Territorialisation de la planification écologique : la COP régionale Île-de-France enfin lancée

Plusieurs fois reporté, le coup d’envoi de la COP d’Île-de-France a été donné ce 2 avril. Si la présidente du conseil régional, Valérie Pécresse, estime que ce délai a permis au ministère de corriger en partie sa première copie, les divergences restent grandes. Principale pierre d’achoppement, la méthode, qui ne retient que les émissions de gaz à effet de serre domestiques, au détriment d’une réindustrialisation souhaitée. Une figure imposée par l’Accord de Paris, avec laquelle il va falloir composer, en Île-de-France comme ailleurs, défend de son côté le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.

Le coup d’envoi de la COP Île-de-France a enfin été donné ce 2 avril. Comme l’ont rappelé tour à tour le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu et la présidente du conseil régional Valérie Pécresse, ce lancement a été par trois fois reporté. "Heureusement", estime toutefois l’élue francilienne. S’adressant au ministre, elle considère en effet que "cela a été très utile. Cela a permis à mes équipes de convaincre les vôtres, et notamment le SGPE (secrétariat général à la planification écologique), de corriger une partie des erreurs de la première copie, qui ignorait un certain nombre de lois votées ou de textes publiés qui s’imposent à la région Île-de-France. Une copie qui ignorait aussi les résultats déjà obtenus par la région, voire un certain nombre de projets que nous avons, État et région, collectivement engagés". D’emblée, le ton était donné.

Méthode contestée

"Néanmoins, je crains que cela ne soit pas encore suffisant", prévient Valérie Pécresse. D’abord parce que, selon elle, "pendant un an et demi, le secrétariat général à la transition écologique a travaillé d’arrache-pied à la déclinaison de Fit for 55 à la maille nationale. Mais Fit for 55 est malheureusement atteint d’un péché originel : il est myope [borgne]. Il ne regarde que d’un seul œil. L’Europe a choisi de ne compter que ses émissions de gaz à effet de serre domestiques, [État membre par État membre], restant aveugle aux émissions comprises dans ses importations. Or, si vous prenez le cas emblématique de l’Île-de-France […], l’image est totalement faussée". Elle estime donc que "c’est sur une base biaisée que s’est ouvert en fin d’année le temps que le gouvernement a appelé la planification écologique et territoriale". 

Territorialisation défaillante ?

Ensuite parce que l’élue francilienne déplore une vision trop technocratique de l’exercice. "Vous devez accepter de voir l’Île-de-France dans toute sa singularité, et donc nous sortir d’un certain nombre d’injonctions contradictoires", implore-t-elle, en indiquant que si la région est celle "de toutes les excellences, d’une grande prospérité", elle est "aussi, hélas, celle des contrastes et des inégalités […], marquée par de profondes fractures territoriales".

Et de lancer : "Il ne suffit pas de faire tourner des ordinateurs à Paris et d’enjoindre aux collectivités de respecter les objectifs qu’ils crachent mécaniquement indépendamment de la réalité du territoire". Une critique contestée tant par le secrétaire général à la planification écologique, Antoine Pellion – "La planification, ce n’est pas le Gosplan. On n’arrive pas depuis Paris en disant : c’est comme ça que cela va se passer" – que par le ministre, qui se dit convaincu qu’il "faut écouter les maires". Et d’objecter que, précisément, "on territorialise la planif. !"

Urgence sociale et urgence écologique

"Nous sommes encore loin d’une vision totalement partagée", insiste toutefois la présidente de région, pour qui "nous devons répondre à l’urgence sociale autant qu’à l’urgence écologique". Elle revendique ainsi "deux priorités : la construction de logements et la réindustrialisation de la région". Côté logements, elle avertit d’emblée "qu’on ne pourra pas, d’un coup de baguette magique, multiplier par 4 l’année prochaine" les 72.000 rénovations de logement déjà réalisées annuellement. "Encore moins avec les économies drastiques que vient d’annoncer le gouvernement sur MaPrimeRenov’", grince-t-elle. En outre, elle "assume de dire que ma priorité, c’est de construire. Mieux, évidemment. Mais de construire davantage […]. Même si ça télescope vos objectifs".

