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Accueillir des mères célibataires et redynamiser un village de montagne : le projet de la Maison des Cimes

Dans un petit village haut perché des Pyrénées, un lieu atypique accueille douze mères isolées et leurs enfants. Dédiée au répit et à la réinsertion de ces familles fragilisées, la Maison des Cimes est également un espace de vie et de services pour tous les habitants. Il aura fallu huit ans et beaucoup d'opiniâtreté au maire de L'Hospitalet-près-l'Andorre pour mener à bien ce projet expérimental. Et prouver par la même occasion qu'il est possible de faire revenir des services publics dans des petits villages de montagne, qui ont aussi beaucoup à offrir. 

Situé à 1.430 mètres d'altitude à la frontière avec la principauté d'Andorre, L'Hospitalet-près-l'Andorre doit son nom à la présence d'un refuge de montagne qui aurait été créé vers l'an 1.000. En 2020, le village ariégeois de 90 habitants a renoué avec sa vocation historique d'accueil grâce à sa Maison des Cimes, destinée à loger et accompagner six familles monoparentales pendant une période de six mois à deux ans. La première famille est arrivée fin janvier 2020.  Elles sont à ce jour quatre mères isolées et 8 enfants.  

Les villages de montagne et leurs écoles : des atouts à faire valoir  

En décembre 2019, à l'issue de l'inauguration de cette résidence sociale, la satisfaction du maire de la commune et de l'ensemble des partenaires était à la mesure du long et sinueux parcours qui a permis de passer d'un projet audacieux à sa mise en œuvre concrète. L'idée date d'il y a huit ans ; elle est née d'un échange entre le maire et les deux institutrices qui se "partagent" la vingtaine d'élèves scolarisés dans les deux communes voisines – les plus jeunes à L'Hospitalet-près-l'Andorre, les plus grands à Mérens. Alors que les effectifs scolaires se réduisent – L'Hospitalet ayant perdu en vingt ans plus de la moitié de ses habitants, suite au départ de services publics -, les deux villages se retrouvent chaque année sous la menace de la fermeture de l'école.

Pourtant, selon Arnaud Diaz, maire de L'Hospitalet, ces villages de montagne aux "loyers attractifs" et leurs écoles à taille humaine ont des atouts à mettre en avant. "Grâce au travail de l'école, de nouveaux habitants, qui arrivaient avec leurs difficultés, ont réussi à avoir un projet de vie, et leurs enfants ont raccroché les wagons des apprentissages", souligne-t-il auprès de Localtis. Le maire et les institutrices se demandent alors s'il est possible de renverser la vapeur : comment pourraient-ils "faire encore mieux" au bénéfice de familles en situation de fragilité, en "valorisant ce qu'on est, nos petits villages et notre école de montagne" ? L'idée d'une "structure professionnelle" à destination de mères célibataires et de leurs enfants est alors évoquée.

Un espace de vie et des services pour tous les habitants

En Ariège, le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale (18,5% en 2016 contre 14%), avec un nombre important de femmes vivant seules avec leurs enfants sous le seuil de pauvreté. Pour mieux cerner le besoin du territoire et tester la faisabilité de son projet, la commune de L'Hospitalet-près-l'Andorre embauche une chargée de mission qui rencontre l'ensemble des acteurs concernés. "On nous a dit que ce qui manquait, c'était un lieu où ces femmes pouvaient avoir le temps de réapprendre à vivre, de passer une étape, de retrouver un projet professionnel. Et ce temps-là, dans notre petit village, ça colle bien", raconte Arnaud Diaz. D'autant que le tourisme offre aux alentours des opportunités d'emploi.

Dès le départ, le projet a une double vocation : offrir un lieu de répit et de reconstruction à ces mamans fragilisées et à leurs enfants, et être un lieu de vie et de services pour l'ensemble des habitants du territoire. La Maison des Cimes, c'est donc une résidence sociale, avec un accompagnement des familles assuré par une travailleuse sociale, et un espace de vie sociale ouvert à tous géré par une coordinatrice territoriale. Ce lieu propose à la fois des ateliers - aide à la parentalité, recherche d'emploi, numérique… - et des permanences de services publics. "On est dans un petit village assez haut et, quand on a fait l'inauguration, il y avait Pôle emploi, la CAF, la direction départementale de la cohésion sociale, le département, la communauté de communes… Tous ces services publics s'investissent dans un petit village pour porter un projet en commun", se réjouit le maire de L'Hospitalet. Il poursuit : "C'est intéressant, parce qu'on va un peu à contre-courant de ce qui se passait jusqu'à présent. En général, on concentre l'énergie et les services sur le bourg centre, sans trop réfléchir parfois, mais là on a écouté le territoire."

"Plus facile de vendre des canons à neige que des résidences sociales"  

Même si désormais tous se félicitent de la démarche, il aura fallu des années à Arnaud Diaz pour convaincre l'ensemble des partenaires, dans un premier temps localement. "Quand on arrive avec un projet qui ne rentre pas dans une case, c'est très compliqué", souligne l'élu, qui mentionne la "multitude d'interlocuteurs dont les compétences se chevauchent un peu". Sur le fond, il aura été nécessaire de rassurer, de répondre aux "interrogations", aux "peurs", de trouver des solutions lorsque des points faibles émergeaient. "C'est plus facile en fait de vendre un projet touristique, des canons à neige, que des résidences sociales", relève le maire en souriant. "On pensait pourtant au départ que cette volonté de solidarité allait nous amener un plus", se remémore-t-il.

Une fois l'ensemble des acteurs convaincus et réunis en comité de pilotage, la plupart des "verrous" ont sauté, mais sans que cela ne marque pour autant la ligne d'arrivée. Côté investissement, une mauvaise surprise attend la commune en 2018, qui s'attendait à recevoir 290.000 euros de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et qui n'en perçoit finalement que 150.000. "À l'occasion du Congrès des maires, j'ai fait le pied de grue à l'Élysée et j'ai réussi à parler à Emmanuel Macron du projet et de ce problème de DETR", explique Arnaud Diaz.

Une expérimentation de trois ans

Côté fonctionnement, la résidence sociale en projet n'a pas de traduction dans les textes ; une "pension de famille" n'accueille par exemple que des adultes. Il a donc fallu aller chercher l'autorisation à Paris. "On ne pouvait pas créer la Maison des Cimes sur la base de ce qui existe à l'heure actuelle. C'est pour ça qu'il y a eu cet accord avec le ministère du Logement (à l'époque) pour une expérimentation sur trois ans", précise le maire de L'Hospitalet.

France Horizon, l'opérateur de la résidence, et tous les partenaires ont donc trois ans pour démontrer l'utilité de la démarche pour les résidentes et leurs enfants comme pour les habitants du territoire. Depuis l'inauguration, les préfectures d'autres départements auraient fait part de leur intérêt, ce qui réjouit le maire qui veut faire de sa petite commune de montagne un "village expérimental". "On n'est pas sous perfusion, on a proposé un projet gagnant-gagnant", appuie Arnaud Diaz, insistant sur la nécessité pour les territoires ruraux de mettre en avant leurs atouts. Le vrai point d'arrivée pour lui, ce serait que "la résidence la Maison des Cimes soit institutionnalisée, et que d'autres territoires souhaitant mettre en œuvre un tel projet ne mettent pas huit ans pour cela".

 

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