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Artificialisation des sols : la Cour des comptes rappelle l'urgence d'une "véritable politique foncière agricole"

Dans un référé daté du 28 juillet mais rendu public le 12 novembre, la Cour des comptes alerte le gouvernement sur la poursuite de l'artificialisation des sols au détriment de l'agriculture et formule des recommandations permettant de "mieux maîtriser et réguler l'évolution du foncier agricole". Parmi celles-ci : l'achèvement de la mise en place d'un observatoire dans une double dimension "interministérielle et territoriale".

"Alors que l’État vise, en application du plan biodiversité du 4 juillet 2018, à stopper l’artificialisation nette des terres et au moment où le départ en retraite du tiers des exploitants agricoles d'ici 2023 induit à la fois un risque de déprise et un volume élevé de transactions sur le marché foncier rural, la préservation des terres agricoles constitue un sujet de première importance tant pour le monde agricole que pour le pays tout entier", estime la Cour des comptes dans un référé sur "les leviers de la politique foncière agricole" adressé au Premier ministre Jean Castex. Daté du 28 juillet dernier mais rendu public ce 12 novembre seulement, ce document souligne d'emblée que le contexte actuel de crise sanitaire "rappelle l’importance, pour notre pays, de la sécurité de son approvisionnement alimentaire".

Près de 600.000 hectares touchés en dix ans

Faisant le constat d'une poursuite de l'artificialisation des sols au détriment de l'agriculture, la Cour reprend des chiffres et des explications connus : 596.000 hectares en dix ans concernés par le phénomène, dû principalement à l’étalement urbain couplé au développement des transports et des infrastructures, et à un prix du foncier agricole comparativement plus faible en France que dans d’autres pays européens. Inégalement répartie sur le territoire, l’artificialisation est particulièrement préjudiciable à l’agriculture périurbaine, à un moment où les filières de proximité sont très recherchées, ainsi que dans les zones littorales et outre-mer, relève aussi la Cour. En outre, elle concerne, à hauteur de 70%, des terres agricoles riches. 
La concentration des terres agricoles se poursuit, elle aussi. "Le nombre d’exploitations agricoles a baissé de plus de la moitié en une trentaine d’années (436.000 exploitations en 2016 contre 1.017.000 en 1988) et leur surface moyenne est passée de 43 à 63 hectares entre 2000 et 2016", note la Cour.
Pour les magistrats, "Une lutte efficace au service de l’objectif du 'zéro artificialisation nette', qui mérite d’ailleurs d’être précisé, suppose à la fois une clarification et un renforcement des outils d’observation disponibles. Aujourd’hui, ce processus est seulement amorcé avec la mise en place d’un prototype d’observatoire de l’artificialisation, dont le déploiement sur l’ensemble du territoire national est annoncé d’ici 2023." Ils recommandent donc d'"accélérer et achever" d’ici là la mise en place de cet observatoire, "dans sa dimension interministérielle et territoriale".