Plaidoyer pour la réindustrialisation

Côté industrie, elle relève que "si les émissions domestiques baissent, c’est que nos dernières usines franciliennes ont presque toutes fermé". Convaincue que "la désindustrialisation qui nous frappe depuis 30 ans est une catastrophe sociale [mais] aussi une environnementale, car un bien produit en Île-de-France émet bien moins qu’un bien produit au charbon et transporté depuis l’autre bout du monde", elle n’en démord pas : "Il faut intégrer impérativement le bilan carbone des importations de l’Île-de-France. Sans cela, l’exercice sera théorique et vain […]." Et de poursuivre son plaidoyer : "La décroissance industrielle en France, c’est l’assurance d’émettre davantage à l’échelle de la planète […]. C’est l’assurance d’une dette encore plus galopante, y compris environnementale, d’une pauvreté en croissance, de l’impossibilité de pouvoir réaliser les investissements nécessaires à la décarbonation. C’est pour cela que notre devoir est de réindustrialiser l’Île-de-France." 

Le nœud du fret ferroviaire

L’élue met encore en avant "un dernier point sur lequel nous devons trouver un terrain d’entente […] : le fret ferroviaire". "Nous n’avons pas vocation à devenir la gare de triage du pays au détriment des voyageurs du quotidien", lance-t-elle. "C’est pourquoi, à l’heure où l’État exige que je réintègre la ligne Paris-Normandie dans le schéma d’aménagement de la région – alors qu’elle artificialisera massivement nos terres : encore une injonction contradictoire ; on l’assume pour le bien de nos voisins normands –, je demande que soit lancée une étude sur le grand contournement nord et sud de l’Île-de-France par le fret ferroviaire."

Que l’État lâche prise

Plus largement, Valérie Pécresse juge enfin que "la simplification en matière environnementale s’impose. Pour le seul secteur de l’écologie, c’est une dizaine de schémas que mes équipes et les vôtres, avec les parties prenantes, devront élaborer et réviser dans les prochains mois. Dix schémas, c’est ubuesque ! On aimerait tellement que l’État lâche prise et fasse confiance au terrain […]. Qu’il se consacre davantage à ce qui relève de sa responsabilité, c’est-à-dire agir sans tarder au niveau européen pour que le Green Deal soit réévalué stratégiquement", notamment "pour prévenir les pratiques commerciales déloyales".  

Région exemplaire

En préambule, elle s’était d’ailleurs plu à souligner qu’elle "n’avait pas attendu cette COP" pour se mettre à l’ouvrage (voir notre article du 23 septembre 2022). Et de relever ainsi que l’Île-de-France a été la première région "à se fixer l’objectif zéro artificialisation nette en 2050, avant même que la loi ne l’exige", qu’elle "sera, fin 2025, la première métropole européenne aux transports en commun totalement décarbonés" ou encore qu’elle s’est fixé, lors d’une première COP organisée en 2020, l’objectif "d’être une région 0 émission nette". "En matière de sobriété, l’Île-de-France est en haut du tableau. Nous ne comptons que pour 9% des émissions nationales alors que nous produisons plus de 30% des richesses". Et "moins de 5% de l’espace artificialisé pour 18% de la population française", vante-t-elle. Et de conclure : "L’écologie, ce n’est pas une affaire de normes, mais de terrain. Pas une affaire d’injonctions, mais de résultats, et elle n’appartient qu’à ceux qui font."

