Les pistes de la mission Woerth pour approfondir la décentralisation

Éric Woerth, député Renaissance chargé par l'exécutif d'une réflexion sur la décentralisation, a fait le point sur ses travaux lors d'une audition au Sénat, ce 8 février. Il assure vouloir "remettre de l'ordre" dans l'exercice des compétences des collectivités. "La première des clarifications, ce serait d'abord (…) que les collectivités fassent ce qu'elles doivent faire et pas plus", a-t-il défendu. En se prononçant pour la limitation des financements croisés. L'ancien ministre de Nicolas Sarkozy s'est par ailleurs montré favorable à la création d'un pouvoir de décision des collectivités sur des fractions d'impôt national.

"Remettre de l'ordre" dans les compétences des collectivités, mais "sans tomber dans la brutalité". C'est l'exercice d'équilibrisme auquel s'adonne Éric Woerth, député chargé par le président de la République d'une mission sur l'approfondissement de la décentralisation. "La première des clarifications, ce serait d'abord de respecter la loi, c'est-à-dire que les collectivités fassent ce qu'elles doivent faire et pas plus", a-t-il détaillé lors d'une audition ce 8 février par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

La fameuse loi Notr d'août 2015, qui a défini les compétences des collectivités, a souvent été citée lors de la rencontre. Le texte a notamment réservé la compétence de développement économique aux régions et aux intercommunalités, au grand dam des départements, dont certains essaient malgré tout de continuer à l'exercer. "La loi a tranché sur les compétences entre les uns et les autres. (…) On respecte cela", a souligné l'élu. En estimant que les collectivités devaient se concentrer sur leurs compétences et non "se disperser". "Il faut consacrer le maximum de moyens financiers aux compétences qui sont les siennes (…). L'argent qui est mis [NDLR : sur une compétence qui n'est pas propre], c'est autant d'argent qui n'est pas mis sur les compétences obligatoires du même niveau de collectivité." "Le président d'une collectivité a un peu d'argent, il voit qu'il y a un manque, il fait de la sécurité dans les transports, tout ça hors cadre légal", a constaté le député, qui s'est dit "pas sûr que ça améliore les choses".

"Il faut beaucoup d'adaptations locales"

Éric Woerth a plaidé dans le même temps pour le renforcement du pouvoir réglementaire des collectivités. Avec une idée : "Celui qui détient la compétence détient également le pouvoir de réglementation réel, donc de mise en fonctionnement et d'organisation."

L'ancien maire de Chantilly s'est dit hostile à la réintroduction de la clause générale de compétence au profit des départements et des régions, que la loi Notr leur a confisquée. Cette faculté d'intervenir sur tout, "c'est le contraire de la clarification et de l'approfondissement des compétences", a-t-il dit. Mais il s'est défendu de vouloir dessiner un "jardin à la française". "Au contraire, il faut beaucoup d'adaptations locales", a-t-il jugé, en mettant en avant la possibilité pour les collectivités d'instaurer des délégations de compétences. Un outil déjà existant, qu'il voit bien s'appliquer y compris dans le développement économique et en faveur des départements qui souhaitent s'investir dans ce domaine.

S'agissant du tourisme, de la culture et du sport, des compétences sur lesquelles toutes les collectivités peuvent intervenir, Éric Woerth a constaté que "chacun aide des choses à son niveau" et que, par conséquent, le système actuel est plutôt satisfaisant.

Contractualisation entre métropole et département

Concernant les compétences des départements, l'ancien ministre du Budget a dit réfléchir "non pas à recentraliser, mais à aller vers une plus grande coordination entre État et département". Il a dit aussi vouloir rendre obligatoire la contractualisation entre les métropoles qui représentent "un poids très important" en termes de population dans leur département et le conseil départemental.

Quant aux régions, elles "doivent occuper à plein leurs compétences", ce qui ne serait pas le cas aujourd'hui, selon l'ancien conseiller régional de Picardie. Pour qui "on n'est pas allé au bout du fait régional". "On peut aller plus loin sur l'idée que la taille est très importante, pour que nos concitoyens aient une visibilité sur l'organisation territoriale de l'offre de services. On peut réfléchir à la santé (…), à l'enseignement supérieur (…), à plein de sujets", a-t-il dit.

