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Récolement des œuvres d'art : près de 20% des dépôts dans les départements ont disparu

La mission de la Commission de récolement des dépôts d'œuvre d'art (CRDOA) vise à retrouver la trace des œuvres d'art propriété de l'Etat placées en dépôt auprès d'innombrables institutions, dont les collectivités locales. La tâche est fastidieuse, entre autres du fait de la "grande dispersion d'œuvres sur le territoire national dans des communes petites ou moyennes". Des synthèses départementales et régionales sont réalisées, qui montrent de forts écarts entre territoires quant à la proportion de biens "non localisés" et donc "toujours recherchés"...

Inlassablement depuis sa création en 1996, la Commission de récolement des dépôts d'œuvre d'art (CRDOA) poursuit son travail de fourmi en vue de retrouver la trace des œuvres d'art placées en dépôt auprès d'innombrables institutions : Élysée, Parlement, ministères, établissements publics, musées, ambassades, préfectures, collectivités territoriales... Elle rend aujourd'hui public son rapport d'activité 2019, remis au ministre de la Culture en septembre dernier. Ce document montre que si le travail de récolement progresse, la tâche est encore très loin d'être arrivée à son terme. Lors de sa création il y a 25 ans, la CRDOA avait théoriquement deux ans pour réaliser le récolement des œuvres en dépôt... Après avoir été prolongé à deux reprises, le mandat de la commission a finalement été pérennisé en 2007.

Une certaine lassitude

A propos de ces œuvres en dépôt, le rapport rappelle que, "déposés dans toutes sortes d'organismes ou de collectivités, ces biens n'en sont pas moins des composantes du domaine public mobilier de l'État et de son patrimoine artistique". Au-delà de ce rappel utile au regard du nombre d'œuvres dont on ne retrouve plus la trace, le rapport 2019 laisse percer une certaine lassitude. Il relève tout d'abord que "le rythme de récolement des dépôts par les institutions déposantes ne permet pas d'envisager le bon accomplissement de cette mission dans les délais actuellement prévus par les textes". Une situation qui s'explique notamment, au moins pour partie, "par des raisons matérielles tenant à la grande dispersion d'œuvres sur le territoire national dans des communes petites ou moyennes (Cnap [Centre national des arts plastiques], voire musées nationaux) ou par le grand nombre de pièces de série à inventorier le plus souvent à l'étranger (Sèvres) ou encore par un rythme de récolement peu adapté (Mobilier national)".
La CRDOA demande donc que soit systématisé, dans le cadre d'une programmation partagée sous l'égide de la commission, le recours à toutes les formules de mutualisation ou de substitution pour la conduite des missions de récolement sur place.
Autre point majeur soulevé par le rapport : "Le bon accomplissement de ces travaux suppose que, dans le cadre tracé par la circulaire du Premier ministre du 15 avril 2019 [voir notre article du 17 avril 2019], les bases de données des institutions déposantes soient mieux partagées avec les institutions dépositaires, afin que les registres et inventaires de ces dernières puissent s'appuyer sur une pleine interopérabilité avec les premières. Ceci est de nature à faciliter la préparation et la réalisation du récolement des œuvres chez les dépositaires".

Des synthèses départementales plus nombreuses, mais moins exhaustives

En attendant d'obtenir satisfaction sur ces deux points, la CRDOA avance. Elle continue notamment de centraliser et de publier les synthèses sectorielles ou géographiques, mises à disposition sur le site du ministère de la Culture. En 2019, 36 de ces synthèses ont ainsi été publiées, dont 26 nouveautés et 10 actualisations, ainsi que 4 bilans régionaux, soit un résultat légèrement supérieur à celui de l'année précédente. L'essentiel de ces synthèses (28) concerne des départements, 5 de grandes institutions et ministères (dont les services du Premier ministre et l'Élysée et les résidences de la présidence de la République), tandis que 3 concernent des implantations à l'étranger.
A ce jour, 58 départements sur 96 – l'outremer étant considéré comme une seule entité, d'autant que la Guyane et Mayotte n'ont fait l'objet d'aucun dépôt de l'État – ont fait l'objet d'une synthèse. Le rythme de réalisation de ces synthèses s'est très fortement accéléré depuis deux ans, mais au prix d'un sérieux accommodement, puisque la décision a été prise en 2017 de renoncer à la fois à l'objectif que tous les récolements chez les dépositaires d'un département soient achevés pour en établir la synthèse et à l'objectif de recenser tous les mouvements de dépôts. A ce jour, le bilan des synthèses départementales (voir lien ci-dessous) fait état de 68.041 biens récolés sur 86.793 déposés, soit un taux de récolement de 78,39% et de 13.331 biens disparus, soit un taux de disparition de 18,27%. Ces disparitions ne sont pas nécessairement synonymes de vols par les dépositaires (même ci-ceux si existent, comme l'ont montré plusieurs affaires récentes, notamment en préfectures), mais elles signifient que les œuvres en question n'ont pas été localisées. Par ailleurs, le terme de "départements" doit s'entendre comme entités géographiques et administratives et non pas comme collectivités territoriales (même si celles-ci figurent aussi parmi les dépositaires).

De forts écarts entre territoires

Pour leur part, les bilans régionaux correspondent à l'agglomération des synthèses départementales. Quatre d'entre eux ont été finalisés en 2019, portant sur la Bretagne, la Corse, la Nouvelle-Aquitaine et l'Occitanie. Ils s'ajoutent au bilan de la Bourgogne-Franche-Comté, publié en 2018. Ces bilans régionaux montrent de forts écarts entre territoires : les taux des "biens non localisés à l'issue des récolements et toujours recherchés" sont ainsi de 5,85% en Corse (seulement 196 biens non localisés), 9,40% en Nouvelle-Aquitaine (1.528 biens), 19,89% en Occitanie (1.690 biens) et 38,81% en Bretagne (2.167 biens). 
Face à ces biens en déshérence – mais pas forcément pour tout le monde –, la CRDOA ne reste pas inactive. Son rapport d'activité rappelle en effet que 123 demandes de plaintes ont été formulées en 1019 et que 27 ont été effectivement introduites par les institutions déposantes. Deux titres de recettes ont par ailleurs été émis, dont l'un de 129.170 euros à l'encontre de l'Académie de France à Rome.

La vaisselle cassée de l'Élysée

La tâche est cependant loin d'être achevée, puisqu'au 31 décembre 2019, il reste plus de 67.700 suites à déterminer sur des dossiers récolés entre 1996 et 2019. La très grande majorité (63.913) concerne des biens déposés par la Manufacture de Sèvres, dont 55.900 concernent des dépôts de porcelaines dans les résidences de la présidence de la République. Les présidents actuels et récents ne sont heureusement pas en cause, puisque l'essentiel (53.000 objets) concerne des dépôts antérieurs à 1940 (avec de très nombreuses petites pièces de service de table).
Non sans quelque ironie, le rapport de la CRDOA indique qu'"on relève à titre d'explication principale mais non exhaustive que, par vagues entre 1960 et 2009, la présidence a restitué à la Manufacture de Sèvres plus de 1,6 tonne de porcelaines brisées qu'il n'est malheureusement pas possible de dénombrer"...

 

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