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Régions / Départements - Alsace : un "non" visiblement lourd de sens...

Spécificité du contexte régional, climat national, projet compliqué et à contretemps... Chacun a ses explications sur le "non" des électeurs alsaciens au projet de collectivité unique d'Alsace. Surtout, à la veille de la présentation en Conseil des ministres des projets de décentralisation, chacun met en avant les "leçons" à tirer de ce référendum. Quitte à lui faire dire beaucoup de choses.

Des affiches électorales proclamaient : "Efficacité, je dis oui. Une collectivité au lieu de trois, ça fonctionne mieux". Certains en parlaient déjà comme d'une expérience institutionnelle inédite, voire d'un laboratoire pour les autres régions françaises. L'exercice n'aura finalement pas lieu. Du fait du "non" massivement exprimé par les électeurs du Haut-Rhin et d'une très forte abstention dans toute la région, le référendum du 7 avril sur la fusion des institutions régionales en Alsace débouche sur un statu quo.
Pour être validé, le projet de collectivité unique d'Alsace (CTA) aurait dû recueillir 50% des suffrages exprimés, et au moins 25% des inscrits, dans chacun des deux départements. Le "oui" partait favori. Or 55,74% des votants ont rejeté le projet dans le Haut-Rhin. Et si, dans le Bas-Rhin, le oui a recueilli 67,53% des voix, il n'a rassemblé que 22,90% des inscrits. L'abstention a été forte dans les deux départements : seuls 37,18% des électeurs se sont déplacés dans le Haut-Rhin, et 35,11% dans le Bas-Rhin.
Plus petite région de France, l'Alsace était la première à utiliser une possibilité ouverte par la loi de réforme des collectivités de décembre 2010. Déjà en 2003, les électeurs corses avaient rejeté par référendum un projet comparable.
Désormais, "la question du millefeuille reste ouverte. Nous avons raté le coche pour dix, quinze ou vingt ans", a regretté Philippe Richert, le président UMP du conseil régional, principal initiateur du projet, parlant d'un "grand gâchis".

Contexte national, contexte local...

L'ancien ministre des Collectivités territoriales de Nicolas Sarkozy considère que le résultat du référendum "est aussi à mettre en relation avec le climat général, la crise, l'affaire Cahuzac". Au niveau local, il évoque "un discours d'inquiétude, de peur sur l'avenir du département du Haut-Rhin", nourri notamment par le maire UMP de Colmar, Gilbert Meyer, qui avait brandi le risque d'une suppression de la préfecture, pourtant pas à l'ordre du jour. Colmar a d'ailleurs voté non à 60%. Mulhouse en revanche a voté oui à 50,17%.
"Le non est venu dans les derniers jours", a souligné le principal allié de Philippe Richert, le président UMP du conseil général du Bas-Rhin, Guy-Dominique Kennel, UMP.
"Si la méthode de la fusion a été rejetée, les élus départementaux et régionaux devront continuer à travailler ensemble pour l'Alsace", a pour sa part estimé le président du conseil général du Haut-Rhin, l'UMP Charles Buttner.
Les socialistes de Strasbourg, îlot de gauche dans une région très majoritairement de droite, regrettaient pour leur part qu'au terme de tractations visant à ménager les susceptibilités du Haut-Rhin, le siège du futur exécutif régional soit projeté dans le chef-lieu de ce département, Colmar, au lieu de la capitale régionale historique. A Strasbourg, où le oui l'a toutefois emporté avec 70,96% des suffrages exprimés, le maire Roland Ries (PS) a révélé qu'il avait voté blanc. Tout en se disant favorable au principe, il a expliqué l'échec du référendum par le caractère "flou et confus" du projet.

Un projet "à contretemps" ?

Climat national, campagne peu animée… Chacun a ses explications sur l'échec du référendum. Tous les commentateurs semblent au moins d'accord sur un point : le désintérêt sans appel des électeurs. Pour le député socialiste strasbourgeois Philippe Bies, le niveau record de l'abstention est "lié à la méthode technocratique qui a été utilisée". "Il s'agissait d'une réforme qui paraissait faite par et pour des élus, élaborée en catimini par quelques-uns, alors qu'il aurait fallu impliquer la population, les maires", renchérit le conseiller régional PS du Haut-Rhin Antoine Homé. Ces deux socialistes - dont le premier avait choisi le non et le deuxième le oui – dénoncent aussi le "double langage" du président du conseil général du Haut-Rhin dont les tergiversations ont fait traîner le projet pendant des années, le rendant à chaque fois plus complexe. "Il s'agissait d'un projet mal ficelé, à contretemps, et qui ne répondait à aucune des urgences de l'heure", lance le conseiller général PS du Bas-Rhin Raphaël Nisand, qui appelait à voter non.
Pour le sociologue strasbourgeois Philippe Breton, "la vraie surprise, c'est le vote non" dans le Haut-Rhin : l'évènement marquerait selon lui "la fin d'une époque, du mythe d'une Alsace identitaire".

