Agriculture et biodiversité : un rapport propose des mesures pour enrayer la disparition des haies

Des milliers de kilomètres de haies disparaissent encore chaque année du paysage agricole français et les programmes de plantation restent marginaux face au phénomène, constate un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) remis au ministre de l'Agriculture ce 24 avril. Parmi ses recommandations, il préconise une charte en faveur des haies associant toutes les parties prenantes (associations de collectivités, profession agricole, associations de protection de la nature, gestionnaires d’infrastructure…) et de lancer une concertation au niveau de chaque région pour établir un plan d’actions partagées avec les acteurs locaux.

"Depuis 1950, 70% des haies ont disparu des bocages français", soit environ 1,4 million de kilomètres, constate un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), remis au ministre de l'Agriculture ce 24 avril. Loin d'être enrayé, le mouvement s'est accéléré ces dernières années, selon ce document qui mentionne une perte annuelle moyenne de "23.571 km/an entre 2017 et 2021", contre "10.400 km/an entre 2006 et 2014". En face, la "politique de plantation" permet de créer "environ 3.000 km" de haies par an. "Si l'accent est souvent mis sur la création de nouvelles haies, il convient avant tout de mieux protéger le linéaire existant", soulignent les auteurs.

Effets de la mécanisation croissante de l'agriculture

Les causes de cette disparition sont connues : les campagnes françaises se sont largement métamorphosées après la Seconde Guerre mondiale sous l'effet du "remembrement" des terres agricoles et de la mécanisation de l'agriculture. Les parcelles ont été regroupées et les haies arrachées pour former des champs plus grands accessibles aux tracteurs. "Aujourd'hui encore, selon le rapport, les arbres souffrent souvent d'une image désuète, tandis qu'une agriculture plus technologique se développe, là encore complexifiée par la présence d'arbres : pilotage automatique des engins agricoles, surveillance des cultures par drones et satellites, etc."

Ces réserves de biodiversité, remparts contre l'érosion des sols, sont pourtant aussi utiles aux rendements agricoles. "Face aux aléas climatiques de plus en plus intenses et fréquents, les haies et les arbres représentent une vraie solution", rappellent les auteurs, citant leurs "bénéfices agronomiques" (effet brise-vent, ombre pour le bétail, lutte contre l'érosion, abri pour les prédateurs des nuisibles...) et "services écosystémiques" (stockage de carbone, régulation de l'eau, préservation de la biodiversité...). Mais "l'agriculteur perçoit souvent la haie comme une charge nette directe liée à la plantation et à l'entretien, sans en voir les bénéfices", note le rapport.

Actions des collectivités en faveur des haies

Celui-ci souligne par ailleurs le rôle des collectivités territoriales dans les politiques publiques en faveur des haies. "Les régions y ont joué très tôt un rôle actif et ont souvent été à leur initiative, accompagnant des mobilisations associatives, constate-t-il. Quatre types d’actions se retrouvent partiellement ou totalement dans les différents dispositifs qui se sont progressivement mis en place : l’aide à la plantation de nouveaux linéaires de haie ; l’appui à l’ingénierie et au montage de projet de plantation ; l’animation et l’information plus transversale du public ; l’inscription dans les documents de stratégie ou de planification territoriale (Sraddet, stratégie régionale pour la biodiversité)". En matière de haie, les autres collectivités ne sont pas en reste, poursuit-il. Ainsi, "les programmes départementaux existaient avant la loi Notre et, dans bien des cas, ont été maintenus après son adoption".

Aux actions de soutien à l’ingénierie ou à l’investissement portées par les collectivités s’ajoute leur action en matière d’urbanisme, note encore le rapport. Dans le cadre de la réalisation des documents d’urbanisme, en particulier dans les schémas de cohérence territorial (SCoT) et dans les plans locaux d’urbanisme (PLU(i)), les élus doivent notamment identifier les éléments de la trame verte et bleue, dont les haies sont des éléments constitutifs. Les haies peuvent être protégées dans les PLU(i) au titre des continuités écologiques. Le régime de protection adopté dans le règlement du PLU(i) relève le plus souvent du L.151-23 du code de l’urbanisme issu de la loi paysage, et plus rarement du L.130-1 relatif aux espaces boisés classés (EBC), précise le rapport. Dans le premier cas, toute destruction de la haie doit faire l’objet d’une demande d’autorisation à la collectivité, qui peut prévoir une compensation (replantation d’un linéaire équivalent ou supérieur). Certaines communes ont mis en place des commissions bocages, chargées d’examiner les déclarations préalables. Dans le second cas (EBC), toute destruction de la haie est strictement interdite. Par ailleurs, les orientations d’aménagement et de programmation (OAP) doivent définir les actions nécessaires à la mise en valeur des continuités écologiques. "On peut ajouter que la perspective du 'zéro artificialisation nette' (diminution de 50% de l’artificialisation des terres à horizon 2030, et ZAN à l’horizon 2050) aura forcément un effet sur l’une des causes de disparition des haies sous la pression de l’urbanisation", poursuivent les auteurs du rapport.

