Accès aux soins : a-t-on "tout essayé" ?

L'accès aux soins arrive en tête des préoccupations des Français. À l'heure du lancement du "CNR santé", les initiatives se multiplient. Agnès Firmin Le Bodo, la ministre déléguée en charge de l’organisation territoriale et des professions de santé, faisait savoir devant les élus des départements qu'il faut selon elle avant tout "libérer du temps médical". Un accord en ce sens a été conclu avec plusieurs professions de santé. Pendant ce temps, que ce soit sous forme de propositions de loi ou d'amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale, les parlementaires avancent plusieurs cartes qui rejoignent parfois les projets du gouvernement : stages en zones sous-dotées pour les jeunes généralistes, prescriptions possibles pour les infirmiers en pratique avancée... Certains en revanche estiment toujours qu'il faut désormais de la coercition. Les clivages sont apparemment transpartisans.

"J'ai l'impression que nous avons tout essayé, dans tous les territoires." Ce constat presque défaitiste est celui de Valérie Simonet, la présidente du conseil départemental de la Creuse. Et concerne un sujet sur lequel elle s'est pourtant beaucoup impliquée, celui de l'accès aux soins. Valérie Simonet faisait partie des élus s'exprimant le 13 octobre à Agen lors d'une table-ronde organisée dans le cadre des assises de Départements de France.

Cela fait en effet bien longtemps que les collectivités multiplient les initiatives pour, principalement, attirer des médecins. Maisons de santé, primes, aides à l'installation voire salariat… avec, pourtant, plus ou moins de succès. "Cela fait bien douze à quatorze ans que les départements ont commencé à financer des maisons de santé", a entre autres souligné Agnès Firmin Le Bodo, la ministre déléguée en charge de l’organisation territoriale et des professions de santé, venue à Agen participer à cette table-ronde. En insistant sur le fait que "la décision unique qui s'applique à tous les territoires, elle n'existe plus". Et que "l'État tout seul ne peut rien faire, pas plus que les collectivités toutes seules", qu'il faut agir "ensemble".

La voie à privilégier : "libérer du temps médical"

Pour la ministre, qui est toujours également conseillère départementale, l'intitulé (et l'existence même) de son portefeuille témoigne de l'importance accordée à la dimension territoriale de ce problème de l'accès aux soins. Problème qui, comme l'a rappelé le président du Sénat lors de ces mêmes assises, représente aujourd'hui la première préoccupation des Français, à l'heure où 7 millions d'entre eux n'ont pas de médecin traitant. Dont 600.000 personnes en affection longue durée (ALD) – "l'urgence, ce sont ces personnes-là", a alerté Agnès Firmin Le Bodo.

La réponse est-elle à chercher du côté "de la convention, de la régulation", pour ne pas dire de la coercition ? L'éternel débat. "Selon moi, non, car nous n'avons pas la matière pour", répond la ministre déléguée, pharmacienne de profession mariée à un médecin. "Obliger, c'est la meilleure façon de faire fuir. Il y a dix ans, cela aurait encore pu être utile, car il y avait encore la matière" (autrement dit un nombre de médecins, certes mal répartis, mais moins insuffisant qu'aujourd'hui) mais désormais, "87% du territoire est un désert médical", a-t-elle poursuivi devant la presse. Sans oublier le phénomène de "concurrence entre territoires" relevé par les élus lors de la table-ronde, l'un d'entre eux proposant même une "charte de non-concurrence".

Sachant que "la période des dix ans à venir va être très compliquée" (en attendant les effets de la fin du numerus clausus), la principale réponse consiste plutôt, selon Agnès Firmin Le Bodo, à "libérer du temps médical". Ce qui passe par différents leviers. Dont les nouveaux assistants médicaux. "Et là-dessus, les collectivités peuvent notamment aider à fournir des locaux" (lorsque le local du médecin est trop exigu pour accueillir un assistant médical), relève-t-elle. Elle évoque également le fait de sensibiliser les citoyens à certains réflexes (par exemple commencer par demander conseil à un pharmacien).

Une première prise en charge par d'autres professions de santé ?

Et surtout, elle a souligné avoir signé la veille aux côtés du ministre de la Santé, François Braun, un accord avec les sept ordres des professions de santé (médecins, infirmiers, pharmaciens, kinés, sages-femmes, chirurgiens-dentistes, podologues) constituant le comité de liaison inter-ordres (Clio). Par cet accord, "dont on n'a peut-être pas mesuré la portée", les médecins acceptent l'idée "que la porte d'entrée pour un patient puisse être un autre professionnel de santé".

