Logement social : des inégalités dans le traitement des demandes d'information

"Des réponses différenciées" selon l'origine présumée des demandeurs, voire "pas de réponse du tout". La Fondation Abbé Pierre alerte sur le non-respect du droit à l'information et les discriminations ethno-raciales dans le processus de demande de logement social, dans une étude basée sur une opération de testing publiée ce mardi 21 mars.

Pour déterminer si les guichets d'enregistrement de la demande de logement social font preuve de discrimination, la Fondation Abbé Pierre a organisé une expérience de "testing". Une méthodologie régulièrement utilisée pour le parc privé (agences immobilières et particuliers) mais inédite pour le logement social.

Deux candidates fictives, dont les prénoms et noms suggèrent "pour l'une une origine française et pour l'autre une origine d'Afrique de l'Ouest", ont adressé des courriels à 1.875 bailleurs, soit près des deux tiers des guichets du pays. "Contrairement aux discriminations directes et intentionnelles à l’œuvre dans le parc privé, les discriminations dans l’accès au parc social sont plus difficiles à identifier car l’attribution d’un logement social fait l’objet d’une procédure administrative qui est encadrée juridiquement et qui fait intervenir plusieurs acteurs", explique la fondation, rappelant que "si la décision d’attribuer un logement social appartient, in fine, à l’organisme bailleur, cette décision marque l’aboutissement d’un processus de sélection souvent long et dont certaines étapes relèvent de compétences partagées avec d’autres acteurs".

Les guichets d’enregistrement de la demande ne sont donc que la première étape. Mais sont apparus intéressants à tester dans la mesure où la loi Alur de 2014 "a instauré des nouvelles obligations en matière d’accueil et d’information du demandeur de logement social", est-il rappelé. Il s'agissait donc de mettre à l'épreuve d'une part la qualité de l’information, d'autre part l’équité de traitement des demandeurs.

Premier résultat : seule la moitié des guichets ont répondu aux sollicitations des fausses candidates, "ce qui interroge sur l'accès à l'information dans le service public, et donc sur sa qualité", estime Pauline Portefaix, chargée d'études au sein de la Fondation.

D'autre part, seulement un quart des guichets (24,2%) "répondent positivement et de manière similaire aux demandes d'information des deux candidates". Parmi les guichets qui apportent des réponses aux deux candidates, "23,5% formulent des réponses différenciées à des demandes équivalentes" : une partie "oriente de façon différente les deux candidates, en défaveur de celle présumée d'origine africaine", d'autres "accompagnent plus intensément la candidate présumée d'origine française" et quelques-uns "ajoutent des informations démotivantes pour la candidate présumée d'origine africaine seulement".

"Certes, le phénomène n'est pas massif", tempère Pauline Portefaix. "Ces discriminations sont minoritaires par rapport à celles relevées dans le parc privé, mais elles sont néanmoins significatives", insiste-t-elle.

"Essentiellement le fait des guichets gérés par les communes"

L'étude, menée à la demande de la Fondation par les chercheurs en économie Sylvain Chareyron et Yannick L'Horty, montre en outre que "les différences dans le contenu des réponses sont essentiellement le fait des guichets gérés par les communes et non par les bailleurs sociaux". Et que "les discriminations se manifestent davantage dans les communes les plus favorisées par leur composition sociale et par leur situation économique, ainsi que par la tension du marché locatif local (zone tendue, soumise au rattrapage SRU, demande de logement social par attribution)". Dans la mesure où cela contribue à "orienter les demandeurs vers les localités les plus défavorisées et au taux de chômage élevé", cela "participe indirectement à la ségrégation socio-spatiale des quartiers", ajoute la fondation.

D'où une série de propositions : "former et sensibiliser" les acteurs du secteur, contrôler régulièrement, mener un autre test sur l'accueil physique des demandeurs, "accompagner de manière renforcée les guichets communaux", diffuser à l'échelle territoriale une "information complète et harmonisée à destination des demandeurs"…

"Toutes les formes de discriminations, quand il s'agit particulièrement du droit fondamental d'accéder à un logement, sont proprement insupportables et inacceptables", a réagi auprès de l'AFP le ministre délégué au Logement, Olivier Klein. "J'ai été scandalisée par les résultats que j'ai lus (...) étant donné l'importance de la demande HLM pour tout ménage", a également affirmé Emmanuelle Cosse, la présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Pour limiter les cas de discrimination, l'USH réclame notamment que les dispositifs d'accueil des demandeurs de logements sociaux soient labellisés, afin que les agents soient mieux formés et mieux encadrés, a précisé sa directrice générale, Marianne Louis. Afin de réduire le taux de non-réponses aux demandeurs, elle souhaite que ceux-ci soient davantage accompagnés, avec des points d'accueil physiques. "Nous poursuivons à brève échéance le travail avec l'USH pour améliorer le traitement et la transparence des processus d'attribution", a pour sa part déclaré le ministre.

 

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