Mohamed Gnabaly : "Grâce aux Jeux olympiques, nous avons bonifié notre projet urbain"

Durant les Jeux olympiques et paralympiques 2024, la petite commune de L'Île-Saint-Denis (8.646 habitants) sera au cœur de l'évènement. Plusieurs équipements y ont été construits, dont une partie du Village olympique. Son maire, Mohamed Gnabaly, pose un regard réaliste sur ces réalisations dont il espère qu'elles transformeront sa ville au profit des habitants.

Localtis - Quels sont les équipements olympiques réalisés sur votre commune ?

Mohamed Gnabaly - La pointe sud de l'île accueille un site d'entraînement de gymnastique et d'athlétisme sur un complexe sportif existant qui a fait l'objet d'importants travaux. Il y a ensuite une partie du Village des athlètes. Au nord de la ville, le gymnase Alice-Milliat va accueillir pendant les Jeux les entraînements des équipes de France féminines de basket-ball et de handball. Au nord toujours, un stade se transformera en fans-zone où, grâce à un partenariat avec l'Acnoa (Association des comités nationaux olympiques d'Afrique), les athlètes africains médaillés viendront célébrer leurs victoires avec nos habitants.

Un projet urbain préexistait au projet olympique sur votre commune. Comment l'avez-vous concilié avec le cahier des charges du Cojo (comité d'organisation des Jeux) ?

Nous développons depuis une quinzaine d'années une ZAC publique sur les anciens entrepôts des magasins du Printemps et des Galeries Lafayette. C'est un projet d'écoquartier fluvial sans voiture, avec 50% d'espaces publics et verts et l'aménagement des berges de Seine. Une première tranche de 320 logements a été réalisée dans les années 2010-2011. En 2015, quand nous avons commencé à discuter des Jeux, nous étions en train de travailler sur la deuxième tranche, également de 320 logements, auxquels nous avons ajouté une base nautique, une cité des arts et de la culture, un hôtel, 10.000 mètres carrés de bureaux et une résidence étudiante ainsi qu'une deuxième centrale de mobilité et un parc de deux hectares. Avant les Jeux, nous avions du mal à trouver des promoteurs en capacité de digérer ce projet. Grâce aux Jeux, nous avons pu non seulement porter ce projet mais le bonifier.

Parmi ces bonifications, il y a eu la création du pont entre L'Île-Saint-Denis et Saint-Denis qui vous met à moins de dix minutes de la future gare Carrefour Pleyel…

Nous demandions ce pont depuis quinze ans. Nos partenaires trouvaient cet ouvrage pertinent et structurant mais nous n'avions pas assez de financements pour le réaliser. Grâce aux Jeux, nous avons ce pont qui rend notre territoire beaucoup plus accessible et attractif. Il nous offre aussi une seconde ligne de bus est-ouest qui va traverser la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine. Nous avions un autre sujet important : réaliser un mur antibruit sur la A86 pour réduire fortement les nuisances sonores de l'autoroute et la cacher totalement. C'est un deuxième héritage fort des Jeux. Il y a aussi l'enfouissement de lignes à haute tension qui permet de dégager de l'espace, notamment dans notre nouveau parc pour donner accès aux berges de Seine.

Le cahier des charges du Cojo vous a-t-il imposé des choses que vous n'aviez pas prévues ?

Il y a eu des débats sur la densité, sur le fait de savoir si le pont serait un vrai pont routier ou une simple passerelle. Le Cojo a fini par accepter nos positions. Sur la densité, la tranche 2 de l'écoquartier Village des athlètes devait être en cohérence avec la tranche 1 et la tranche 3 à laquelle nous réfléchissons actuellement. Nous voulions rester sur le projet initial porté par la ville, sans étages supplémentaires, sans mètres carrés supplémentaires. L'héritage est notre fil conducteur et le Cojo l'a compris, tout comme notre refus d'avoir un pont routier, car finalement, seuls les piétons, bus et vélos pourront y accéder. C'était important pour nous qui sommes quadrillés par des routes départementales. Nous sommes la première ville entièrement en zone "30" de Seine-Saint-Denis, et nous sommes en train de requalifier les routes départementales avec des pistes cyclables pour ne plus être une zone de flux importante et améliorer le cadre de vie. Ce que les Jeux nous ont obligés à faire a été d'augmenter nos ambitions, ce qui est très positif. Et ce qui nous a mis en tension ont été les calendriers restreints, nous obligeant à aller beaucoup plus vite que dans une opération classique avec des logements sortant tranquillement les uns après les autres. D'autres investissements lourds sont aussi arrivés grâce à ce projet. J'ai réussi à faire renouveler 100% de notre parc social où vit 75% de la population.