"Dans les territoires où la démographie médicale est particulièrement insuffisante et où le patient ne peut recourir en première intention à un médecin traitant, [il est proposé de] confier une mission d’orientation et de prise en charge de première intention aux autres professionnels de santé du territoire, dans une logique de confiance et de travail coordonné, en organisant avec les autres acteurs du territoire l’orientation vers un médecin traitant ou vers un service d’accès aux soins", dit le communiqué diffusé à l'issue de cette signature. "Cet accord apporte des solutions concrètes visant à libérer du temps médical et répondre aux besoins des Français dans tous les territoires grâce au développement de l’interprofessionnalité", est-il résumé. "C'est inédit et important", insiste Agnès Firmin Le Bodo, estimant que la mesure pourrait passer soit par voie législative dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) soit par décret.

On saura toutefois que MG France, le premier syndicat de médecins généralistes, n'apprécie pas du tout. "Constatant que certains patients n'ont pas d'accès à un médecin traitant, et plutôt que de travailler à ce qui pourrait faciliter cet accès, le gouvernement prétend apprendre à la population la manière de s’en passer", s'insurge MG France, déterminé à mener campagne contre cette initiative.

La quatrième année d'internat, un "malentendu" ?

Autre initiative gouvernementale qui déplaît à certains : la disposition inscrite dans le PLFSS (qui arrive ce jeudi en séance à l'Assemblée nationale) visant à instaurer une quatrième année d'internat pour les médecins généralistes, qui serait effectuée "en priorité dans des zones où la démographie médicale est sous-dense".

Appelés à la grève par leurs syndicats, plusieurs centaines d'internes en médecine ont en effet manifesté le 14 octobre devant le ministère de la Santé. "Les médecins, c'est comme la confiture, moins t'en as, plus tu l'étales", pouvait-on lire parmi les pancartes. "Évidemment qu'il faut des médecins en zone sous-dense", admettait l'un des manifestants, mais "on fait neuf à dix ans d'études, c'est très long, un interne est payé 1.300 euros net pour 70 heures par semaine, et on n'a même pas notre mot à dire sur l'endroit où on veut exercer ?". Plaidant le "malentendu", François Braun avait encore répété le matin même qu'"il n'y a jamais eu de condition d'obligation" pour que cette année supplémentaire soit effectuée dans les déserts médicaux et que l'objectif était de garantir aux futurs généralistes "des formations adaptées".

La version de Bruno Retailleau...

Hasard de calendrier ou pas, mais preuve en tout cas que les initiatives se croisent et se percutent parfois (et que la bataille entre tenants de mesures incitatives et promoteurs de mesures plus coercitives est loin d'être éteinte), le Sénat a adopté ce mardi 18 octobre une proposition de loi de Bruno Retailleau qui prévoit précisément… d'allonger d'une année la formation des généralistes. Le vote a été acquis par 232 voix contre 96. Disant nécessairement "partager le fond" de la proposition de loi, le ministre de la Santé, François Braun, l'a gratifiée d'un "avis de sagesse bienveillante".

Le texte du chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau vise lui aussi, donc, à mettre en place une quatrième année au troisième cycle de médecine générale. Elle serait affectée à des stages ambulatoires, en lien avec un médecin référent, "en priorité dans les zones sous dotées". "Ça permet d'installer - provisoirement, certes - 3.500 à 4.000 jeunes médecins généralistes sur l'ensemble du territoire (...). Ça leur permet d'être rémunérés de façon attractive", a vanté le sénateur de Vendée. Ayant peu apprécié de s'être fait "copier-coller" sa proposition de loi via le PLFSS, il a reproché au gouvernement d'avoir repris l'idée "de manière précipitée", "sans beaucoup de concertation, (...) ce qui a pu raidir un certain nombre de syndicats, notamment d'internes". Selon lui, son texte est "sécurisé" (alors que l'article du PLFSS risque d'être considéré comme un "cavalier budgétaire") et "abouti" car prévoyant un système de rémunération pour les internes.

"Cette quatrième année ne serait pas seulement une chance pour nos territoires sous dotés, c'est aussi une chance pour nos jeunes médecins et in fine pour les patients", a de son côté affirmé François Braun. "Je ne doute pas qu'au moment du PLFSS se renouera une alliance" entre le gouvernement et la droite sénatoriale, a prédit Bernard Jomier (PS), jugeant la mesure "contre-productive". "Ce n'est pas la loi qui décide de la longueur des études de médecine, jamais", a-t-il jugé, invitant à "tenir un langage de vérité aux jeunes médecins" qui "ne sont pas responsables de la grave pénurie" actuelle. "Je ne crois pas aux mesures coercitives, même celles qui se draperaient de bonnes intentions", a déclaré Véronique Guillotin (RDSE à majorité radicale). Pour Laurence Cohen (CRCE à majorité communiste), la proposition de loi "non seulement ne résoudra rien mais au contraire va démotiver et précariser les internes".

