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L’immobilier public d’après-crise : moins de mètres carrés, plus de convivialité ?

Avec la crise sanitaire et l’accélération du télétravail qui en a découlé, c’est tout l’immobilier tertiaire qui est bouleversé. Occupant près de 100 millions de mètres carrés, l’État passe actuellement la vitesse supérieure pour "réinventer son immobilier", en favorisant une approche fondée sur les usages et les besoins des agents et des usagers, la flexibilité, des espaces "différenciés et adaptés" avec une attention particulière sur les usages collectifs. Un rapport diffusé ce 22 juin révèle les grandes orientations privilégiées.

Dans le secteur public comme dans le privé, la crise sanitaire a mis un grand coup d’accélérateur au télétravail et a, par conséquent, éloigné une partie des salariés et fonctionnaires de leur lieu de travail. Autant de bouleversements pour l’État, qui occupe de différentes manières – propriétaire ou locataire - 97 millions de mètres carrés de locaux divers, et les collectivités territoriales, amenées à s’interroger à la fois sur l’accompagnement de leurs agents en télétravail et sur le devenir de leur patrimoine immobilier. Intitulé "L’immobilier public de demain", un rapport de la direction de l’immobilier de l’État (DIE, ministère de l’Économie) a été rendu public ce 22 juin 2021, à l’occasion d’un événement diffusé en visioconférence.  

D’un immobilier "hiérarchique" à un immobilier "adapté à l’activité" 

"Comment les nouveaux usages et modes de travail remodèlent-ils les espaces de travail ?", se sont d’abord interrogés les intervenants de cette conférence. Ces réflexions avaient démarré avant la crise sanitaire, dans une logique d’optimisation du patrimoine immobilier de l’État mais aussi en lien avec les aspirations d’une nouvelle génération tournée vers davantage d’autonomie dans le travail, de mobilité et de "modes d’interaction où le digital et le physique se mélangent", selon les termes de Alain Resplandy-Bernard, directeur de l'immobilier de l'État. Pour ce dernier, "les mutations qui sont à l’œuvre vont permettre de sortir d’une logique d’un immobilier qui était lié à un management très hiérarchique" pour aller vers "une adaptation aux métiers, aux besoins, aux postures de travail, donc quelque chose de beaucoup plus adaptable qui permet à la fois le bien-être des agents, l’efficacité par plus de travail collectif et aussi l’efficacité économique".

L’enjeu est évidemment économique, l’immobilier représentant actuellement une dépense annuelle globale de 7 milliards d’euros pour l’État. Mais il est également qualitatif et écologique : après avoir "sous-entretenu pendant longtemps" son patrimoine, l’État vise désormais l’efficacité énergétique et entend proposer à ses agents et aux usagers des bâtiments propices à "l’efficacité du service public", a expliqué Alain Resplandy-Bernard. Depuis 2018, 39 projets de cités administratives ont été lancés dans les grandes villes françaises (dont Lille, Toulouse, Bordeaux et Nantes). Représentant quelque 100.000 mètres carrés, ces cités permettront à l’État de se libérer de 260.000 mètres carrés de locaux dispersés et peu économes sur le plan énergétique. Certains de ces projets donnent lieu à un dialogue avec des collectivités territoriales, par exemple à Nancy autour du partage d’un restaurant administratif avec la mairie ou encore l’ouverture du parking – bien équipé en bornes de recharge électrique - de la future cité administrative aux habitants. 

Travailler la "qualité d’usage" avec les agents futurs occupants  

Pour libérer de l’espace, l’archivage numérique constitue un "chantier parallèle au projet immobilier", a ajouté Christine Weisrock, responsable régionale de la politique immobilière de l’État en Île-de-France. Certains services n’ont en effet plus besoin de disposer d’archives papier dans le bureau, ce qui permet de libérer de l’espace pour aménager par exemple des "lieux de concentration", a souligné Yoan Ollivier, co-fondateur de l’agence Vraiment Vraiment. À l’inverse, certains services ont encore ce besoin de proximité avec des archives ; "on n’aura jamais des réponses univoques", en conclut Yoan Ollivier.  

