Projet de loi d'accélération du nucléaire : fin de l'examen des articles par le Sénat en séance publique

Le Sénat a achevé, dans la nuit du 17 au 18 janvier, l'examen des articles du projet de loi d'accélération du nucléaire. Déjà largement amendé en commission, le texte a subi de nouvelles retouches, la plupart d'entre elles intéressant de près les collectivités territoriales.

Il n'aura fallu que quelques heures aux sénateurs pour boucler, dans la nuit du 17 au 18 janvier, l'examen des articles du projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires, alors que les débats étaient prévus jusqu'à jeudi.  Cette rapidité de lecture n'a pas empêché les membres du Palais du Luxembourg d'apporter de nouvelles modifications non négligeables au texte qu'ils avaient déjà largement amendé en commission (lire notre article).

Contre l'avis du gouvernement, ils ont ainsi porté à 27 ans (soit jusqu'en 2050), la durée d'application des mesures concernant la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité des sites existants. Le texte initial (art.1er) prévoyait une durée de 15 ans que la commission avait déjà étendue à 20 ans. Cette nouvelle prolongation vise à "apporter davantage de visibilité à la filière nucléaire et aux branches professionnelles qui contribuent à son développement pour qu’elles investissent d’une part dans les domaines industriels et d’autre part dans les compétences afin de construire de nouvelles capacités nucléaires et prolonger les capacités existantes", ont justifié les auteurs des amendements défendus par des élus LR, centristes et Les Indépendants.

Dérogations en matière d'urbanisme : encore des modifications

De nouvelles modifications ont aussi été apportées à l’article 2 qui proposait initialement que les projets de réacteurs soient qualifiés de "projets d’intérêt général" (PIG) par décret en Conseil d’État, et  bénéficient à ce titre de plusieurs dérogations en matière d’urbanisme, avec en particulier, une procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme simplifiée, via un engagement direct de procédure par le préfet et une simple mise à disposition du projet au public. A l'initiative du groupe LR - et avec l'avis favorable du rapporteur, Daniel Grémillet, et du gouvernement -, les sénateurs ont précisé que la qualification de PIG s’applique à la construction d’un réacteur mais aussi à l’installation d’entreposage de combustibles nucléaires. Concernant la procédure spécifique de mise en compatibilité des documents d'urbanisme (schéma de cohérence territoriale, plan local d'urbanisme, carte communale), un nouvel amendement du rapporteur a été adopté. Il prévoit une information préalable des départements et des régions, alors que le texte initial ne prévoyait que de les associer tardivement. "Au vu des compétences des départements en matière de routes ou encore de sécurité incendie, et au vu des implications en termes d’équilibre territorial au niveau régional, il apparaît pertinent de les informer plus tôt des projets de réacteurs nucléaires qui émergeront sur leur territoire", a justifié Daniel Grémillet.

Toujours dans le cadre de la procédure spécifique de mise en compatibilité des documents d’urbanisme, placée sous l’entière responsabilité de l’État, l'adoption d'un amendement du rapporteur en commission entend permettre à l’établissement public ou à la commune compétente en matière d’urbanisme de formuler des observations sur les motifs du projet de mise en compatibilité et les évolutions envisagées. En séance, des sénateurs du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) ont obtenu l'adoption d'un amendement visant à assurer aux exécutifs locaux que leurs observations seront étudiées et le cas échéant prises en compte. A cette fin, l’autorité administrative de l’État devra apporter une réponse écrite aux observations qu’ils ont formulées sur le projet. "S’agissant de projets de nature à potentiellement porter atteinte à l'économie générale des documents d’urbanisme d’un territoire, il s’agit d’instaurer un véritable dialogue avec les collectivités concernées en amont de cette procédure dérogatoire qui, une fois lancée, les privera de leur pouvoir de décision", ont expliqué les auteurs de l'amendement. Un sous-amendement du rapporteur vient préciser que la réponse de l'Etat aux observations des collectivités territoriales sur le projet de mise en compatibilité devra intervenir "dans un délai de quinze jours, afin de préserver l'intention d'accélération de cet article", selon l'exposé des motifs.

Les élus du groupe SER ont aussi apporté des modifications sur la manière dont le projet de mise en compatibilité est mis à disposition du public dès lors qu'il ne fait pas l’objet d’une évaluation environnementale. Outre le fait que les modalités de la mise à disposition du public sont précisées par arrêté de l’État et portées à la connaissance du public au moins dix jours avant le début de cette mise à disposition, il est précisé que "les documents mis à disposition et rendus publics sont mis en consultation sur support papier dans les préfectures et les sous‑préfectures ou la mairie du territoire d’accueil du projet" et que "les observations sont enregistrées et conservées". En outre, "la synthèse des observations et propositions du public est rendue publique dans des conditions précisées par l’arrêté précité".