... des "mesures plus coercitives"

Et pourtant, pendant ce temps, du côté de l'Assemblée nationale, un groupe transpartisan de députés a plaidé ce mercredi 19 octobre pour des mesures plus coercitives sur l'installation des médecins en présentant des amendements en vue de l'examen du PLFSS. Le député PS de la Mayenne Guillaume Garot était accompagné d'une vingtaine de députés de tous bords, excepté le Rassemblement national. "C'est de pire en pire. J'en suis arrivé à dire qu'il faut de la coercition", a déploré le député LR de l'Orne Jérôme Nury.

Les députés de ce groupe de travail, parmi lesquels figurent des membres de la majorité, ont dévoilé plusieurs propositions, notamment pour conférer aux ARS la compétence d'autoriser ou non l'installation de la résidence professionnelle principale d'un médecin de ville, lorsqu'il veut s'établir dans une zone qui n'a pas de problèmes d'accès aux soins. L'installation ne serait accordée automatiquement que si un médecin exerçant dans la même zone cesse son activité au même moment, un amendement défendu par "122 députés" a fait valoir Guillaume Garot. Autre proposition : appliquer ce principe au conventionnement des médecins plutôt qu'à l'installation

... et une PPL sur les infirmiers en pratique avancée

Au risque de brouiller les messages, on attend par ailleurs pour fin novembre dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale une autre proposition de loi émanant de la majorité présidentielle qui entend autoriser certains infirmiers à "faire des prescriptions", a indiqué mardi 18 octobre la rapporteure du budget de la Sécurité sociale, Stéphanie Rist. Il s'agit de faire des "infirmières" en pratique avancée (IPA, statut créé via la loi Touraine de 2016 et un décret en 2018, avec un diplôme bac+5) "des praticiennes qui pourront voir des maladies bénignes à la place du médecin mais en coordination avec lui", a expliqué la députée Renaissance devant la presse. Elle voudrait aussi "donner la possibilité à ces infirmières en pratique avancée de pouvoir faire une prescription quand ça relève de leur compétence, même avant que le malade puisse voir le médecin", a poursuivi l'élue du Loiret. "Pour les primoprescriptions, ça commence tout juste en expérimentation, nous voulons le généraliser. Tout ça sera alimenté par le débat en séance, il n'y a pas de détails. L'idée est de dire, il y a des compétences, mettons ces compétences au service des Français", a-t-elle insisté. On peut donc imaginer que ce texte pourrait servir de véhicule législatif à la traduction de l'accord inter-ordres évoqué par Agnès Firmin Le Bodo.

Gardes : "élargir le vivier" des soignants mobilisables

Lors des assises des départements, la ministre avait aussi évoqué "la problématique de la permanence des soins". Un sujet qui vient de prendre la forme d'un amendement gouvernemental au PLFSS déposé le 18 octobre. Il s'agit d'étendre cette permanence des soins (soirs et weekends) aux infirmiers, sages-femmes et dentistes. Partant du constat que les gardes des médecins libéraux ne parviennent pas à "garantir une couverture complète sur tout le territoire", l'exécutif entend "élargir le vivier" des soignants mobilisables. À titre d'exemple, un infirmier pourrait, sur demande du Samu, "évaluer en premier lieu le patient et la nécessité d'intervention" d'une ambulance. La mesure serait "assortie de contrôles et de réquisitions en cas de défaut de fonctionnement". "La permanence des soins ne doit pas reposer que sur l'hôpital public ou que sur les médecins", a défendu la députée Stéphanie Rist lors d'une conférence de presse de l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis).

L'élue a expliqué que cette proposition était remontée des premiers débats locaux dans le cadre du volet santé du Conseil national de la refondation (CNR). "On met dans la loi l'objectif vers lequel on veut aller", mais "l'amendement ne précise pas d'emblée toutes les conditions, notamment de financement", a-t-elle ajouté, renvoyant ces détails pratiques aux "premiers arbitrages" du CNR Santé, attendus "fin décembre, début janvier".

Devant les départements, Agnès Firmin Le Bodo avait justement incité les élus à participer aux débats du CNR santé en région suite au coup d'envoi donné par François Braun le 3 octobre (voir notre article). "Si de bonnes idées sortent, elles seront rapidement expérimentées", avait-elle assuré.

 

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