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Services publics en milieu rural : un manque de vision globale, regrette la Cour des comptes

La Cour des comptes a rendu public ce 20 mars un rapport consacré à "L'accès aux services publics dans les territoires ruraux". Malgré la multitude de schémas, dispositifs et initiatives, les politiques publiques visant à maintenir ou faire évoluer intelligemment la présence de ces services dans les territoires les plus isolés manquent d'efficacité, estime-t-elle. Principalement parce qu'elles sont mal coordonnées. Le numérique devrait faciliter les choses. Mais à certaines conditions.

Comment mieux adapter l'offre de services publics aux besoins des territoires ? L'égalité d'accès à ces services est-elle assurée, y compris en milieu rural ? Ces services sont-ils efficaces ? La Cour des comptes a rendu public ce mercredi 20 mars un rapport de 150 pages sur le sujet. Sobrement intitulé "L'accès aux services publics dans les territoires ruraux", ce rapport résulte d'une enquête réalisée à la demande du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale et avec l'appui de six chambres régionales des comptes. Il est d'ailleurs accompagné de six monographies décrivant la situation sur des territoires précis, en l'occurrence des intercommunalités de l’Aisne, de l’Ardèche, du Cher, de la Corrèze, de la Côte-d’Or, de la Creuse, de la Haute-Saône et des Vosges.

Le rapport s'ouvre par un chiffre qui donne une idée de l'enjeu : 15% de la population vit dans des "territoires ruraux situés en dehors des zones d’influence des grandes villes et des principaux bassins d’emplois". Une population peu dense, qui compte une part croissante de personnes âgées. Des territoires mal desservis par les transports, faiblement attractifs… "y compris pour pourvoir les emplois nécessaires au fonctionnement des services publics".

Un maillage dense... mais mal coordonné

D'emblée, la Cour met l'accent sur l'atout que représente aujourd'hui le numérique en termes d'accès aux services publics pour les territoires isolés. Mais précise évidemment que cela suppose, d'une part des infrastructures numériques suffisantes, d'autre part l'existence de "dispositifs d’accompagnement de la population". Or ces deux "conditions sont loin d’être remplies", tranche-t-elle. Résultat : une dématérialisation qui risque au contraire de "renforcer le sentiment d’exclusion".

Le rapport tend aussi à nuancer le tableau catastrophiste qui est parfois dressé çà et là. Non, "il n’y a pas eu d’abandon généralisé de ces territoires par les grands réseaux nationaux de services publics". Mais les choses varient forcément beaucoup selon les types de services dont on parle. La Cour a de ce fait choisi de distinguer "trois catégories de réseaux".

Premièrement, ceux dont l'obligation de service est inscrite dans la loi : gendarmerie, Education nationale… mais aussi La Poste. Le maillage "reste dense", ce qui n'empêche pas des réorganisations.

Deuxièmement, des services ayant vocation à basculer vers une dématérialisation d'une bonne partie des procédures : réseau des préfectures et des sous-préfectures, DGFIP, Pôle emploi… Là, les mutualisations et autres évolutions sont jugées "nécessaires et souhaitables". A condition d'être anticipées, coordonnées (éviter à toucher à plusieurs réseaux au même moment…) et concertées.

Enfin, à l'heure où débute l'examen du projet de loi Santé et de ses mesures "territoriales", la Cour fait un cas à part des services liés à l'offre de soins et à la dépendance. Ne serait-ce que parce qu'elle est en partie liée au secteur libéral et ne peut donc être totalement planifiée. Elle relève d'ailleurs l'insuffisance des indicateurs dont on dispose à ce jour pour mesurer "l'accès effectif aux soins". Et que l'on ne compte plus les mesures incitatives ayant été prises… avec un effet "jusqu'ici limité". Avec, toutefois, un satisfecit pour les maisons de santé pluridisciplinaires, à condition que leur création soit "précédée d’une analyse préalable des besoins de santé de proximité, ce qui n’est pas toujours le cas".

Privilégier les SDAASP

De même, dans tous les domaines, les annonces, les lois, les dispositifs et les initiatives se sont succédé "depuis trois décennies". Jusqu'à tourner un peu en rond. Selon la Cour, le problème est double : "la difficulté de coordonner les différentes réorganisations des réseaux" et "l’insuffisante prise en compte des caractéristiques sociodémographiques et géographiques très diverses des territoires ruraux." Tout cela manque "d'autorité et de coordination"… et d'interministérialité. Le CGET n'a pas assez de pouvoir. Les principaux arbitrages devraient relever du Premier ministre.