Mécanisme dérogatoire pour la taxe d'archéologie préventive

A l'article 3, qui vise à dispenser les projets de réacteurs d’autorisations d’urbanisme, des coordinations pour assurer la continuité de la perception de la taxe d’aménagement par les collectivités territoriales, en l’absence de permis de construire, ont été prévues dans le texte initial. Un amendement du gouvernement (sous-amendé par le rapporteur) revient sur deux dispositions votées en commission. Il inclut désormais un mécanisme dérogatoire concernant la taxe d’archéologie préventive, similaire à celui déjà prévu pour la taxe d’aménagement et prévoit une rédaction qui permette d’assurer la perception de ces deux taxes.

A l'article 5, qui permet d’exonérer les constructions, aménagements, équipements, installations et travaux liés à la création ou à l’exploitation d’un réacteur, ainsi que leurs ouvrages de raccordement, des dispositions de la loi "Littoral", Daniel Grémillet a obtenu une modification du texte contre l'avis du gouvernement. Son amendement vise à instaurer une "préférence à l’enfouissement" pour les ouvrages de raccordement, "sans obligation",  et "tenant compte des évolutions technologiques qui permettraient à l’avenir de rendre l’enfouissement des lignes électriques à très haute tension moins onéreux et techniquement plus faisable", précise l'exposé des motifs.

Prévention des risques d'inondation

À l’article 6, relatif à la modification du régime de concession d’utilisation du domaine public maritime, plusieurs sénateurs LR ont obtenu l'adoption d'un amendement visant à étendre, au sein du cahier des charges de la concession d’exploitation, la prévention des risques aux zones fluviales.

Le groupe écologiste a aussi complété cet article pour préciser que la concession d’utilisation du domaine public maritime "ne peut être délivrée que si l’installation projetée n’est pas située dans une zone inondable ou ayant subi des inondations ou des submersions marines, telles que définies à l’article L. 566-1 du code de l’environnement".

"De nombreux territoires français sont particulièrement menacés par le risque d’inondation ou de submersion marine, justifient-ils. D’autant que les modèles employés jusqu’à aujourd’hui pour estimer ce risque comportent des failles, et que les conséquences du dérèglement climatique demeurent imprévisibles. Au cours du siècle, la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles et des évènements climatiques majeurs ne cesseront d’augmenter. Rien que dans l’estuaire de la Gironde, le trait de côte devrait reculer de 290 mètres à 479 mètres selon les projections du Giec." Ils estiment que le changement climatique entraînera des conséquences "majeures" pour les installations nucléaires, rappelant que la Gironde avait "frôlé la catastrophe" lors de la tempête Martin, en décembre 1999. Celle-ci avait été inondée par des vagues qui sont passées au-dessus de la digue de la centrale, "même si celle-ci était dimensionnée contre une surcote millénale et un coefficient de marée de 120", soulignent-ils, rappelant que l’inondation avait endommagé le système de refroidissement et que deux réacteurs avaient dû être arrêtés d’urgence. "Afin d’assurer la sureté du parc nucléaire français, il est essentiel que nos installations nucléaires ne s’installent pas sur des sites vulnérables aux inondations et aux submersions marines", soulignent-ils.

Par ailleurs, un nouvel article 7 ter, adopté à l’initiative de sénateurs LR (malgré l’avis défavorable du gouvernement et du rapporteur), prévoit que le gouvernement remette au Parlement, dans les six mois suivant la promulgation de la loi, un rapport "présentant l’opportunité de mutualiser au niveau national les recettes fiscales liées au foncier des nouvelles centrales nucléaires, dans la mesure où ces dernières bénéficieront d’une enveloppe spécifique nationalisée au titre de l’objectif 'zéro artificialisation nette'".

Le Sénat se prononcera sur l'ensemble du texte lors d'un vote solennel mardi 24 janvier. Le projet de loi ira ensuite à l'Assemblée nationale. Outre Les Républicains et les centristes, les groupes RDPI à majorité Renaissance, RDSE à majorité radicale et Indépendants ont d'ores et déjà annoncé qu'ils voteraient le texte. Le groupe CRCE à majorité communiste s'abstiendra. Quant aux socialistes, ils reprochent à la commission des Affaires économiques d'avoir "dévoyé" le texte.