Pour ce qui est du bloc communal, Éric Woerth a surtout mis l'accent sur la nécessité d'une "clarification juridique de la notion d'EPCI [établissement public de coopération intercommunale] entraînant une réduction du nombre de compétences obligatoires". "Vraiment, les compétences doivent être obligatoires lorsqu'on considère que l'intérêt national est en jeu", a-t-il déclaré. En précisant que c'était par exemple le cas dans le domaine de la gestion de l'eau. En outre, dans les intercommunalités, le maire devrait disposer, selon lui, "d'un peu plus de pouvoir qu'il n'en a actuellement concernant les sujets fondamentaux concernant sa propre commune". 

Conseiller territorial : les ordinateurs de Beauvau tournent

Interrogé sur l'hypothèse du retour du conseiller territorial, il a dit, à ce stade, ne pas avoir d'opinion. Cependant, on saura que l'équipe entourant l'élu "expertise" avec le ministère de l'Intérieur les systèmes électoraux pouvant convenir dans le cas d'un retour de ce nouvel élu, à la fois représentant de la région et du département. En tout cas, "s'il y avait un conseiller territorial, il faudrait garder les cantons", tels qu'ils ont été découpés avec la réforme de 2013, a-t-il jugé. Sans se prononcer sur les binômes de conseillers départementaux hommes-femmes.

En matière financière, Éric Woerth a rejeté l'idée soutenue par certaines associations d'élus locaux, dont l'Association des maires de France, d'introduire une contribution résidentielle, pour recréer un lien fiscal entre tous les citoyens et la collectivité, celui-ci ayant été affaibli avec la suppression de la taxe d'habitation. Il a souhaité "bon courage" aux partisans de ce nouvel impôt avec lequel "on va sortir des euros de la poche" du contribuable, alors qu'"on lui a expliqué qu'il paierait moins d'impôts". En faisant cela, "on s'en prendra plein la figure et à juste titre", a mis en garde le député Renaissance. Il a dit plutôt réfléchir à la piste d'une territorialisation de la fiscalité. L'idée est d'"avoir un système dans lequel à la fois départements, régions, communes ont une part de liberté dans la fixation de leur fiscalité", a-t-il expliqué. Soulignant cependant dans le même temps que "l'État doit faire des efforts pour que la pression fiscale n'augmente pas".

Loi de programmation 

Il s'agirait de créer, au profit des collectivités, des marges sur la fiscalité nationale existante. En sachant que, visiblement, il n'est pas exclu de rebattre les cartes : Éric Woerth a dit "essayer de regarder quelle fiscalité nationale pourrait être utilisée sur quelle strate de collectivité locale et ayant un lien avec les charges prépondérantes ou majoritaires de cette même collectivité". Un exercice qui l'amène à se pencher sur le système financier des départements, avec lequel "on ne va pas s'en sortir", car il est déconnecté de la principale compétence de ces collectivités, le social.

Toujours en ce qui concerne les finances locales, Éric Woerth a prôné l'instauration d'une loi de programmation qui fixerait tous les trois ans "les grandes enveloppes et la manière de faire". Ce qui améliorerait la visibilité des collectivités pour l'engagement de leurs investissements. Ces derniers devant être soutenus par des dotations de l'État dédiées, qu'il faut "essayer de globaliser" et répartir grâce à "un dialogue local".

"Nous n'avons pas besoin de faire de big bangs territoriaux ou de big bang législatif", avait estimé la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, en introduction de la réunion. En insistant sur le "besoin de stabilité et de visibilité" des élus locaux en matière de financement des projets. "Il faut redonner un peu de liberté dans l'organisation du bloc communal", a pour sa part demandé Mathieu Darnaud, premier vice-président (LR) du Sénat.

Le rapport d'Éric Woerth est attendu pour fin avril ou début mai, mais des "conclusions" seront communiquées au président de la République "au fur et à mesure", selon l'élu.