Ainsi, pour que de tels investissements immobiliers ne passent pas à côté de ces usages divers et complexes, les futurs occupants sont parfois associés au projet. À Amiens, 960 agents publics exerçant des métiers très différents seront rassemblés en 2023 dans la future cité administrative. Une "conduite du changement" a été mise en œuvre pour "les embarquer vraiment dans la démarche", de la conception à l’exploitation du nouveau bâtiment, a témoigné Romain Dehedin, responsable du pôle immobilier de l’État au secrétariat général commun de la préfecture de la Somme. Outre la qualité architecturale et énergétique du bâti, une "qualité d’usage remarquable", reposant notamment sur la flexibilité des aménagements intérieurs, est ainsi "co-construite" avec ces agents.

Le collectif au bureau, le travail de fond à la maison ?

Si l’objectif initial de l’État, suite à la création de la DIE en 2016, était de réduire de 20% les surfaces occupées, les impacts de la crise sanitaire invitent désormais à des coupes bien plus drastiques. Entre les deux jours et demi hebdomadaires de travail en présentiel vers lesquels on s’orienterait, les congés et les formations, "les gens ne sont pas là 70% du temps" a résumé Alain Resplandy-Bernard. Dans ce contexte, il plaide pour le "flex office tribal", c’est-à-dire une absence de poste fixe mais un espace bureau identifié et équipé spécifiquement pour chaque équipe de travail. L’État investit également dans l’aménagement de tiers-lieux dédiés à ses agents, avec une accélération liée à la crise sanitaire et au fait que certains agents ne disposaient pas de logements adaptés au télétravail et/ou "souffraient d’isolement", a expliqué Christine Weisrock.

À en croire les intervenants, c’est donc le collectif sous toutes ses formes – réunions en petit format, moments de convivialité, événements… – qui doit être désormais privilégié dans les aménagements intérieurs, le travail "individuel" nécessitant de la concentration étant schématiquement relégué au télétravail, soit au domicile des agents. Au "bureau" tel qu’il est dessiné, "60% du temps doit être dédié au collectif", a tranché Pierre Bouchet, co-fondateur du cabinet Génie des lieux. La première des recommandations du rapport est pourtant bien d’"interroger les différents usages pour concevoir des espaces différenciés et adaptés", y compris avec des aménagements propices au travail individuel – bureaux isolés de petite taille, "box ouverts à tous" mais permettant une isolation suffisante, parois acoustiques, etc. Mais l’ère du bureau individuel est bien révolue, certains directeurs se partageant même un seul bureau pour donner le ton.   

"On ne change pas les pratiques par les murs"

Le projet immobilier et l’organisation et le management des équipes sont toutefois bien "deux projets parallèles", a insisté Yoan Ollivier, invitant à se méfier des offres commerciales de "plateaux en main" ne correspondant pas aux vrais besoins d’une administration. Le designer des politiques publiques estime qu’on ne peut "changer les pratiques par les murs" et que le fait de mettre tout le monde "dans un grand bain" ne va pas induire en soi des pratiques plus collectives.

Pour que l’immobilier soit réellement "un outil d'efficacité au service de la transformation de l'action publique et de l'accompagnement de l'évolution des missions de service public", comme le met en avant Bercy dans son communiqué, une approche par l’expérimentation est préconisée. Ainsi, le ministère de la Justice a récemment installé quelque 3.000 agents sur l’un des sites du Millénaire à Aubervilliers, qui était précédemment occupé par l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France. Crise sanitaire oblige, l’ARS a quitté les lieux un an plus tard que prévu, retardant d’autant les travaux d’aménagement prévu par le ministère de la Justice. Ce dernier a finalement expérimenté une "adaptation quasiment en site occupé", en accompagnant des services volontaires simultanément sur leur projet de service et l’aménagement de l’espace dont ils pouvaient disposer. Une "politique des petits pas" jugée positive par Marc Teissier, directeur de projet "opérations immobilières de l'administration centrale" au ministère de la Justice.

 

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