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Quel avenir pour le e-commerce social et solidaire ?

A côté du gigantisme d’Amazon et d’autres sites de e-commerce, des boutiques en ligne portées par des acteurs de l’économie sociale et solidaire se développent à petits pas. Leur but : former et insérer des personnes éloignées de l’emploi, mais aussi encourager à un autre mode de consommation fondé sur le réemploi et la limitation de l’empreinte carbone. Dans le cadre de son projet "La République de l’ESS", ESS France a mis en avant les entreprises Label Emmaüs et Le Livre vert, qui misent toutes les deux sur un ancrage territorial fort.    

Alors que le commerce en ligne s’est envolé avec la crise sanitaire, en particulier lors du premier confinement, le chiffre d’affaires du secteur devrait atteindre 110 milliards d’euros en France en 2020, selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad). Dans ce paysage, si Amazon n’est pas la seule enseigne à progresser en France, avec par exemple une baisse de part de marché de 8% entre mars et mai 2020 par rapport à l’année précédente selon un baromètre Kantar, le leader du e-commerce n’en finit pas de croître avec un chiffre d’affaires mondial qui pourrait atteindre 400 milliards d’euros en 2020. 
 
Pourtant, le groupe Amazon et les autres "géants du commerce en ligne posent de sérieuses questions en termes de droit du travail, de justice sociale, de protection de l’environnement, de production de déchets, et sur leurs impacts néfastes sur les commerces de proximité", selon ESS France, la chambre française de l’économie sociale et solidaire (voir nos articles de novembre et décembre 2019). Alors que les "cyberacheteurs" seraient de plus en plus "éco-responsables", à en croire une étude de KPMG et de la Fevad publiée en novembre 2020, le développement d’un e-commerce alternatif est-il crédible ? "Vivre sans Amazon : c’est possible ?", s’interroge ainsi ESS France, à travers un site éphémère dédié. Dans le cadre de son projet "La République de l’ESS", l’organisation représentative de l’ESS animait le 26 janvier 2021 un webinaire autour de cette question.   

Ce qui inquiète, dans le modèle Amazon, c’est "son gigantisme", selon Nayla Ajaltouni, du Collectif Ethique sur l’étiquette. D’abord parce que, avec cette taille, l’entreprise "va décupler ses impacts sociaux et environnementaux", mais également parce qu’elle "va imprimer une tendance et des modèles économiques" sur des pans entiers de l’économie, tels que la mode, la grande distribution et, bien sûr, le e-commerce. La taille des entrepôts – 236.000 mètres carrés pour les quatre centres de distribution Amazon présents en France – et la rapidité de livraison sont deux ingrédients du succès de l’enseigne. A l’inverse, des sites de e-commerce à vocation sociale et/ou environnementale se développent à un rythme bien plus lent et avec des volumes bien plus modestes. 

Label Emmaüs : "Notre entrepôt est petit, en circuits courts, il va chercher les déchets"

Lancée en 2016, la boutique en ligne "Label Emmaüs" est alimentée par des points de vente du mouvement Emmaüs – qui en compte au total quelque 450 partout en France – et par des structures partenaires de l’ESS – 120 aujourd’hui. L’ambition n’est pas de "monter un contre-Amazon", mais bien de "former des gens à des métiers porteurs", a expliqué Maud Sarda, co-fondatrice et directrice. Label Emmaüs est en effet une entreprise d’insertion, qui a créé sur son unique entrepôt logistique d’Ile-de-France des postes en insertion de préparateurs de commande, magasiniers ou livreurs.
 
L’entreprise sociale développe un type d’entrepôt bien différent de celui de l’enseigne à la flèche. "Notre entrepôt est petit (1.000-1.500 mètres carrés maximum), il est en circuits courts, il ne va jamais au-delà, en termes de transport, de sa région, il va chercher les déchets – il n’en produit pas", a décrit Maud Sarda. Alors que la plateforme de Seine-Saint-Denis collecte principalement les invendus de livres des boutiques Emmaüs et ressourceries de la région, une nouvelle plateforme ouvrira prochainement dans le Lot-et-Garonne avec une spécialisation sur le mobilier d’occasion. Avant, éventuellement, l’ouverture d’autres sites en France, spécialisés sur d’autres filières.   
 
En attendant, Label Emmaüs s’attache à développer son catalogue en ligne – 1,3 million de produits référencés actuellement, dont beaucoup de livres –, avec un défi à résoudre sur le passage à des ventes en "omni canal", soit "en simultané en magasin et en ligne". Aujourd’hui, boutiques et ressourceries souhaitant vendre des produits en ligne doivent avoir des stocks dédiés, ce qui constitue un "plafond de verre" pour le développement du catalogue, a expliqué Maud Sarda. L’entreprise sociale vient par ailleurs d’ouvrir "Trëmma", un espace de don et d’achat d’objets en ligne, avec des transactions destinées à financer des projets sociaux ; une sorte de "Bon coin" solidaire.

A Bordeaux, bientôt un "village du réemploi" pour rendre visibles les alternatives  

Sans la notoriété du mouvement Emmaüs mais avec une approche locale revendiquée, l’entreprise d’insertion bordelaise "Le Livre vert" collecte, trie, vend, donne ou recycle des livres. Soumise à une rude concurrence sur ce produit, l’entreprise s’attache à "montrer cette chaîne de valeur" créée – collecte territoriale, réemploi, insertion sociale… –, à multiplier les partenariats locaux ou encore à avoir une présence "hors ligne" – une "boutique éphémère du réemploi" a été par exemple récemment installée avec des partenaires dans un centre commercial. 
 
Pour se faire connaître davantage et "répondre à une appétence du public pour consommer de manière plus responsable", la prochaine étape pour Le Livre vert et ses partenaires du collectif ïkos, c’est de "créer un village du réemploi" dans la métropole bordelaise, a témoigné Vera da Cunha, cofondatrice du Livre vert. A la fois "centre de tri pour les livres, textiles, matériaux de construction, objets ou appareils", centre commercial de l’occasion, recyclerie, lieu d’événementiel et pôle de R&D, cet espace de 17.000 mètres carrés serait  "le premier de cette envergure en Europe", selon un communiqué de présentation du projet. 
 
Ainsi, sans prétendre rivaliser avec Amazon, les sites alternatifs s’attachent au moins à être visibles, ce qui passe par des lieux physiques et un lien fort au territoire. ESS France rappelle que son projet "La République de l’ESS" donnera lieu à un congrès à l’automne 2021 et à une déclaration commune des acteurs de l’ESS.

 

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