Difficile mission des Safer

La Cour juge aussi que "des améliorations sont nécessaires pour mieux maîtriser l'évolution du foncier agricole". Elle alerte sur le fait que l’exercice des missions des Safer est "partiellement contourné par la progression des formes sociétaires d’exploitation". "Le moment est venu pour l’État de prendre la mesure des conséquences de la progression des transactions portant sur des parts de sociétés agricoles, souligne-t-elle. Ces transactions, qui étaient au nombre de 275 pour une valeur de 132 millions d'euros en 2014, représentent, en 2018, 8.611 opérations pour une valeur de 1,1 milliard d'euros, soit l’équivalent de 18% du marché foncier agricole, selon les chiffres de la FNSAFER." "La constitution sous forme sociétaire, qui permet d’isoler le patrimoine familial et le patrimoine professionnel, concerne aujourd’hui 36% des exploitations et s’accompagne de l’essor de sociétés de portage foncier et de la concentration des exploitations, avec l’entrée au capital d’associés non exploitants", poursuit la Cour qui voit dans la combinaison de ces évolutions un moyen d’"échapper aux instruments classiques de régulation".  
Par ailleurs, si une faible proportion des transactions (11%) réalisées sur le marché de l’espace agricole bénéficie annuellement du savoir-faire des Safer et des avantages fiscaux afférents, cette activité d’intermédiation est plus significative en termes de surfaces, relève la Cour. L’activité de vente concerne en effet 21% des surfaces, soit 89.327 ha en 2018, auxquels s’ajoute une large part des 126.171 ha de terres conservées ou louées par les Safer la même année. "Ces chiffres plaident en faveur d’une orientation plus affirmée de l’activité des Safer et de leurs interventions, à la fois en termes de prise de marché mais aussi en termes d’attributions sur des zones ou des opérations présentant des enjeux particuliers en matière agricole, environnementale ou de développement rural", soulignent les magistrats. La Cour estime aussi que la coopération locale entre les Safer et leurs partenaires (État, collectivités territoriales, chambres d’agriculture et établissements publics fonciers) doit également être encouragée, "autant pour faciliter l’installation des nouveaux agriculteurs, en lien avec les chambres d’agriculture, que pour protéger les espaces agricoles, naturels et forestiers".

Mesures attendues dans le futur projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat

Dans sa réponse au référé, datée du 2 novembre, Jean Castex rappelle tout d’abord la "politique ambitieuse de limitation de l’artificialisation des sols" portée par le gouvernement, à travers notamment la feuille de route partenariale élaborée sur le sujet, notamment avec les collectivités. Les mesures de niveau législatif prévues par cette feuille de route seront intégrées au projet de loi faisant suite aux travaux de la convention citoyenne pour le climat, assure le Premier ministre, qui cite notamment la division par deux du rythme d’artificialisation des sols et les moyens d’y parvenir ainsi que le moratoire sur les nouvelles zones commerciales. Cette feuille de route gouvernementale prévoit également "un volet 'évitement et réduction' dans la planification et, plus largement, d’autres volets incitatifs" comme la reconversion et la réhabilitation de friches aidées, dans le cadre du plan de relance, par la création d’un fonds de 300 millions d’euros.

Observatoire : l'intégration de données plus fines en phase de test

Concernant les outils nécessaires à l’observation du phénomène de consommation de foncier, "l’accès à des données fiables et partagées […] a constitué une priorité des travaux du gouvernement en vue de définir cette feuille de route, indique le Premier ministre. La mise en place de l’observatoire national de l’artificialisation, en application du plan biodiversité adopté par le gouvernement en juillet 2018, s’est ainsi d’abord concentrée sur la mise à disposition de données relatives à l’artificialisation des sols, rapidement mobilisables, à savoir les fichiers fonciers".
Mis en place un an plus tard, dans "sa première version", selon Jean Castex, cet observatoire a permis la publication d’un premier état annuel de l’artificialisation, reposant sur les fichiers fonciers et offrant des "données comparables à toutes les échelles du territoire", précise ce dernier. "En vue d’améliorer ses capacités, il est envisagé d’intégrer à l’observatoire des données 'd’occupation des sols à grande échelle' par les opérateurs en charge du développement - IGN, Cerema et Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (Ifstar)". Cette intégration de données plus fines sur l’artificialisation est testée dans le cadre de l’élaboration du Schéma de cohérence territoriale (Scot) d’Arcachon. "Les résultats sont attendus pour l’automne 2020", avant un possible déploiement au niveau national, qui dépendra "du résultat de ce test, mais aussi de la capacité à financer à la fois le déploiement et la maintenance du dispositif dans la durée, ainsi que de l’engagement des collectivités à l’utiliser".
La gouvernance de ce projet, qui doit nécessairement être partagé avec les collectivités, selon le Premier ministre, pourrait ainsi être confiée à l’Observatoire des espaces naturels, agricoles et forestiers ou à un groupe ad hoc créé sur le modèle du groupe "sobriété foncière" mis en place par l’exécutif il y a quelques mois. "Je serai particulièrement attentif à la mise en œuvre rapide du dispositif", souligne Jean Castex.

 

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