Assises de l’apprentissage : l’impact territorial en question

L’apprentissage continue de se développer mais à l’heure de la rationalisation du financement des centres de formation d’apprentis, la définition de priorités claires s’impose de même que l’analyse des impacts locaux de cette forme d’alternance, comme l’ont montré les Assises de l’apprentissage, organisées par le réseau des chambres de métiers et de l’artisanat mardi 7 novembre.

Libéré des contingentements régionaux avec la réforme de 2018, l’apprentissage répond-il néanmoins aux bons besoins ? Le débat était au cœur des Assises de l’apprentissage organisées à Paris par le réseau des chambres de métiers et de l’artisanat, mardi 7 novembre. Et pour cause : alors que les pouvoirs publics veulent continuer de rationaliser le financement des centres de formation d’apprentis, il faudra bien hiérarchiser les priorités pour distribuer les ressources au bon endroit.

Des CFA en difficulté

Si l’apprentissage continue de progresser dans le supérieur, l’organisateur de l’événement insiste sur les difficultés financières qui se précisent dans son réseau à la suite de la deuxième baisse des coûts contrats (lire notre article du 26/09). Dans les Hauts-de-France, sans correctif rapide, trois centres de formation de la Chambre de métiers seraient directement menacés comme l’a rapporté France 3.

"Nous avons aujourd’hui un CFA en Ile-de-France mono-métier en très grande difficulté qui, pour répondre aux besoins de la profession, a cinq implantations territoriales, donc forcément des coûts induits assez importants", alerte aussi Dominique Faivre, déléguée générale de l’Anfa (association nationale pour la formation automobile), l’organisation patronale de la branche des services de l’automobile.

Une baisse des coûts contrats aux effets disparates

L’Opco EP, l’opérateur de compétences qui finance les contrats d’apprentissage de 54 branches professionnelles (cabinets médicaux, commerce de détail, poissonnerie, prothésistes dentaires…), signale des effets très disparates à la suite des diminutions de financement intervenues en septembre (lire notre article du 7/09). Derrière une baisse globale qui ne sera "que" de 7% des coûts contrats, certaines branches subissent plus les économies que d’autres, comme les entreprises du commerce du combustible ou les prothésistes dentaires. "Il n’y a pas forcément de grandes cohortes, mais pour autant il y a des apprentis et des modèles économiques derrière", souligne son directeur général, Arnaud Muret. 

Aux origines de ces difficultés : des prises en charge uniques par certification, quel que soit le statut du centre de formation (public ou privé), sa structure de coûts (investissements en plateaux techniques, en immobilier, etc.) et son implantation territoriale. Pour de nombreux acteurs, le simple pilotage par la convergence des coûts que met en œuvre France compétences n’est plus adapté. "Il faut une stratégie de pilotage (…). On a des métiers en tension, des difficultés à former dans certains secteurs", a souligné le directeur général de CMA France, Julien Gondard.

Les quartiers prioritaires à la traîne sur l’apprentissage

Le développement de l’apprentissage est-il aujourd’hui équilibré ? L’équation économique empêcherait le développement de petites filières locales. "Pour un groupe de huit, on peut y aller mais on ne gagne rien", souligne le directeur général de Talis Business School Yves Hinnekint. Par ailleurs, "pour un petit bassin d’emploi, il faut aussi des métiers en face".

L’apprentissage reste aussi à la traîne dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Une tendance que l’on retrouve dans l’artisanat, où l’apprentissage progresse aussi bien dans les territoires ruraux qu’urbains mais moins dans cette catégorie. En cause : la difficulté des jeunes à trouver une entreprise d’accueil, de moindres capacités d’orientation (faute de contacts et de connaissance des métiers) mais aussi d’une certaine sélectivité de l’apprentissage, selon Catherine Elie, directrice de l’Institut supérieur des métiers.

Une concertation sur le financement "d’ici à la fin de l’année"

Pour répondre à ces besoins spécifiques, certains acteurs s’organisent. La Banque des Territoires finance ainsi des investissements "à impact" selon trois critères : social avec la formation de publics éloignés de l’emploi, économique avec le soutien de filières en tension, et territorial en mettant l’accent sur l’employabilité dans les villes moyennes. Alterneo Ecole, qui cible les jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et sur des titres de niveau 4 et 5 (bac et bac+2), bénéficie ainsi d’un appui à hauteur de 400.000 euros. C’est aussi le cas du CFA de la Gastronomie à Lyon, compte tenu des tensions de recrutement qui touchent l’hôtellerie-restauration.

Au-delà de ce soutien ad hoc, les acteurs de l’apprentissage réclament un financement qui tienne compte des spécificités et contraintes des uns et des autres. Annoncée à la rentrée mais retardée, la concertation pour faire évoluer le système de financement devrait être lancée "d’ici la fin de l’année", a précisé en clôture des Assises la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean. L’objectif est de définir un "système de régulation lisible" et de "repenser les priorités". Les Acteurs de la compétence, qui représentent les organismes de formation, plaident par exemple en faveur d’un financement "socle" qui serait surpondéré selon des critères. Attentif à ne pas créer de nouvelles usines à gaz, le ministère indique qu’aucune proposition n’est privilégiée à ce jour.

Un manque d’avis des régions

Dans ce contexte, d’autres soulignent aussi la nécessité d’un meilleur portage politique. "L’acteur régional doit pouvoir réintervenir dans les priorités", juge Julien Gondard de CMA France. "Si on n’arrive pas à remettre les régions à la table, il nous semble qu’il manque une donnée pour pouvoir définir les bons fléchages et niveaux de prise en charge", abonde aussi Arnaud Muret, de l’Opco EP. Avant d’ajouter que sur l’apprentissage "d’une région à l’autre, certaines sont très volontaristes et d’autres beaucoup plus rétives". Nul doute que la réforme de 2018 a conduit à un désengagement des régions. Leur appui financier s’avère très hétérogène, comme l’a rappelé l’Igas et l’Inspection générale des finances dans un récent rapport (lire notre article du 5/09).