"Le paysage de l’action publique locale, si actif soit-il, présente néanmoins des insuffisances", estiment-ils. Il est jugé "très hétérogène selon les territoires" tandis que "le soutien à l’ingénierie technique n’existe pas partout". "S’agissant des mesures d’aides à la plantation, les taux de subvention peuvent être très différents (de 40 à 80%) comme la nature des dépenses éligibles, ne générant pas le même type d’engagement de la part du porteur de projet", pointent-ils. Ils font aussi le constat de "la récurrence de certains manques, comme l’absence de soutien (hormis en Occitanie) à la reconstitution et à l’entretien de haies existantes".

En matière réglementaire, enfin, l’effet des mesures leur paraît également "très contrasté". "Les documents d’urbanisme adoptés ont des niveaux d’identification de l’enjeu très hétérogènes, illustrent-ils. De plus ils ne concernent qu’une partie des communes. Enfin, certains aménagements ayant des impacts négatifs sur la haie échappent au processus de déclaration (déploiement de la fibre)". Et même dans les cas où les haies sont protégées, la mission a relevé que les demandes de destruction étaient rarement analysées et refusées et que la compensation, si elle était prévue par le PLU(i), n’était quasiment pas contrôlée.

Inciter les agriculteurs à maintenir leurs haies

Les auteurs du rapport formulent sept recommandations en faveur de la préservation des haies. Ils préconisent d'abord des mesures concernant directement les agriculteurs, qui sont leurs principaux gestionnaires. Pour inciter davantage d'exploitants à maintenir leur linéaire, ils proposent ainsi de subventionner les plans de gestion durable des haies de revaloriser le bonus haie dans l’éco-régime de la PAC et d'étudier des mesures fiscales (extension du crédit d’impôt Dispositif d’Encouragement Fiscal à l’Investissement en forêt "Travaux" qui s'applique aujourd'hui aux propriétaires forestiers). D'autres mesures touchent à la formation des agriculteurs et des gestionnaires de haies dans leur ensemble. Alors que selon les auteurs du rapport,  "La majeure partie des dégâts causés aux haies au moment de leur entretien ou lors des chantiers de récolte de bois tient à des traitements inadaptés (recours à l’épareuse lors de la taille, mauvaises techniques de recépage)" ils recommandent "une formation systématique" de tous les intervenants, agents des collectivités territoriales compris.

Charte de préservation impliquant toutes les parties prenantes

Le rapport prône en outre un "engagement national en faveur des haies" passant par une "charte" qui "rappellerait l’impératif de préservation des haies, engagerait à prendre en compte cet enjeu dans les documents stratégiques des signataires, et à accompagner des actions de création, protection, de gestion durable et de valorisation économique des haies". Elle associerait les grandes associations de collectivités (Régions de France, Départements de France, Association des maires de France, Association des maires ruraux de France), la Fédération nationale des SCoT, les organisations professionnelles agricoles, les syndicats professionnels, les entreprises, les associations de protection de la nature, les gestionnaires d’infrastructure des linéaires et du numérique, les organismes du développement et de la recherche. L’État impliquerait pour sa part, des établissements publics tels que les chambres d’agriculture, les agences de l’eau, l’Office français de la biodiversité et le Centre national de la profession forestière.

Comme les moyens d’intervention sont répartis entre les collectivités locales, l’État, les professionnels, les organismes de développement et de recherche et le monde associatif, la mission recommande aussi le lancement d’une concertation au niveau de chaque région, sous l’égide du président du conseil régional et du préfet de région, pour constituer un "plan d’actions partagées avec les acteurs locaux". "Ce plan abordera divers thèmes : animation, sensibilisation et communication, formation, de transfert de connaissances, soutiens financiers, structuration de filières…, indique-t-elle. Il peut se décliner en projet de territoires à échelles variées, sur des approches globales ou ciblées. L’État devrait apporter les financements nécessaires."

"Dans le cadre de sa stratégie en faveur de la biodiversité, l’Union européenne s’est engagée à faire planter au moins 3 milliards d’arbres supplémentaires d’ici à 2030 dans les forêts, mais également dans les zones agroforestières, agricoles et urbaines. Dès lors, ne serait-il pas pertinent d’accorder à la haie un rôle aussi important que la forêt dans le cadre de notre Planification écologique et d’y consacrer des moyens à la hauteur des ambitions annoncées ? De même, la haie contribuant à la performance environnementale, à l’adaptation des territoires au changement climatique et à l’amélioration du cadre de vie, le 'Fonds vert' pourrait utilement être mobilisé par les collectivités territoriales et leurs partenaires publics ou privés", concluent les auteurs du rapport.

Evoquant un "constat très préoccupant" ce 26 avril dans un tweet, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau indique qu'"une concertation sera lancée dans les jours qui viennent" avec la secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie, Bérangère Couillard, "pour construire un 'pacte en faveur de la haie'".

 

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