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Alors que le plan de relance européen prend forme, les collectivités restent dans le flou

Alors que la Commission européenne a donné son feu vert à 12 plans nationaux de relance et de résilience et a aisément levé 20 milliards d'euros, le Conseil devrait délivrer ses premières approbations le 13 juillet prochain. L'euphorie ne gagne toutefois pas les territoires, qui restent au mieux dans l'expectative, au pis – à l'image du Comité des régions – dans la crainte que le plan ne vienne compromettre la politique de cohésion, faute d'impliquer les collectivités.

La mise en place de la "Facilité pour la reprise et la résilience" (FRR) prend forme. La Commission a validé douze "plans nationaux de relance et de résilience" – successivement Portugal, Espagne, Grèce, Danemark, Luxembourg, Autriche, Slovaquie, Lettonie, Allemagne, Italie, Belgique et France – sur les 24 qu'elle a pour l'heure reçus – les trois retardataires étant les Pays-Bas (c'était attendu, pour cause d'élections), Malte et la Bulgarie. Six États membres (Slovénie, Pologne, Suède, Croatie, Roumanie et Finlande) ont toutefois demandé une prolongation du délai d'examen de deux mois de leur plan par la Commission, afin de pouvoir affiner leur feuille de route.

166 milliards de prêts demandés pour l'heure

Seuls sept États membres sur les 24 ayant déposé leur plan ont jusqu'ici sollicité des prêts, pour un total de 166 milliards d'euros sur les 360 milliards potentiellement disponibles. Trois ont demandé l'intégralité de l'enveloppe qu'ils pouvaient solliciter (égale au maximum à 6,8 % de leur revenu national brut de 2019) : l'Italie (122,6 milliards), la Roumanie (15 milliards) et la Grèce (12,7 milliards). Les quatre autres étant la Pologne (12,1 milliards demandés sur 34 milliards possibles), le Portugal (2,7 milliards sur 14,7), la Slovénie (700 millions sur 3,2 milliards) et Chypre (228 millions sur 1,5 milliard). Les États membres ont toutefois jusqu'au mois d'août 2023 pour faire ou compléter leur demande.

Ecofin du 13 juillet

Ceux qui ont reçu le feu vert de la Commission attendent désormais la validation du Conseil, décisive. Les premières approbations devraient intervenir lors du Conseil Ecofin du 13 juillet prochain. À la Commission, on indique être déjà en train de préparer les différents actes qui n'ont pas besoin d'être autorisés par ce dernier, mais qui entendent borner "le cheminement des actions" prévues par les États membres "afin de s'assurer que tous les engagements, notamment ceux pris pour 2026, se concrétisent". "Dans l'intérêt de tous", souligne-t-on à la Commission.

20 milliards levés

S'agissant des premiers versements, à Bruxelles, on se veut rassurant : "Les fonds sont prêts." La Commission a effectivement levé le 15 juin dernier 20 milliards d'euros, via une obligation à dix ans. "La plus importante émission d'obligations institutionnelles jamais réalisée en Europe, la plus grande transaction institutionnelle à tranche unique jamais effectuée, le plus grand montant que l'UE ait levé en une seule transaction", se plait-on à souligner. La Commission se félicite également du succès obtenu par l'opération, "sursouscrite plus de sept fois", avec un carnet d'ordre final supérieur à 142 milliards d'euros. Attribuée à 87% à des investisseurs européens (10% du total en France, 24% au Royaume-Uni), l'obligation a été cotée ce mardi 22 juin à la Bourse de Luxembourg, là où la Commission avait déjà coté sa première obligation en 1983 (depuis, 107 autres sont venues s’y ajouter – pour un montant total de 206 milliards d’euros – dont 48 sont toujours actives). D'ici la fin de l'année, la Commission prévoit de lever 80 milliards d'euros d'obligations.