Des leçons pour la réforme à venir

Bien au-delà du territoire alsacien, cette actualité régionale suscite aujourd'hui nombre de réactions sur les "leçons" à en tirer. Sans surprise, la plupart des commentateurs prennent soin de prendre pour toile de fond la réforme de la décentralisation que l'actuel gouvernement doit présenter ce mercredi 10 avril en Conseil des ministres… et les péripéties qui se sont récemment fait jour autour du ou plutôt des futurs projets de loi.
Les deux ministres en charge de ces projets, Marylise Lebranchu et Anne-Marie Escoffier, n'y échappent pas. Prenant "acte" du résultat du référendum, elles en profitent en effet pour rappeler, dans un communiqué, que leur réforme "comporte des dispositifs qui permettront d'avancer vers une action publique simplifiée" et que les collectivités pourront "s'entendre, dans chaque région, pour mieux organiser la gouvernance et la répartition des compétences au sein des Conférences territoriales de l'action publique."
Interrogée lundi sur le sujet lors d'un déplacement à Rennes, Marylise Lebranchu a aussi développé une analyse plutôt originale : "Tout ce discours 'pas de dépense publique, pas d'action publique, pas de millefeuille' est un discours démobilisateur, nous ont dit les Alsaciens (…). Ils n'ont peut-être pas envie qu'on fasse des économies sur leurs services publics". La ministre a aussi insisté sur le fait que le projet alsacien avait été lancé sous la présidence Sarkozy. "Notre projet n'est pas celui de la fusion des échelons, c'est celui d'une mise en cohérence des politiques publiques".
On perçoit donc aussi que les débats agités qui avaient prévalu en amont de la réforme des collectivités de 2010 sont encore bien présents dans les esprits : chacun se souvient du conseiller territorial, censé faire mieux coïncider les décisions des régions et des départements - un élu d'un nouveau type qui n'a jamais vu le jour, et dont Philippe Richert avait été le dernier ministre en date à défendre la création.

Non au "big-bang territorial"

Comme on pouvait s'y attendre, les représentants des élus départementaux voient dans le référendum de dimanche un témoignage de "l'attachement des Français à leur département" : "Les électeurs alsaciens ont indiqué qu'à leurs yeux la fusion proposée n'était pas la manière la plus indiscutable de faire des économies tout en améliorant l'efficacité des collectivités concernées. En aboutissant à une recentralisation, elle comportait effectivement un risque de complexification des structures", analyse Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France.
Christian Favier, le sénateur et président PCF du conseil général du Val-de-Marne, le dit en des termes moins feutrés : "Les tenants d'un chamboulement des collectivités locales viennent (…) de se faire infliger un cuisant échec (…). Nos concitoyens ne veulent pas d'un 'big-bang' territorial." Et l'élu de profiter de l'occasion pour demander que l'entrée en scène des actuels projets de décentralisation, dont il fustige le "caractère improvisé" et l'"élaboration erratique" soit suspendue pour "poursuivre la concertation avec les élus et les populations".
A l'autre bout de l'échiquier politique, certains ne disent guère autre chose. Tel Jacques Myard, député-maire UMP de Maisons-Laffitte, évoquant ce 8 avril "un signal fort qui rappelle à ceux qui feignent de l'ignorer que le département comme unité administrative est bien ancré sociologiquement" et doutant fort que "la région puisse être le cadre efficace et optimum de l'organisation administrative territoriale".

Un message sur l'égalité des territoires ?

Du côté des représentants des régions, Martin Malvy a été le premier à s'exprimer. Pour signifier lui aussi que l'issue du référendum confirme ce qu'ont toujours pensé la plupart des élus régionaux… "D'une certaine manière, ils ont répondu aux questions que nous avons posées à propos de la réforme dont le texte sera soumis mercredi au conseil des ministres : le problème, ce n'est pas le découpage administratif, c'est la clarification des compétences et le niveau des responsabilités que l'Etat confie à chaque catégorie de collectivités", résume dans un communiqué le président de la région Midi-Pyrénées.
Europe-Ecologie-Les Verts (EELV), qui avait appelé à voter "oui" en Alsace, parle d'une "lourde déception pour celles et ceux qui, comme les écologistes, jugent nécessaire la simplification du millefeuille territorial et le renforcement, dans cette perspective, de l'échelon régional". Mais explique aussi qu'il faut "entendre" l'issue du référendum comme "une sérieuse alerte sur l'inégalité des territoires telle qu'elle est vécue", sur "le sentiment de domination des 'petits territoires' par les plus grands".

Ce qui était prévu…

La collectivité unique serait née de la fusion du conseil général du Haut-Rhin, de celui du Bas-Rhin et du conseil régional. Le siège officiel de la collectivité unique aurait été à Strasbourg, mais aurait en principe été administrée par une assemblée délibérante siégeant à Strasbourg et par un conseil exécutif à Colmar.
L'édifice institutionnel aurait été complété par des "conférences départementales" consultatives et des "conseils de territoire de vie". Il aurait réuni les budgets actuels des trois collectivités, soit un total de quelque 2,7 milliards d'euros. Dans des domaines tels que les transports ou les équipements scolaires, la fusion aurait permis plus de cohérence, assuraient ses promoteurs.
Les économies générées par les mutualisations n'avaient pas été précisément chiffrées, mais les partisans du projet donnaient l'exemple des dépenses de communication ou celles relatives au parc automobile, qui auraient baissé de 10 à 20%. Outre les compétences actuellement dévolues aux trois entités, la nouvelle collectivité unique aurait pu assurer certaines compétences transférées par l'Etat dans des domaines allant de la coopération transfrontalière à l'éducation en passant par le logement.
 

 

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