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Environnement - Amiante : la défaillance des pouvoirs publics

L'amiante entraînera une "épidémie inéluctable", assure le rapport sénatorial analysant les défaillances intervenues dans la gestion de ce dossier. L'Etat est en première ligne. Mais il y a bien "enchaînement des responsabilités des différents acteurs", dont les collectivités ne sont pas exclues.

L'Etat accusé d'être responsable d'une "gestion défaillante" de l'amiante, qui va entraîner "une épidémie inéluctable"... Le verdict du rapport que le Sénat vient de rendre public est sans appel. Ce rapport d'information délivre en tout cas un diagnostic alarmant sur le plan sanitaire : si 35.000 décès intervenus entre 1965 et 1995 peuvent être imputés à l'amiante, "60.000 à 100.000 morts sont attendus dans les 20 à 25 ans à venir". S'y ajoutent "environ 10% des 25.000 cancers du poumon déclarés chaque année", directement liés à l'utilisation de ce matériau longtemps surnommé le "magic mineral". "C'est le plus grand drame sanitaire que nous ayons connu ces dernières années", a estimé le président de la mission, Jean-Marie Vanlerenberghe.
"Les scientifiques jugent l'épidémie à venir inéluctable et irréversible, et son ampleur déterminée jusqu'en 2030", prévient le rapport sénatorial. Avec plus d'un quart des retraités masculins exposés à l'amiante au cours de leur vie professionnelle (et ce, dans de très nombreux métiers, tant dans le secteur privé que public), le coût de l'indemnisation des victimes devrait s'élever à un montant situé "entre 27 et 37 milliards d'euros". Quatre régions "de forte présence industrielle ou marquées par l'importance de la construction navale" concentrent plus de la moitié des cas avérés de contaminations : Pays-de-la-Loire, Nord-Pas-de-Calais, Haute-Normandie et Basse-Normandie.


"Un modèle de manipulation"

"Face à un drame sanitaire de l'ampleur de celui de l'amiante, se pose inévitablement la question des responsabilités. Or, dans ce dossier, celles-ci sont multiples et se sont cumulées", écrivent les sénateurs, même s'ils réservent leurs principales attaques à l'Etat, à la fois en tant qu'employeur et en tant qu'"Etat contrôleur". Selon eux en effet, les pouvoirs publics sont responsables de "l'absence de système de veille et d'alerte" et de "l'inadaptation et du manque de moyens de la médecine et de l'inspection du travail".
La mission regrette notamment que l'Etat ait été influencé par le Comité permanent amiante (CPA, composé d'industriels, scientifiques, partenaires sociaux, représentants de ministères), qui "apparaît comme un modèle de communication et de manipulation". "Le choix du CPA était clair : il fallait continuer à utiliser l'amiante et retarder le plus possible son interdiction", affirme le rapport. Résultat : l'interdiction de ce matériau n'est intervenue qu'en 1997 (décret du 24 décembre 1996). Et ce, alors que sa dangerosité avait été remarquée dès 1906, qu'il était reconnu comme source de maladie professionnelle depuis 1945 et que son caractère cancérigène avait été souligné par le Parlement européen en 1978.
Des critiques virulentes, aussi, à l'égard d'industriels engagés dans un véritable "lobbying", mais aussi de syndicats n'ayant "pas discerné la menace" et ayant eu tendance "à accorder la priorité à la préservation de l'emploi".


Les collectivités face au cas des établissements scolaires

Les collectivités sont elles aussi citées, certaines d'entre elles ayant parfois tardé à prendre les mesures nécessaires vis-à-vis des bâtiments publics dont elles avaient la charge, le rapport se penchant plus particulièrement sur le cas des établissements scolaires.
La mission a ainsi auditionné le président de l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires, Jean-Marie Schléret, lequel a rappelé que, dans les années 60-70, "un grand nombre de bâtiments - établissements scolaires et universitaires, équipements sportifs, préaux... - ont été construits en utilisant des structures métalliques, qui ont nécessité un flocage à base d'amiante pour leur protection contre l'incendie".
Le rapport regrette "le retard pris par certaines collectivités pour constituer le dossier technique amiante (DTA) prévu par le décret du 13 septembre 2001" : alors que celui-ci fixait au 31 décembre 2003, pour les établissements scolaires, la date d'achèvement obligatoire de ce document, seuls 40% des collèges et 50% des lycées l'avaient établi en avril 2005.
Mais les sénateurs font aussi valoir que "de nombreuses collectivités territoriales, responsables de la sécurité des établissements scolaires, ont pris des initiatives dès qu'elles ont été saisies du problème de l'amiante", citant l'exemple de la région Nord-Pas-de-Calais. Selon Jean-Marie Schléret en effet, alors que les régions n'avaient, avant 2001, l'obligation d'engager des travaux qu'à partir de 25 fibres par litre d'air, "elles se sont majoritairement positionnées pour des travaux de fond sans se contenter des solutions provisoires que sont l'encollement et l'encoffrement".
L'échelon régional serait bien le plus concerné, avec 13% des lycées renferment des surfaces amiantées, floquées ou calorifugées, selon les enquêtes réalisées entre 1996 et 1998. Viennent ensuite les départements (5,3% des collèges) puis les communes (seules 2% des écoles primaires, la plupart d'entre elles ayant été construites au début du siècle, avant l'utilisation massive de l'amiante dans la construction et, les plus récentes, de faible hauteur, n'ayant pas utilisé ce matériau).


Loi Fauchon et responsabilité pénale

Le décret du 13 septembre 2001 prévoit des sanctions pour les propriétaires qui n'auraient pas réalisé le dossier technique amiante avant la fin 2005, mais "reste muet sur le contrôle du respect de cette obligation ainsi que sur la transmission des DTA effectués", regrettent plusieurs personnes auditionnées. Les collectivités territoriales font toutefois figure d'exception puisqu'elles ont bien, pour leur part, l'obligation de transmettre les DTA au préfet pour les bâtiments dont elles ont la responsabilité.
Depuis plusieurs années, les experts préconisent la constitution d'une base informatique nationale de tous les DTA, qui "permettrait de disposer en temps réel de l'historique et du suivi" de tous les bâtiments. Si beaucoup considèrent cette perspective comme plutôt utopique, le Sénat salue à ce titre l'initiative prise par le Conseil de Paris en mai 2005 visant à rendre public l'ensemble des diagnostics amiante des bâtiments publics parisiens.
Parmi les nombreux autres problèmes soulevés par le rapport figure celui du suivi et du traitement des déchets amiantés : "La réglementation n'est pas toujours respectée et le risque de dissimulation d'une partie des déchets amiantés ne peut être écarté."
A tous les niveaux, au-delà de la responsabilité de l'Etat, se pose bien "la question de l'enchaînement des responsabilités des différents acteurs", insiste le rapport.
Sur le terrain pénal, les associations de défense des victimes de l'amiante considèrent que la législation en vigueur constitue un obstacle à la reconnaissance de ces responsabilités. Elles estiment en effet que la loi Fauchon (loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non-intentionnels) "interdirait toute poursuite" dans le sens où elle exige une faute caractérisée pour engager la responsabilité. Or, relèvent-elles, "une telle faute serait précisément impossible à démontrer dans l'affaire de l'amiante, tant les acteurs étaient nombreux à s'être trompés".


C.M.

 

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