Accès aux soins sans ordonnance : la porte s'entrouvre à peine

La proposition de loi de la députée Renaissance Stéphanie Rist qui avait pour but d'ouvrir l'accès direct aux kinés, infirmiers en pratique avancée ou orthophonistes a été adoptée en commission mixte paritaire. Mais, suivant essentiellement la demande des sénateurs, dans une version au final très restreinte.

Accéder aux soins d'un kiné, d'une orthophoniste ou d'une infirmière, en étant remboursé mais sans passer par la visite au médecin traitant : la France est loin d'y être encore, mais vient d'accomplir un premier pas dans cette direction.
Députés et sénateurs se sont mis d'accord le 6 avril en commission mixte paritaire sur la proposition de loi de la députée Renaissance Stéphanie Rist qui avait pour but d'ouvrir l'accès direct aux kinés et orthophonistes, ou aux infirmiers en pratique avancée (IPA, intervenant notamment sur certaines maladies chroniques). Avec pour objectif de désembouteiller un peu les cabinets des médecins généralistes.

L'accord en CMP a été trouvé difficilement et "après d'âpres et longues discussions", a reconnu Stéphanie Rist. Sous la pression des médecins, les sénateurs ont insisté jusqu'au bout pour limiter au maximum cet accès direct aux kinés et IPA. Finalement, il sera réservé uniquement à ceux qui exercent en association avec des médecins, dans des structures comme les MSP (Maisons de santé pluriprofessionnelles). Exit donc l'accès direct pour les professionnels qui travaillent seuls mais sont inscrits dans une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), comme le voulaient le gouvernement et les députés. On compte environ 400 CPTS en France aujourd'hui, qui couvrent environ la moitié de la population, sachant que plusieurs centaines d'autres sont en projet.

"Un effet cosmétique"

"Une fois de plus, nous avons cédé devant le lobbying médical principalement sénatorial (...) faisant fi des difficultés d'accès aux soins de nos concitoyens", a réagi Emmanuel Hardy, président de l'Union national des infirmiers de pratique avancée. En sachant que le texte initial avait provoqué la colère des médecins libéraux. Le texte final "n'aura qu'un effet cosmétique", estime de son côté Sébastien Guérard, le président de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR). "Seuls 3%" des kinés exercent en MSP", a-t-il indiqué, soulignant que médecins ou services d'urgence devront continuer à prendre en charge des accidents bénins - entorses par exemple - qu'un de ses collègues pourrait parfaitement prendre en charge.

L'accès direct aux kinés travaillant en établissements ou maisons de santé a en outre été légèrement restreint, puisqu'il sera possible pour huit séances, au lieu des dix dans le texte voté en première lecture à l'Assemblée. Et comme le voulait le Sénat, les kinés ne pourront pas non plus prescrire d'activité physique adaptée.

Les députés ont toutefois arraché une expérimentation dans six départements dont deux d'outre-mer. Les départements concernés seront déterminés par décret.

Les parlementaires ont également, comme le soutenaient les sénateurs, rejeté la demande "d'engagement territorial" des médecins, qui aurait pu amener certains à prendre plus de patients, faire des gardes ou exercer dans un désert médical par exemple. Ils renvoient la question aux négociations conventionnelles.

Pour les orthophonistes, les sénateurs se sont montrés un peu moins inflexibles. S'ils sont membres d'une CPTS, ils pourront accueillir des patients non envoyés par un médecin. Mais encore faut-il que cette communauté territoriale autorise explicitement l'accès direct dans son "projet de santé". "Cela revient à le laisser au bon vouloir des professionnels de santé locaux", regrette Sarah Degiovani, présidente de la fédération nationale des orthophonistes. "Nous avons obtenu une ouverture, mais il va falloir encore transformer l'essai".

"Pas trop d'illusion"

Le compromis députés-sénateurs est plus ouvert à un rôle accru dans les soins des pharmaciens. Les pharmaciens pourront ainsi renouveler d'eux-mêmes, pour trois mois, une ordonnance pour une affection chronique. "On va devoir faire un travail conventionnel pour organiser tout cela, mais j'espère que cela sera fait pour la fin de l'année", se félicite Philippe Besset, le président de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Les tests rapides pour certaines affections - comme ceux de l'angine bactérienne ou de la cystite - vont pouvoir se généraliser. Et les préparateurs en pharmacie vont désormais pouvoir vacciner, comme les pharmaciens eux-mêmes.

Au total, "une digue a sauté en terme de partage de compétences entre le médecin" et les autres soignants, estime Maria Roubtsova, de l'UFC Que Choisir. "Mais il ne faut pas trop se faire d'illusion sur l'impact immédiat pour les patients", ajoute-t-elle. "On a fait un petit pas alors qu'on aurait pu faire un grand saut en avant", résume de son côté Gérard Raymond, le président de France Assos Santés, qui fédère des associations de patients. "Ce sont des transformations profondes" des métiers des uns et des autres, "qu'il faut amener petit à petit", reconnaît-il toutefois.

Le texte issu de la CMP doit maintenant faire l'objet d'un vote au Sénat le 9 mai au Sénat et à l'Assemblée nationale le lendemain.

Référence : proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé