Culture : au Sénat, Rachida Dati présente une feuille de route très rurale

Pour son premier passage devant la commission de la culture du Sénat, Rachida Dati, nouvelle ministre de la Culture, a déroulé un programme qui fait largement la place aux territoires ruraux et à la sauvegarde du patrimoine. Elle a aussi insisté sur la structuration de certaines politiques, par exemple en faveur de l'enseignement et de la formation aux métiers d'art.

"Faire en sorte que l'accès à la culture et aux métiers de la culture soit une réalité pour tous et partout." C'est ainsi que la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, a résumé son ambition lors de sa première audition devant la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport du Sénat, mardi 12 mars. Nommée le 11 janvier dernier à un poste où personne ne l'attendait, l'ancienne garde des Sceaux a vite trouvé ses marques. Dès le 22 janvier, elle lançait, à l'occasion d'un déplacement en Dordogne, le Printemps de la ruralité, une concertation nationale sur l'offre culturelle dans les territoires ruraux (lire notre article du 23 janvier). Ce fil qui lie culture et territoires ruraux, la ministre l'a habilement déroulé devant les sénateurs, tout en tentant de les rassurer sur des problématiques aussi concrètes que les moyens budgétaires en baisse du ministère ou l'urgence d'aider à la préservation du patrimoine bâti.

Ingénierie culturelle plutôt que "bricolage"

Dès les premières minutes de son audition, Rachida Dati a mis en avant les plus de 30.000 contributions d'élus ou d'associations au Printemps de la ruralité, une consultation qui "a suscité un véritable engouement" et démontré qu'il y a une "réelle attente". De ces contributions ressortent déjà plusieurs axes : l'accessibilité de la culture, le patrimoine de proximité, les réseaux de médiathèques, les salles de cinéma ou encore la difficulté à faire vivre les écoles d'art. Mais le plus marquant est sans doute la demande des élus locaux pour une ingénierie culturelle. "Je vais demander aux Drac [directions régionales des affaires culturelles, ndlr] de mettre en place des ingénieries culturelles dédiées, en lien, pour ce qui en ont déjà bénéficié, avec le dispositif Villages d'avenir", a alors annoncé Rachida Dati, non sans préciser que cette ingénierie devrait faire table rase du "bricolage" actuel en matière de montage de projets culturels.

En conclusion de son propos liminaire, la ministre a glissé avec malice "un mot qui ne va pas vous déplaire" : "Je trouve que les collectivités territoriales, les élus locaux, ne sont pas assez valorisés par le ministère de la Culture. Il faut rappeler que les collectivités locales aujourd'hui investissent beaucoup plus que l'État dans la culture, plus du double, pour être précise. Il est important que le ministère de la Culture soit en soutien véritable des élus locaux, et je souhaite que les Drac soient vraiment les partenaires des élus locaux et puissent soutenir leurs projets."

Pour une véritable politique d'enseignement et de formation

En réponse aux questions des sénateurs qui se faisaient les relais des préoccupations des élus locaux, la ministre de la Culture a, par petites touches, avancé quelques pistes d'actions plus concrètes. La mobilité ? Elle peut s'articuler dans les deux sens : faire voyager les œuvres, grâce à un travail avec les grands opérateurs, mais aussi financer des navettes pour emmener les jeunes au cinéma.

Pour faire face à la crise qui touche les écoles d'art (lire notre article du 23 mars 2023), Rachida Dati demande à leurs responsables "de se poser des questions sur les débouchés" et plaide pour renforcer la professionnalisation des jeunes à travers l'alternance et l'apprentissage, deux dispositifs qui n'existent pas dans le secteur culturel. "L'alternance va être généralisée à toutes les écoles d'art et de design", a indiqué Rachida Dati. Le chantier de l'enseignement et de la formation est d'ailleurs dans le viseur de la ministre, qui souhaite créer au sein de son administration une direction dédiée à ces questions capable de créer une véritable politique en la matière. 

La ministre a ensuite esquissé l'évolution du Pass culture, "un bon outil" qui conduit encore trop à de la "reproduction sociale", selon elle. Tout d'abord, il convient de l'"éditorialiser" afin de lever les inhibitions, autrement dit, présenter l'offre en se mettant à portée des publics visés par un discours adapté. Ensuite, il s'agit d'élargir la part collective du pass aux MJC, maisons de quartier et centres sociaux, mais aussi de rendre les apprentis éligibles au Pass culture.

Face aux craintes que la mobilisation des forces de sécurité pour les Jeux olympiques fait peser sur la tenue des festivals de l'été 2024, Rachida Dati s'est montrée optimiste, assurant qu'elle maintiendrait les festivals là où ce sera possible et que tous les grands festivals seraient assurés. Toutefois, s'il y a des difficultés par endroits, la ministre n'entend pas "mettre en péril la sécurité des Français en maintenant un festival".

Une norme énergétique pour le bâti ancien

Mais la préoccupation majeure des sénateurs lors de cette audition a porté sur la sauvegarde du patrimoine. Parmi de nombreuses interventions, on retiendra celle de Pierre Ouzoulias, qui a déploré que les Drac ne soient plus capables d'accompagner les petites collectivités dans la restauration du patrimoine religieux, et celle de Sabine Drexler qui a mis en exergue la difficulté à concilier sauvegarde du patrimoine non protégé et rénovation énergétique : "Je voudrais vous alerter sur le risque très élevé de disparition progressive du petit patrimoine, des maisons en pierre, à pans de bois, qui font le charme, la diversité de nos régions, de nos petites villes, de nos villages. Une disparition déjà bien amorcée dans certains territoires en raison de la mise en œuvre de la politique de rénovation énergétique, nécessaire, mais pas adaptée aux spécificités de ce type de bâti." 60% du bâti d'avant 1948 ont ainsi été classés E, F ou G en DPE durant le premier trimestre 2023, ce qui conduit les propriétaires à mener des travaux inadaptés, comme "la pose de polystyrène sur les façades" ou à délaisser leurs biens qui seront laissés à l'abandon puis démolis.

Sur ce dossier, Rachida Dati est venue avec des propositions concrètes. Et pour cause, la ministre  estime que le patrimoine constitue "le premier accès à la culture, le plus simple". Elle a donc indiqué qu'il y aurait "dans très peu de temps, une norme énergétique applicable au bâti ancien". Toutefois, elle préconise "une politique au long cours" qui permette de "faire vivre" le patrimoine ancien autrement qu'au détour d'un drame qui l'aurait endommagé. Elle avance ici deux pistes à l'étude : une mesure fiscale en faveur du patrimoine appartenant à des personnes privées en zone rurale accueillant du public de façon à faciliter sa transmission, et la demande qui pourrait être faite aux propriétaires de placer leur bâti patrimonial sous protection de l'État pour pouvoir bénéficier d'un soutien. Enfin, la ministre a indiqué qu'une nouvelle stratégie architecturale sera annoncée d'ici l'été.

Quel financement pour le Printemps de la ruralité ?

Voilà pour les annonces et pistes de travail. Reste à savoir de quels moyens le ministère de la Culture disposera pour les mettre en œuvre. Dès l'ouverture des débats, Laurent Lafon, président de la commission, avait pointé l'annulation de 207 millions d'euros de crédits du ministère, dont 96 millions sur le programme Création et 99 millions sur le programme Patrimoines, dans le cadre du plan d'économies récemment annoncé par l'État.

Comme elle l'avait déjà dit, Rachida Dati a martelé que "pas un euro ne manquera pour le spectacle vivant ni sur les territoires" et qu'en matière de patrimoine, "les investissements et les grands projets seront préservés". Comment ? En utilisant la réserve de précaution qui permettra de "couvrir les deux tiers des réductions de budget". 

Sur le financement du Printemps de la ruralité, Karine Daniel a mis les pieds dans le plat : "Dégagerez-vous des moyens ou allez-vous compter sur les collectivités locales ?" La réponse de la ministre a été tranchante : "Je ne vais pas lancer une consultation, rencontrer des élus locaux et leur dire, finalement 'Excusez-moi, c'est impossible à faire.' Je n'ai pas de difficulté là-dessus pour vous répondre." La réponse sur le dispositif d'aide et son montant n'est toutefois pas venue alors que les assises nationales de la culture en milieu rural ont été annoncées pour la fin du mois de mars.