Architectes des bâtiments de France : un rôle contesté mais indispensable

Devant la mission d'information du Sénat consacrée aux architectes des bâtiments de France, Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la Culture, a dressé un portrait réaliste de cette fonction parfois contestée par les élus locaux. Avant d'envisager des évolutions pour parvenir à un meilleur dialogue.

Travaillons ensemble pour mieux faire comprendre et accepter les interventions des architectes des bâtiments de France (ABF). C'est, en substance, ce qu'a proposé Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la Culture, à la mission d'information du Sénat consacrée aux ABF à l'occasion de la première audition menée par celle-ci, le 28 mars dernier.

Avant de lancer cette proposition, Jean-François Hébert avait semé quelques pierres. Pour cet ancien directeur de cabinet de la ministre de la Culture de 2007 à 2009, les ABF constituent "une fonction au cœur de la politique patrimoniale de l'État, mais rencontrent des difficultés d'exercice". La première tient dans leurs sous-effectifs : alors qu'une vingtaine de postes d'architectes-urbanistes de l'État (AUE) sont ouverts chaque année à travers un concours commun aux ministères de la Culture et de la Transition écologique, tous ne sont pas pourvus, particulièrement en ce qui concerne l'option culture.

Des demandes en très forte augmentation 

Répartis dans des Udap (unités départementales de l'architecture et du patrimoine) – elles-mêmes marquées ces dernières années par des sous-effectifs pour les autres catégories de personnels qu'elles emploient –, les ABF contrôlent les projets menés sur des espaces protégés représentant 8% du territoire national et correspondant, notamment, aux abords des 45.000 monuments historiques. Ils sont également chargés de promouvoir un urbanisme et une architecture de qualité et d'assurer la conservation des monuments historiques propriétés de l'État ainsi que le contrôle scientifique et technique des autres monuments historiques de leur département. 

La tâche est immense alors que le nombre des demandes d'autorisation a flambé ces dernières années. "Durant les confinements, explique Jean-François Hébert, nos concitoyens ont réaménagé leurs propriétés." On est ainsi passé d'environ 300.000 dossiers examinés en 2010 à 489.000 en 2023, le tout sans allonger le délai moyen de traitement de vingt-deux jours. À cela, il convient d'ajouter les quelque 200.000 conseils apportés par les ABF, par exemple à travers leurs permanences en mairie.

Jean-François Hébert estime qu'"un effort de productivité a pu être accompli" alors qu'on ne  compte actuellement que 189 ABF. "Quand on les critique, on devrait avoir en tête qu'une Udap rassemble en moyenne six personnes, dont les architectes, et que la moitié d'entre elles ne disposent que d'un seul ABF", assène-t-il.

"Une forme de toute-puissance"

Car les critiques ne manquent pas. Lors de la séance d'installation de la mission, tenue la veille, son rapporteur Jean-Pierre Verzelen avait estimé que si "les services des grandes mairies ont des relations bien établies avec les ABF, […] dans certaines petites communes, le lien se matérialise simplement, le cas échéant, par un courrier de refus". Lors de l'audition, Anne-Marie Nédélec, sénatrice de la Haute-Marne, a mis en avant la disparité des décisions : "Je suis nouvellement élue et ai donc bien en tête les doléances des maires que j'ai rencontrés durant ma campagne, dans un département très rural. Ceux-ci déplorent le fait qu'il existe autant d'injonctions que d'ABF." Et l'élue d'ajouter : "Il existe un sentiment que ces derniers font preuve d'une forme de toute-puissance." La critique n'épargne pas le milieu urbain. Adel Ziane, sénateur de la Seine-Saint-Denis, s'étonne : "Des pétitionnaires sont venus me voir pour déplorer le fait qu'ils avaient reçu un avis défavorable sur un projet, alors que des projets similaires avaient reçu des avis favorables dans d'autres départements." D'autres élus déplorent les difficultés posées par le diagnostic de performance énergétique (DPE), les installations photovoltaïques et éoliennes ou le "zéro artificialisation nette" (ZAN).

Face à ces critiques, le directeur général des patrimoines et de l'architecture rappelle d'abord que "les ABF se prononcent dans des cas d'espèce, ce n'est pas mécanique", et que "le principe même de la fonction est la prise en compte du territoire". Il reconnaît également que, "comme dans toute profession, il y a des gens qui font du zèle, qui vont trop loin, c'est certain". Puis il apporte des précisions sur ce qu'il nomme "le point urticant". En l'occurrence, les 34.230 avis défavorables ou refus d'accord délivrés en 2023, soit 7% des demandes. Décisions le plus souvent motivées par l'absence de qualité architecturale du projet ou l'absence de prise en compte de l'impact du projet sur le patrimoine.

Le PDA, "outil prioritaire"

Conscient que "la fonction de l'ABF est exposée à la critique", Jean-François Hébert profite de son audition pour mettre en avant le travail en cours au ministère de la Culture et tendre la main aux sénateurs. Depuis l'été 2023, un groupe de travail planche sur la définition au plan national d'un cadre d'action des Udap qui serait décliné au plan régional. Explication : "Ce n'est pas à Paris qu'on peut définir la couleur des volets ou l'emplacement de panneaux photovoltaïques à Bordeaux ou Perpignan. Ça ne peut se faire qu'au niveau local. Il faut que des lignes directrices nationales soient émises puis déclinées."

Dans ce cadre, le ministère de la Culture envisage une "massification" des périmètres de délimitation des abords des monuments historiques (PDA). Pour Jean-François Hébert, si le rayon de protection de cinq cents mètres autour des sites protégés inscrit dans les textes "a son utilité", il est néanmoins "un peu arbitraire". C'est pourquoi la loi LCAP de juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, prévoit une "approche intelligente", à savoir les PDA. Grâce à eux, et par "un dialogue nourri avec les collectivités territoriales, sans que ce soit arbitraire ou mathématique, on réalise un travail fin pour délimiter ce qui doit l'être. C'est un travail de dentelle, c'est beaucoup plus engageant", décrypte le directeur général des patrimoines et de l'architecture. Pour lui, cette solution est "l'outil prioritaire" qui rend la décision de l'ABF beaucoup mieux acceptée par la collectivité. On compte actuellement trois mille PDA en France, contre mille il y a cinq ans. Le classement au titre des sites patrimoniaux remarquables (SPR), fruit d'un partenariat entre les collectivités et les services de l'État, est aussi "un outil de dialogue remarquable", pointe Jean-François Hébert.

"Personne ne leur dit merci"

"Il faut qu'on avance, c'est la condition sine qua non de la survie de notre dispositif", confie alors Jean-François Hébert, qui souhaite aussi aider les ABF à se rendre plus disponibles pour les petites communes, en s'appuyant sur le chantier de la ruralité lancé récemment par la ministre de la Culture. 

Relever le défi du dialogue, dissiper les malentendus et les incompréhensions, telles sont les intentions du directeur général des patrimoines et de l'architecture devant la mission sénatoriale. Une ambition qui ne s'arrête pas au seuil du Palais du Luxembourg. "Avec notre groupe de travail, qui avance et qui a déjà produit des résultats, nous allons dans ce sens. Je suis très heureux que la mission du Sénat vienne en complément. Je suis confiant que l'on puisse trouver des voies pour améliorer grandement la perception qu'ont nos concitoyens de l'action fondamentale des ABF", conclut-il, même si "personne ne leur dit merci pour les projets épouvantables qu'ils évitent". Le rapport de la mission est attendu en septembre prochain.