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Industrie - Aides d'Etat : faut-il miser sur les entreprises en difficulté ou sur les filières d'avenir ?

Au cours d'une table ronde organisée le 10 décembre 2014 par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, la question de l'efficacité des aides d'Etat destinées aux entreprises en difficulté a été posée. D'après l'économiste Pierre Buigues, ces aides sont peu efficaces et conduisent à limiter les aides sur les économies du futur, comme l'environnement, le numérique ou les infrastructures.

Faut-il ou non aider les entreprises en grande difficulté ? C'est à cette question qu'ont tenté de répondre plusieurs économistes durant une table ronde organisée le 10 décembre 2014 par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur les aides d'Etat. "La tentation dans un pays en crise, c'est d'apporter des aides à des secteurs qui souffrent, à des entreprises qui ont du mal à survivre à la crise", a ainsi mis en garde Pierre Buigues, ancien conseiller économique à la Commission européenne et professeur à la Toulouse Business School.
Ces aides fournies par l'Etat ou les collectivités locales sont passées au crible par la Commission européenne pour vérifier qu'elles ne faussent pas la concurrence. Car si les aides d'Etat sont interdites par le traité instituant la Communauté européenne, des exemptions autorisent toutefois les aides justifiées par des objectifs d'intérêt commun. Bruxelles vérifie dans ce cas si ces aides octroyées ne risquent pas de fausser la concurrence ; encore faut-il que l'Etat et les collectivités les lui notifient. Elle dispose alors de deux mois pour statuer. Elle apprécie l'équilibre entre les effets positifs de l'aide et ses effets négatifs. En cas de doutes sérieux, elle engage une procédure d'examen plus approfondi. Dans une logique "darwinienne", la Commission est particulièrement attentive aux aides aux entreprises en restructuration ou en sauvetage. "Il est clair que le domaine où le contrôle communautaire est le plus sévère est celui des aides au sauvetage et aux entreprises en difficulté. La Commission sur ce champ spécifique est plus vigilante. La raison : il y a l'idée que la disparition d'entreprises qui ne sont pas compétitives ou qui sont en difficulté fait partie du processus normal de la concurrence sur les marchés et donc normalement, qu'une entreprise disparaisse ne devrait pas poser de problème dans une économie de marché", a expliqué l'économiste. 
La Commission en accepte toutefois, en exigeant des contreparties comme des réductions de coûts ou des reventes d'actifs. Ainsi, en 2004, la Commission européenne a donné son feu vert à une aide d'Etat destinée à aider Alstom à faire face à ses difficultés financières. En contrepartie, l'entreprise a dû céder une partie de ses actifs, représentant un chiffre d'affaires global de l'ordre de 1,5 milliard d'euros.
Les aides aux entreprises en difficulté sont aussi autorisées exceptionnellement lorsque la disparition d'une entreprise peut déboucher sur une situation de monopole ou d'oligopole.

Miser sur le passé ou sur l'avenir ?

Ces aides destinées à sauver des entreprises sont-elles efficaces ? D'après Pierre Buigues, un tiers des entreprises qui ont reçu des aides au sauvetage ou à la restructuration sont tombées finalement en faillite. "Les aides ont permis leur survie pendant un certain nombre d'années mais n'ont pas permis la survie à long terme de ces entreprises", conclut l'économiste. Le débat avait fait rage au moment de la création de Bpifrance dont le directeur avait dit qu'il n'était pas question de soutenir les "canards boîteux". On se souvient que les régions avaient été taxées d' "amateurisme". 
Ces aides à l'efficacité limitée empêcheraient de surcroît la France d'investir dans les secteurs d'avenir. "Est-ce que les aides doivent porter prioritairement sur l'économie du passé en crise ou est-ce qu'elles doivent porter sur l'économie du futur qui est génératrice des nouveaux champions ?", a questionné Pierre Buigues.
Sur ce point, la comparaison avec les aides fournies outre-Rhin est riche en enseignements. En Allemagne, en 2012, 29% du total des aides d'Etat octroyées sont orientées vers l'environnement et les économies d'énergie, contre 2,6% seulement en France. L'écart est un peu moins marqué pour la recherche et développement, qui correspond à 25% des aides d'Etat allemandes, contre 18% en France. A l'inverse, la France consacre un bonne partie de ses aides financières aux aides dites à caractère social orientées vers le consommateur individuel, comme les aides à la reprise de véhicules, ou les aides pour les personnes habitant dans les territoires d'outre-mer. Ces aides correspondent à 30% du total… "Il y a des priorités politiques, des visions différentes de ce que l'on doit aider ou pas. La France se caractérise par un soutien social à des consommateurs individuels ou à des secteurs, mais la question qu'on doit se poser, c'est quelle est l'efficacité de ces aides." Globalement, Pierre Buigues met en doute l'efficacité des aides d'Etat. "Beaucoup d'aides sont assez douteuses, elles ne sont pas efficaces, et ont même parfois des effets contreproductifs", a-t-il signalé.
En revanche, la table ronde a permis de montrer que le contrôle effectué par Bruxelles sur les aides d'Etat était somme toute limité. Le contrôle communautaire s'exerce ainsi en France sur 10 milliards d'euros seulement, sur les 110 milliards d'euros d'aides identifiés par l'Inspection générale des finances (IGF) dans son rapport de 2013 (montant qui intègre les taux réduits de TVA, les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, le crédit impôt recherche…), soit 10% seulement du total. 3.000 dossiers sont arrivés à Bruxelles pour être contrôlés mais seuls 5 à 8% d'entre eux ont reçu une décision négative. "Le regard que l'on porte sur le contrôle communautaire est parfois un peu biaisé car c'est un champ qui est assez limité", a souligné Pierre Buigues.

 

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