Approvisionnement local dans les cantines : régions et départements appellent l'État à la "cohérence"

Alors que la restauration collective peine à atteindre les objectifs des lois Egalim et Climat et Résilience, Carole Delga et François Sauvadet interpellent le Premier ministre sur les "freins" que régions et départements rencontrent pour favoriser l'approvisionnement local.

À chaque crise agricole, le débat sur l'approvisionnement local dans les cantines revient. C'était déjà le cas en 2015 : les associations d'élus étaient montées au créneau pour demander une modification de ce qui s'appelait encore le code des marchés publics. Il a fallu finalement attendre la loi Egalim du 30 octobre 2018 pour fixer des objectifs contraignants, mais sans toucher au sacrosaint principe de la libre concurrence, le droit de l'Union européenne interdisant l'introduction d'une "préférence locale" dans les marchés publics. Il s'agissait à travers Egalim d'atteindre, avant le 1er janvier 2022, au moins 50% de produits durables et de qualité dont au moins 20% de produits bio. Cette disposition a été renforcée par la suite par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, imposant au 1er janvier 2024 un objectif de 60% de viandes et produits de la pêche de qualité et durables… Seulement ces deux lois n'indiquaient pas les moyens de parvenir à ces objectifs et ne prévoyaient aucune sanction. Résultat : selon le dernier rapport du gouvernement remis au Parlement sur la mise en oeuvre de la loi Egalim, il ya bien des progrès mais la marche est encore haute. La part des produits durables et de qualité atteint péniblement les 29% et le bio 13,1%.

Mais les collectivités sont entravées par un certain nombre de "freins" dénoncent, dans un courrier commun adressé à Gabriel Attal, la présidente de Régions de France, Carole Delga, et le président de Départements de France, François Sauvadet, appelant à libérer la commande publique des "contraintes inutiles" pour en faire "un levier puissant susceptible de contribuer à la refonte de nos systèmes alimentaires territoriaux". Sachant qu'environ 3,7 milliards de repas sont servis chaque année dans l'ensemble de la restauration collective.

Impossibilité d'introduire un critère de proximité

"Qu’il s’agisse des hôpitaux, des restaurants scolaires et universitaires, ou de l’ensemble des services exercés en gestion publique déléguée, la commande publique doit être mise au service d’une économie de souveraineté alimentaire et de l’avenir agricole", soulignent-ils dans ce courrier daté du 19 février, soit deux jours avant l'annonce du Premier ministre d'une "conférence des solutions" avec les collectivités sur les moyens d'accélérer la mise en oeuvre des objectifs fixés par la loi Egalim (voir notre article du 21 février). Les deux élus remettent sur la table l'impossibilité pour les pouvoirs adjudicateurs "d’introduire dans les marchés publics un critère de proximité, pour recourir prioritairement à des producteurs locaux, aux filières courtes et, à défaut, à des productions qui participent au maintien de nos filières agricoles". Ce qui conduit "à éloigner les producteurs des acheteurs, voire à importer des denrées alimentaires pourtant produites en France dans des conditions plus saines".

Le second frein est celui de "la carence de la décision publique", estiment-ils. "Aujourd’hui, les collectivités territoriales, départements et régions, financent la restauration scolaire, investissent dans les équipements et emploient les agents de cuisine", mais elles ne disposent "d’aucune autorité dans la décision d’achat des denrées alimentaires", déplorent-ils. Ils proposent au Premier ministre "de mettre en cohérence l’exercice de la compétence et celui de l’autorité de la décision en confiant aux collectivités territoriales compétentes pour le service public de la restauration scolaire l’autorité hiérarchique sur les gestionnaires (l'Education nationale, ndlr)".

Enfin, Carole Delga et François Sauvadet s'inquiètent de la multiplication des groupements d'achats qui développent "des circuits d’approvisionnement souvent déconnectés de leur territoire". Ces pratiques "doivent être mises en cohérence par les collectivités investies de l’autorité de contrôle ou de la compétence, dans un cadre règlementaire renforcé". Ce qui leur permettrait de "garantir une plus grande convergence des pratiques, au profit des productions agricoles locales, régionales et nationales".

Les deux élus proposent au Premier ministre de "travailler ensemble, dans les prochaines semaines, pour que la restauration publique bénéficie enfin de la qualité des productions françaises et qu’elle soit aussi un soutien pour le revenu de nos agriculteurs".

430 projets alimentaires territoriaux

Il y a peu de chances que le gouvernement touche aux règles actuelles. Dans une récente réponse à un député, le ministre de l'Agriculture rappelle que "les principes constitutionnels de la commande publique (liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats rappelés à l'article L. 3 du CCP) et les principes de non-discrimination et de liberté de circulation des personnes, des capitaux et des services énoncés dans les traités de l'Union européenne font obstacle à la prise en compte d'un critère géographique dans l'attribution des marchés publics". Il renvoyait à des "guides pratiques" récemment actualisés et mis en ligne sur la plateforme gouvernementale "ma cantine". Ces guides "donnent des clés aux acheteurs pour construire des stratégies d'achats" et facilitent la mise en oeuvre des dispositions de la loi Climat et Résilience selon lesquelles les gestionnaires de restaurants collectifs doivent développer "l'acquisition de produits dans le cadre des projets alimentaires territoriaux". "Au 1er janvier 2024, plus de 430 PAT labellisés par le ministère chargé de l'agriculture sont en action ou en construction sur le territoire national", indique-t-il.

La "conférence des solutions" proposées par le Premier ministre devrait se tenir courant avril.