mieux structurer et coordonner la politique de soutien au commerce de proximité", estime-t-elle, à travers notamment le nouveau Conseil national du commerce installé en avril 2023 et l'élaboration d'une stratégie coordonnée d'intervention et un dispositif de suivi.