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Accaparement des terres : "La vitalité des territoires ruraux est en péril"

Alors que les acquisitions de terres agricoles ont connu une forte progression en 2017, la part des sociétés dans ces transactions a plus que doublé, à 12,6%. Pour la FNSafer c'est le signe d'une financiarisation qui s'accompagne d'une forte concentration des exploitations. Dans le même temps, l'artificialisation des sols a augmenté de 24% ! La fédération plaide pour un renforcement de la régulation qui pourrait se traduire dans le projet de loi sur le foncier agricole promis pour 2019.

Financiarisation et accaparement des terres, urbanisation et artificialisation des sols… d’année en année, les signaux d’alerte lancés par la Fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (FNSafer), qui assurent le contrôle du marché, se confirment. Le cru 2017 des marchés fonciers ruraux, publié le 31 mai, n’échappe pas à la règle.
Le nombre de transactions sur le marché des terres agricoles a augmenté de 7,6% l’an dernier, indique l’organisme. 381.000 hectares ont ainsi changé de mains, soit le plus haut niveau depuis 2001 (+ 5,9% sur un an), pour un montant total de 4,6 milliards d’euros. Un bond de 15,5%. Ce qui pourrait être le signe d’une reprise économique cache une transformation profonde du modèle agricole et l'abandon du modèle familial. Car qui achète ces terres ? De plus en plus de personnes morales (sociétés de portage du foncier ou d’exploitation agricole) et de moins en moins d'agriculteurs. Sur l’année écoulée, les sociétés ont représenté 12,6% des transactions (contre 5% l’an dernier) pour 18,5% des surfaces et 30% de la valeur.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi d’avenir de l’agriculture en 2016, toutes les cessions de parts ou d’actions de sociétés agricoles sont notifiées aux Safer. Ce qui leur permet aujourd’hui d’avoir une visibilité de ce marché qui lui échappait jusque-là. Même si, cette réforme étant encore jeune, la transmission des informations par les notaires, avocats ou centres de gestion peut être "encore partielle", déplore la FNSafer.

"On est vraiment dans la financiarisation de l’agriculture"

En 2017, 6.900 parts sociales ont été cédées par 5.220 sociétés, pour un montant d’1,3 milliard d’euros. L’an dernier, première année de décompte, la FNSafer avait dénombré 5.330 cessions de parts de 4.270 sociétés pour 932 millions d'euros.
Si certains rachats d’investisseurs étrangers notamment chinois ont défrayé la chronique, ces derniers restent peu nombreux. 107 acquisitions étrangères ont été enregistrées l’an dernier, soit 1,6% des transactions mais quand même 9% de la valeur. D’ailleurs 60% de ces transactions proviennent d’Europe. Le Moyen-Orient (friand de haras en Normandie) et l’Asie représentent chacun 15% d’entre elles. Mais "ces chiffres ne comprennent pas les achats d’étrangers via des sociétés immatriculées en France", tient à préciser la FNSafer.

"On est vraiment dans la financiarisation de l’agriculture, juge Emmanuel Hyest. Il n’est pas question de jeter l’ostracisme sur le modèle sociétaire qui est utile quand il est mis en œuvre par des gens vertueux." L’entrée d’investisseurs dans le capital d’une exploitation peut en effet être une opportunité de développement de l’exploitation ou permettre une transmission progressive... Mais le modèle sert aussi à échapper aux radars des Safer avec des montages de plus en plus complexes et opaques. La loi d’avenir de 2014 a accordé un droit de préemption aux Safer pour les cessions totales mais non partielles. Il suffit donc d’acquérir une majorité d’actions pour prendre le contrôle d’une société, tout en s'abritant de leur droit de préemption. L’an dernier les cessions de plus de 50% ont représenté 11% des ventes de sociétés de portage et 20% pour les sociétés d’exploitations.

Projet de loi foncier

Le phénomène de financiarisation se double d’une concentration des exploitations. Car le système est utilisé pour agglomérer des terres. "La tendance à l’agglomération de grandes surfaces au sein d’un nombre limité d’exploitations agricoles se développe", déplore la FNSafer.
Entre 1955 et 2013, le nombre d’exploitations a été divisé par cinq, s’établissant à près de 452.000. Les exploitations individuelles ne comptent plus que pour 65% du total et 37% des surfaces. En 2013, la surface moyenne d’une exploitation en France était de 56 hectares, soit le double de ce qu’elle était en 1988.
L’augmentation de la taille des exploitations rend l’installation des jeunes agriculteurs d’autant plus difficile, les banques se montrant réticentes à accompagner leur projet du fait du poids des investissements nécessaires. "Pour la première fois on arrive à voir des difficultés de ventes sur certains espaces, notamment les régions d’élevages laitiers où l’on avait de très fortes demandes", explique Emmanuel Hyest. C’est notamment le cas dans les Pays de la Loire, en Bourgogne-Franche-Comté ou dans le Limousin, avec des exploitations qui ne trouvent plus acquéreur. "Devant la baisse des perspectives de revenus, on a des inquiétudes sur la continuité de certaines filières", constate le responsable.
A la longue, les paysages se trouvent changés, "les prairies sont retournées, les haies supprimées", le nombre d’emplois agricoles diminue, la biodiversité aussi est atteinte… "La vitalité des territoires ruraux est en péril", alerte Loïc Jegouzo, responsables des études à la FNSafer. Pour la fédération, "l’accaparement de surfaces conséquentes par quelques décideurs, dont les intérêts peuvent ne pas converger avec la politique nationale, pose la question majeure de la souveraineté alimentaire de la France".
A cela s’ajoute l’urbanisation et l’artificialisation des sols : 55.000 hectares ont été artificialisés l’an dernier, soit une progression de 24% ! C’est l’équivalent de la disparition de la surface agricole d’un département tous les cinq ans. Pour Emmanuel Hyest, il faudrait inverser le paradigme, que les terres soient protégées et que la consommation soit l'exception".
Après le coche manqué de la loi Sapin 2, la FNSafer plaide pour une meilleure régulation. Ses espoirs résident cette fois dans le projet de loi sur le foncier agricole promis pour 2019. Le texte devrait s’appuyer sur les travaux des députés Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle, PS) et Anne-Laurence Petel (Bouches-du-Rhône, LREM) nommés co-rapporteurs d’une mission d’information sur le sujet. Leurs auditions ont démarré en début d’année. Dominique Potier avait tenté à deux reprises, lors du précédent quinquennat, de renforcer le droit de préemption des Safer. Mais ses propositions avaient été retoquées par le Conseil constitutionnel.

 

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