Aménagement commercial : une circulaire appelle les préfets à la vigilance
Comme l'ex-secrétaire d'Etat au commerce Martine Pinville s'y était engagée lors des premières Assises de la revitalisation des centres-ville en février dernier, une instruction rappelle aux préfets les règles en matière d'aménagement commercial, suite aux réformes de 2014. Alors que les CDAC valident toujours l'essentiel des projets qui leur sont soumis, elle les invite à la vigilance, notamment sur les pratiques de contournement...
En 2015, 89% des demandes de projets commerciaux examinés par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) ont reçu un avis favorable. Autant dire que les mini-réformes de l’aménagement commercial apportées en 2014 par les lois Alur et ACTPE n’ont rien changé. Ces commissions sont toujours les "machines à dire oui" que d’aucuns décriaient. Or les préfets ont un rôle de premier plan en matière d’urbanisme commercial et d’aménagement du territoire, rappelle une instruction gouvernementale du 3 mai, que ce soit au titre du contrôle de légalité, des arrêtés de fermeture, de l’obligation de démantèlement des friches, ou encore en tant que présidents de ces CDAC. Cette instruction faisait partie des rares mesures annoncées par la secrétaire d'Etat chargée du commerce Martine Pinville, lors des premières Assises de la revitalisation des centres-ville" du 28 février 2017. Dans ce document, co-signé avec l’ancien ministre de l’Economie Michel Sapin, elle entend ainsi rappeler le code de conduite et "favoriser un développement équilibré du commerce dans les territoires et sécuriser juridiquement les décisions ou les avis rendus par les CDAC".
Liberté d'établissement
La notion de "développement équilibré" est pourtant bien difficile à mettre en œuvre, tant le rapport de force promoteurs/élus semble souvent défavorable à ces derniers. Quand bien même voudraient-ils limiter la dévitalisation de leur centre-ville à travers les schémas de cohérence territoriale (Scot), ils n’en auraient pas vraiment la possibilité.
Au titre de leur contrôle de légalité, les préfets doivent en effet s’assurer que ces Scot sont "ni trop prescriptifs ni trop restrictifs", indique l’instruction, sous peine de violer le sacro-saint principe de "libre établissement d’un commerce" défendu par la Commission européenne. Ainsi, un Scot ne peut pas exclure certains types de commerce sur son périmètre d’action, comme par exemple des hypermarchés de plus de 2.500 m2 de surface de vente ou des "discounters". Il ne peut pas davantage "empêcher le développement d’une zone commerciale au-delà de 30.000 m2 de surface de vente"…
On se souvient que la loi ACTPE du 18 juin 2014 a fusionné en un seul document le permis de construire et l’autorisation d’exploitation commerciale (AEC). Là encore, "la liberté d’établissement demeure le principe" et l’interdiction "l’exception, strictement encadrée par la loi", rappelle l'instruction. Il ne peut donc être porté atteinte au droit de tout opérateur économique de demander une autorisation d’exploitation commerciale.
L'instruction insiste cependant sur le fait que les arrêtés de permis de construire sont illégaux s’ils ont été pris sitôt connu l’avis de la CDAC, sans attendre le délai de recours d’un mois devant la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC). Celle-ci dispose à son tour de quatre mois pour se prononcer. Ce recours est préalable à toute action contentieuse.
Stratégies de contournement
L’instruction met par ailleurs en garde contre les contournements de la loi, avec ce que les spécialistes appellent "la stratégie du pied dans la porte" : le constructeur dépose une demande de permis de construire classique pour un projet de moins de 1.000 m2 (seuil qui l’exonère du passage en CDAC) ; puis une fois le bâtiment construit et ouvert, sollicite une autorisation d’extension.
Autre pratique : pour la création d’un projet de 1.500 m2 de surface de vente, le constructeur dépose un premier projet de 999 m2 de surface de vente, complété par une demande d’extension de 501 m2. "Le but poursuivi est de réaliser le projet voulu, quels qu’en soient les effets négatifs", explique l’instruction. En effet, généralement, les impacts négatifs sont liés au bâtiment existant et plus limités pour ce qui est de l’extension. Or, dans ce cas, la CDAC ne statue pas sur l’existant. Elle ne peut refuser le projet d’extension que si ses effets compromettent "les objectifs légaux relatifs à l’aménagement du territoire, au développement durable et à la protection des consommateurs".
Toutes ces pratiques sont "contraires à l’esprit de la loi", souligne l’instruction. "Dans de tels cas, un recours auprès du juge administratif est souhaitable, après en avoir préalablement avisé le président de la Commission nationale d’aménagement commercial."
Au-delà du contrôle de légalité, le préfet agit sur les mises en demeure et arrêtés de fermetures d’exploitations illicites et sur l’obligation de démantèlement et de remise en état introduite par la loi Alur du 24 mars 2014. A ce titre, l’instruction rappelle aux préfets qu’ils ont la possibilité d’interroger et même de rencontrer le propriétaire qui ne respecterait pas ses obligations. En revanche, le pouvoir de le poursuivre n’appartient qu’à l’autorité compétente en matière de permis de construire, c’est-à-dire au maire.
Déontologie
La circulaire revient par ailleurs sur le rôle du préfet en tant que président de la CDAC et notamment sur le droit de recours devant la CNAC sachant qu'en 2015, un quart des dossiers en ont fait l’objet. Une amélioration dans le traitement des dossiers est "possible est souhaitable", juge l’instruction. Celle-ci rappelle tout d’abord les règles de déontologie. Les préfets doivent ainsi s’assurer de la capacité à siéger de chaque membre de la CDAC et vérifier qu’ils n’ont pas omis de mentionner "des intérêts, fonctions ou mandats, présents ou passés au cours de trois dernières années". Ce rôle "revêt une importance particulière dans le contexte actuel", insiste le document. Il s’agit de renforcer "le lien de confiance entre les citoyens et les acteurs publics et économiques", dans un domaine où la corruption a laissé des souvenirs.
S’agissant des critères d’appréciation des projets, l’instruction rappelle les exigences de la Commission dans sa directive du 12 décembre 2006 qui s’est traduite en France par la loi de Modernisation de l’économie du 4 août 2008 : désormais tout critère économique (qui permettrait par exemple de juger de l’impact d’un projet commercial sur le commerce de centre-ville) est interdit ! La CDAC ne peut faire valoir que des critères répondant à des objectifs "d’aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs". Seulement, l'expérience a montré qu'il suffisait parfois d’une dose homéopathique de développement durable (panneaux solaires, une légère armature en bois…) pour que le projet soit accepté.
Les deux ministres se félicitent qu'avec la loi ACTPE, le législateur ait élargi la composition des CDAC à des élus moins directement concernés, afin de "dépassionner" les enjeux, voire les conflits. Les préfets sont enfin invités à présenter "des outils pratiques et objectifs" aux membres de la commission, en termes de vacance commerciale ou de taux de mise à disposition des locaux commerciaux".
On notera enfin que le site www.entreprises.gouv.fr/cnac propose de nombreuses fonctionnalités "aux secrétariats des CDAC comme aux professionnels de l'urbanisme commercial".
Cette piqûre de rappel est sans doute la bienvenue. De là à inverser la tendance...
Référence : Instruction du gouvernement du 3 mai 2017 sur la législation en matière d'aménagement commercial.