Pour France Stratégie, le pouvoir d'achat tient plus aux revenus qu'au lieu de vie

Si l'augmentation de la taxe carbone a été le déclencheur de la crise des gilets jaunes, France Stratégie relativise le poids des coûts de transport dans les écarts de pouvoir d'achat par rapport au prix du logement. C'est dans les centres des agglomérations comme dans les communes éloignées que ce pouvoir d'achat est le plus faible, conclut une étude dont les auteurs reconnaissent cependant que la situation est peut être en train de changer avec l'envolée des prix des carburants et des coûts de l'énergie.

Quatre ans après la crise des gilets jaunes, France Stratégie a cherché à savoir "dans quelle mesure le lieu de vie affecte le pouvoir d’achat des ménages français". Une façon de voir si les représentants de la "France périphérique" étaient réellement fondés dans leurs revendications ? C’est ce que sous-entendent les auteurs pour qui la crise des gilets jaunes "a conduit à émettre l’hypothèse qu’il pouvait manquer à notre politique sociale des instruments spatialisés de redistribution", de type chèque-transport en fonction du lieu de localisation. Le sujet revêt une acuité particulière avec la crise énergétique et l’inflation galopante de ces derniers mois. Au terme de deux études complémentaires publiées le 16 février (Dépenses de logement et de transport : quels arbitrages ? et Restes à dépenser et territoires), l’organe de réflexion rattaché à Matignon en vient à relativiser le poids des inégalités territoriales. "C'est dans les périphéries des zones d’emploi, comme dans leurs centres, qu’on trouve les ménages aux budgets les plus contraints", conclut-il dans un communiqué. "Non parce qu’ils font face à des coûts plus élevés, mais parce que leurs ressources sont plus faibles." En d'autres termes, les fractures sociales pèseraient plus que les inégalités territoriales…

Le logement, premier poste de dépenses contraintes

Ce travail se sert d’un indicateur de "reste à dépenser" (notion voisine de celles de "reste à vivre" ou "reste pour vivre" souvent utilisées par d'autres acteurs ou observateurs, avec des périmètres parfois variables), bien plus précis que celui du niveau de vie. C’est-à-dire ce qu’il reste au ménage "une fois que ce dernier a fait face à trois dépenses qui sont nécessaires" : l’alimentation, le transport et le logement. Ce "panier" de dépenses contraintes, censé refléter le pouvoir d’achat, représentait en moyenne en 2017 (date des données de l’Insee utilisées dans les études) la moitié du revenu disponible des ménages : l’alimentation 13%, le transport quotidien 11% et le logement 26%. Le plus gros poste de dépenses est donc celui du logement (environ 502 euros en moyenne par mois), suivi de l’alimentation (239 euros par mois) et des transports (210). Mais il ne s’agit là que de moyennes, car pour les ménages les plus modestes, ces trois postes de dépenses absorbent la totalité du revenu disponible, parfois même plus (une bizarrerie que France Stratégie explique par un "enregistrement imparfait" des revenus : allocations perçues, travail non déclaré…).

Les auteurs Pierre-Yves Cusset et Alain Trannoy ont ensuite cherché à savoir comment variait ce "reste à dépenser" selon la localisation des ménages. Si les dépenses d’alimentation apparaissent comme assez homogènes sur le territoire, ce sont celles liées au transport et au logement qui varient le plus en fonction du lieu de vie, même si s’opère un jeu de "vases communicants" : les ménages "s’adaptent", ils compensent les écarts de prix du logement par des logements plus petits, arbitrent entre dépenses de logement et de transport, expliquent les auteurs.

Le pouvoir d'achat le plus élevé à Paris

Exception faite de la région parisienne, les régions affichent à peu près toutes le même profil, avec un reste à dépenser par unité de consommation (c'est-à-dire pour un célibataire ou pour le premier adulte comptabilisé au sein du ménage) qui s’échelonne de 808 euros (nord de la France) à 938 euros (est). A une maille plus fine, les restes à dépenser apparaissent comme les plus faibles au centre des agglomérations et dans les communes éloignées de plus de 30 km des zones d’emploi, avec respectivement 882 et 847 euros. Entre 10 et 30 km de ces zones d’emplois, on se situe au-dessus des 900 euros.

Les auteurs poussent un peu plus loin leurs observations, à partir de la taille des agglomérations. Il apparaît ainsi que dans les métropoles de plus de 700.000 habitants (Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux, Toulouse, Rennes, Nantes, Strasbourg, Montpellier et Grenoble), le reste à dépenser est de 808 euros, inférieur à celui de leur couronne (897 euros). L’écart est plus marqué pour les agglomérations de 200.000 à 700.000 habitants, qui affichent un reste à dépenser de 849 euros, bien moindre que celui de leur proche périphérie (978 euros).

La région parisienne constitue un cas à part : c’est ici que le panier des dépenses contraintes est le plus élevé mais c’est aussi dans cette région que les ressources sont les plus élevées. Et c’est donc dans l’agglomération parisienne qu’on trouve le pouvoir d’achat le plus élevé avec un reste à dépenser de 1.147 euros par mois par unité de consommation et 1.165 pour l’ensemble de la région. Bien plus que dans les sept autres grandes "régions" étudiées (zones d’aménagement du territoire). "Si les ménages parisiens disposent d’un reste à dépenser en moyenne plus élevé que celui des autres ménages, c’est certes parce qu’ils ont des revenus en moyenne supérieurs, mais c’est aussi parce qu’ils consentent à d’importants sacrifices en matière de conditions de logement", soulignent les auteurs. Sacrifice qui se traduit par la taille des logements, plus étroits que partout ailleurs en France.

Sentiment de dépossession

Les études ne permettent cependant pas de connaître précisément la situation de cette France périphérique. Elles ne fournissent pas d’éléments précis par exemple sur les écarts entre les métropoles et le reste de leur territoire. Et les auteurs reconnaissent eux-mêmes les limites de leur travail. Tout d’abord, celui-ci repose sur les prix de 2017 : l’envolée des coûts de l’énergie, en particulier des carburants, a sans doute changé la donne. "La hausse des prix de l’énergie qui a eu lieu depuis a un impact beaucoup plus fort sur les ménages qui doivent prendre leur voiture pour se déplacer ou dont la dépense de logement intègre une forte composante énergie."  Et si l’augmentation de la taxe sur les carburants a pu servir de détonateur, elle est loin d’expliquer à elle seule l’ampleur de la crise des gilets jaunes. "L’éloignement géographique, choisi ou subi, peut se doubler d’un éloignement social, politique ou culturel qui pèse sans doute plus lourd dans l’émergence du mouvement de contestation que les questions purement financières." Un sentiment de "dépossession" qui constitue le cœur du dernier ouvrage de Christophe Guilluy (Les dépossédés, Flammarion), cité en note de bas de page. Ils ne traitent pas non plus des effets d’éviction et de relégation suscités par le coût de l’immobilier au coeur des grandes métropoles comme l’a récemment montré une étude de l’Insee (voir notre article du 12 janvier 2023). On pourrait par ailleurs se référer au récent rapport du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), qui a pour sa part calculé des "budgets de référence" pour le milieu rural, la ville moyenne et la métropole du Grand Paris et fait entre autres apparaître qu'une "vie décente", du fait d'une "une combinaison optimale du coût du logement, de la disponibilité de services publics et d’équipements collectifs", semble plus abordable en ville moyenne (voir notre article du 9 janvier 2023).

 

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