Quelle a été l'implication financière de votre commune dans ces investissements ?

Sur le Village des athlètes, la participation de la commune est de zéro euro. C'est une ZAC publique portée par notre aménageur public, la SEM Plaine Commune Développement, et les projets d'aménagements, antérieurs aux Jeux olympiques, sont portés par l'établissement public territorial Plaine commune.

Comment se sont déroulés les travaux ?

C'est dur pour l'ensemble de la population. Il y a eu un travail à faire pour pouvoir continuer à vivre sur un territoire totalement en chantier. La coactivité entre les espaces publics, les routes, les constructeurs n'est pas facile non plus. Imaginez sur une île de sept kilomètres de long mais seulement 250 mètres de large, en simultané, les travaux de la A86, l'enfouissement des lignes à haute tension, l'aménagement des quais, la construction d'un pont, de logements, d'un parc, etc. C'est sport !

La question de l'acceptabilité sociale des grands événements sportifs est de plus en plus au centre des réflexions. Comment les habitants de L'Île-Saint-Denis vivent-ils l'aventure olympique ?

Quand nous nous sommes lancés dans l'aventure olympique, nous étions très prudents. Je préside une équipe municipale écologiste qui portait un regard hostile. Mais dès le début, nous avons présenté Paris 2024 comme des Jeux pour la population et la transformation du territoire. Les travaux sont très durs, mais ils montrent que notre territoire change et qu'au final, c'est pour nous. Ils sont donc acceptés. Par ailleurs, je pense que nous serons la seule ville de France à offrir une place à chaque habitant pour une épreuve olympique, nous avons porté l'idée que ce sont des Jeux avec et pour les habitants. Il y a naturellement des anti-JO, comme partout, mais la grande majorité est plutôt neutre ou favorable, et se demande ce qu'on y gagne au quotidien. Nous vivons aussi une chose difficile : tout ce qui dysfonctionne dans la ville est renvoyé aux Jeux.

Comment avez-vous communiqué depuis le début de l'aventure olympique ?

Pour porter la candidature, il y a eu une consultation de tous les corps intermédiaires, associations sportives et autres associations. Nous avons rédigé un cahier des charges pour fixer les conditions de notre participation, qui a été grosso modo ma feuille de route. Et chaque année, les élus viennent rendre des comptes aux habitants et aux parties prenantes.

Votre nouveau quartier va augmenter le nombre d'habitants. Pourrez-vous leur offrir un accès aux pratiques sportives ?

C'est déjà le cas, nous accueillons tout le monde. Nous avons rénové nos équipements sportifs et nous en avons créé de nouveaux pour développer la pratique sportive en cohérence avec les besoins de nos populations. La question aujourd'hui est celle de la qualité de l'accueil. Un plan national va être lancé par la ministre des Sports. Nous travaillons donc avec l'État sur ce sujet, car les collectivités seules n'y arriveront pas. C'est bien d'avoir des équipements, mais il faut que ça fonctionne. C'est une question budgétaire avant tout et nous avons un cadre contraint. C'est donc notre capacité à développer une politique nationale qui permettra d'avoir un impact local.

Quelles questions vous posez-vous encore à huit mois des Jeux ?

Je me questionne sur un côté négatif des Jeux qu'y apparaît aujourd'hui : l'augmentation des prix de l'immobilier. J'ai mis en place un mécanisme pour maîtriser les prix de sortie des logements neufs, mais je ne maîtrise pas l'ancien. L'autre question est de s'assurer que cet évènement planétaire bénéficie à l'ensemble du territoire et à tout le monde. C'est ça que l'on va devoir travailler pour totalement réussir les Jeux. C'est en partie dans nos mains avec notre capacité à créer un schéma directeur cohérent sur le territoire de L'Île-Saint-Denis mais aussi à l'échelle du département. C'est notre ambition et on doit encore travailler avec l'ensemble des collectivités.

Le chantier ne sera donc pas terminé quand s'éteindra la flamme olympique…

Non, la réussite pleine des Jeux se jouera encore à l'horizon 2026 ou 2030. Il faut réussir l'après-Jeux et l'héritage.