Au niveau local, la dimension concertée ne serait pas non plus évidente, du fait notamment des "chevauchements de responsabilités en matière de présence locale des services publics". Les schémas se superposent. Pour la Cour, le schéma à promouvoir est naturellement le schéma départemental d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP). Ayant examiné ces schémas, elle constate plusieurs choses : ils ont été mis au point tardivement, les besoins n'ont pas toujours bien été analysés, les autres schémas et contrats n'ont pas été suffisamment pris en compte, ils sont parfois peu opérationnels… et ils n'engagement même pas toujours les services de l'Etat.

Côté solutions, le rapport considère que les maisons de services au public (MSAP) correspondent bien au modèle à développer. Ces maisons doivent toutefois "accroître leur niveau d’activité, leur qualité de service et leur notoriété", peut-on lire. Ce qui passerait entre autres par la "création d’un métier reconnu d’agent polyvalent d’accompagnement du public" et par de nouvelles modalités de financement.

Les 13 recommandations de la Cour des comptes

  • Assurer prévisibilité et concertation dans le resserrement des réseaux nationaux de services au public

1. Définir des objectifs mesurables d’accessibilité en fonction de la diversité des services ;

2. anticiper les éventuelles restructurations des réseaux de l’État dans le cadre d’un schéma pluriannuel concerté au plan national avec l’autorité responsable de la politique d’aménagement du territoire et localement avec les élus et le représentant de l’État.

  • Faire de l’accès aux services publics un volet d’une politique renforcée de cohésion territoriale

3. Affirmer la responsabilité du ministère en charge de la cohésion des territoires dans la définition de l’offre de services publics locaux et prévoir une procédure d’arbitrage sous l’autorité du Premier ministre en cas de nécessité ;

4. analyser de façon régulière et indépendante la qualité de l’accès aux services publics dans les zones rurales, à partir d’indicateurs, en associant des représentants du Parlement et des associations d’élus locaux.

  • Clarifier les responsabilités en matière d’accès aux services publics dans les territoires ruraux

5. Faire du département l’échelon de concertation et de définition de la présence des services publics de proximité ; mettre en place une coordination départementale des maisons de services au public, sous la double autorité des préfets de département et des présidents de conseils départementaux ;

6. décliner les SDAASP dans des conventions liant l’État, les départements et les EPCI, et engageant les administrations de l’État et les collectivités parties prenantes ; les compléter par des orientations sur l’évolution programmée des services de l’État, et de l’offre santé et dépendance ; à cette fin, associer les délégués départementaux des ARS et la CPAM à leur élaboration.

  • Regrouper les dispositifs et simplifier la gestion

7. Faire des EPCI l’échelon d’exécution des SDAASP ; leur confier la gestion des maisons de services au public qui deviendrait une compétence obligatoire des communautés de communes ;

8. réduire le nombre des dispositifs ; prévoir l’articulation entre schémas régionaux et départementaux ; assurer la cohérence entre le volet opérationnel des SDAASP et les contrats de ruralité, et affecter prioritairement les financements territorialisés de l’État au volet opérationnel des SDAASP.

  • Développer la qualité et l’attractivité des offres mutualisées de services publics, principalement celle des MSAP

9. Revoir les modalités de financement des MSAP en intégrant une contractualisation pluriannuelle et en augmentant le nombre de partenaires ;

10. conditionner la création de nouvelles MSAP de La Poste, d’une part, à un enrichissement et à un élargissement préalable des prestations et, d’autre part, à une évaluation du besoin au regard du maillage préconisé dans chaque SDAASP ;

11. créer le métier d’agent polyvalent d’accompagnement du public avec une obligation de formation continue pour ces agents, en particulier pour l’aide numérique au public.

  • Favoriser l’accès numérique aux services publics, tout en conservant une complémentarité hiérarchisée des modes d’accès

12. Faire bénéficier à terme les territoires ruraux d’une couverture internet très haut débit, ou de modalités d’accès à internet de qualité équivalente, conformément aux objectifs de l’Union européenne à l’horizon 2025 ;

13. prévoir un principe d’accès multicanal au service public, consistant à compléter l’accès normal en ligne par une possibilité de recourir de façon hiérarchisée à d’autres modes d’accès, téléphonique ou physique.