Figure imposée

L’exercice s’annonce donc sportif ces prochains mois. D’autant plus que, Christophe Béchu l’a réaffirmé, la méthode ne sera pas modifiée. "On est parti d’un principe simple : nous n’avons pas réinventé l’Accord de Paris", défend-il, rappelant que "les engagements internationaux sont basés sur des émissions domestiques". Et d’expliquer : "Oui, c’est mieux d’intégrer l’empreinte globale. Mais si je la compte, le risque c’est d’être dans des double-comptes, surtout si je descends à une échelle régionale […]. On ne peut pas s’engager sur un dispositif qui ne correspond pas au standard international sur lequel nous avons pris des engagements. Cette méthode là est le présupposé de départ". Même si elle n’est pas sans défaut, le ministre ayant auparavant lui aussi relevé, par exemple, que la diminution constatée des émissions dans l’industrie en France n’était pas due "à l’impact d’une politique publique voulue", mais "à la désindustrialisation".

Le financement, un "vrai sujet"

Interrogé par ailleurs sur le financement, le ministre admet que "ça, c’est un vrai sujet. Ça [la transition écologique], ça coûte l’équivalent des 68 milliards, à la fin de la décennie, estimés par le rapport Pisani-Mahfouz. Dans cette part, on considère qu’il y a 30 milliards qui relèvent de la sphère publique, et dans cette part, celle qui relève des collectivités, c’est de l’ordre d’une dizaine. C’est la raison pour laquelle, l’année dernière, a été voté un fonds vert, avec un effet de levier qui fait que pour 1 milliard de subventions mis par l’État, on a atteint l’équivalent de 5 milliards de dépenses. La somme de départ était de deux, c’est donc dix milliards d’euros qui ont été investis en surplus". Pas sûr que l’équation ainsi posée suffise à convaincre les collectivités. Par ailleurs attaqué sur les récents coups de rabots budgétaires, Christophe Béchu a tenu à remettre les pendules à l’heure, en indiquant que les crédits du ministère sont à un niveau "qui n’a jamais été aussi élevé". Et d’estimer encore que "dire aujourd’hui qu’on manque d’argent à MaPrimeRenov, c’est se moquer du monde", en relevant que le budget de l’an dernier n’avait pas été dépensé. 

Défense des "petits"

Le ministre a en revanche concédé que "si on n’embarque pas la population, ça ne marche pas", en prenant en particulier la défense, quelque peu inattendue, des agriculteurs. Estimant que "les efforts, on doit d’abord les demander aux gros", il indique : "L’agriculture, ce sont des petits. En moyenne, 1,69 ETP par exploitation dans ce pays. C’est comme si quelqu’un expliquait qu’une mairie de 50 habitants [doit] se montre[r] plus exemplaire que la mairie de Paris". Avant d’ajouter : "Et il y a bien des domaines où l’on pourrait montrer que c’est le cas".

Les collectivités d’Île-de-France et de Paca sommées d’agir pour éviter le retour "par la fenêtre" de la consigne plastique

"La consigne plastique, parlons-en. Je suis le maire de la première ville de France à avoir mis en place une cuisine 0 plastique." Sur ce dossier épineux, Christophe Béchu "assume pleinement le fait que nous ayons tordu le cou à la consigne plastique, non pas pour réemploi, mais pour recyclage". Il argue que "dans les pays qui ont mis en place la consigne avec la gratification, il n’y a pas une diminution du nombre de bouteilles vendues, mais la conviction de certains que c’est écologique d’acheter une bouteille en plastique puisque quand on la ramène, on nous rend 10 centimes. Et là, on aggrave un problème".

Mais il souligne le risque "que cela revienne par la fenêtre". Et d’inviter en conséquence les mauvais élèves à l’action : "Je le dis avec beaucoup de tranquillité et de calme : nous sommes la dernière région de France en taux de collecte de bouteille plastique. Nous payons 1,3 milliard d’euros de pénalités à l’Union européenne au titre du budget compte tenu de notre mauvais taux de recyclabilité […]. On a deux régions qui sont en retard : Paca et Île-de-France […]. Vous avez une part de circonstances atténuantes : le nombre de touristes […]. Mais à côté de cela, il y a des sous-investissements de la part des collectivités dans les dispositifs de collecte, il y a des retards dans les collectes en porte-à-porte qui sont difficilement compréhensibles compte tenu de la taille des villes et de leurs moyens budgétaires […]".