Des collectivités dans le flou

Au Comité européen des régions (CdR), à l'image de Christophe Rouillon, président du groupe socialiste et rapporteur général sur la FRR, si l'on se "réjoui[t] que la facilité soit sur le point de se concrétiser", l'enthousiasme n'est pas complément de mise. "Ma commune va bénéficier du plan de relance européen pour un programme d'isolation énergétique des bâtiments. Nous recevrons à peu près 30% de ce que nous avions demandé. C'est bien, mais nous n'avons aucune visibilité, ni sur les arbitrages, ni sur la coordination par rapport aux demandes faites par d'autres collectivités, ni sur la ventilation des financements entre l'État et l'Europe. De ce fait, nous restons un peu dans le brouillard pour notre planification future", indique ainsi celui qui est également maire de Coulaines (Sarthe). Et d'ajouter : "Nous devons veiller à ce que les fonds destinés à la relance n’aient pas d’effet d’éviction financière sur les programmes de cohésion à long terme."

La consultation des collectivités, une simple case à cocher ?

C'est pourtant l'un des risques pointés par une étude sur "les collectivités territoriales et les plans nationaux de relance et de résilience" – que le Comité des régions vient de rendre publique ce 24 juin –, qui évalue huit plans de relance en s'intéressant plus particulièrement à l'implication des collectivités dans leur élaboration et mise en œuvre. "L'étude confirme ce que nos travaux antérieurs avaient suggéré : de nombreux États membres traitent les consultations des acteurs régionaux et locaux non pas comme des échanges significatifs, mais plutôt comme des processus unilatéraux – comme des exercices de 'cases à cocher'", déplore Michael Murphy (IE/PPE), président de la commission ECON du CdR. Le plan français se voit ainsi affublé d'un feu jaune pour l'implication des collectivités, et d'un feu rouge pour sa dimension territoriale. Un cas tout sauf unique : "Hormis l'Italie et la Belgique, il n'y a pas d'allocation territoriale des ressources", souligne le CdR.

Plan de relance vs politique de cohésion

Pour les auteurs de l'étude, cette absence d'implication des collectivités risque de se traduire par une exploitation insuffisante "des synergies potentielles avec les fonds de la politique de cohésion", voire que les investissements du plan de relance ne viennent "se chevaucher et même déplacer les interventions de la politique de cohésion". L'étude souligne que le fonds de relance "a des contrôles moins rigides, un meilleur cofinancement et une livraison plus rapide" et redoute qu'il ne phagocyte en conséquence les projets en cours. Elle relève en outre que les projets des collectivités pourraient être perçus comme "moins importants et cruciaux" que ceux promus par le plan de relance, nuisant "à l'héritage et à la légitimité que les collectivités se sont forgées ces dernières années".

Impliquer les collectivités

Particulièrement redouté, le fait que le manque de coordination entre les deux dispositifs ne minimise l'impact des mesures déployées, pis n'aboutisse à des aberrations sur le terrain. "Le pont à quatre voies d'un côté, la route qui y conduit à deux voies de l'autre", image-t-on. Et ce d'autant que la "pression est forte pour que les projets soient lancés dans l'urgence", sans réelle évaluation. Au sein du Comité, on souligne encore que dans les régions, les équipes chargées de la gestion des fonds structurels sont exsangues, toujours aux prises avec la programmation 2014-2020, ses modifications et prolongements, tout en devant s'occuper de la nouvelle programmation. "Mais en prendre argument pour justifier leur contournement n'est pas sérieux", juge-t-on, dénonçant une centralisation rampante. On appelle plutôt à investir dans les capacités administratives des autorités de gestion et à renforcer la formation des collaborateurs. Un enjeu tout sauf nouveau. Entre autres recommandations, les auteurs de l'étude invitent également la Commission à contrôler l'adéquation des plans de relance avec la politique de cohésion, ou encore… à montrer l'exemple, en intégrant davantage les collectivités – et le CdR – dans le Semestre européen.