Autonomie de la Corse : le gouvernement passe la main au Parlement
Le projet de loi de révision constitutionnelle sur l'autonomie de la Corse est un "texte de compromis" et "peut aboutir", a assuré ce mercredi 30 juillet le ministre de l'Aménagement du territoire, François Rebsamen, renvoyant au Parlement la possibilité d'y intégrer l'avis critique du Conseil d'État. "Au nom de quoi la République refuserait-elle à d'autres ce qu'elle aurait accordé à la Corse ?", s'est pour sa part interrogé Bruno Retailleau.

© Capture vidéo @Elysee/ François Rebsamen
À l'issue du conseil des ministres où ce projet de loi constitutionnelle intitulé "pour une Corse autonome au sein de la République" a été présenté, François Rebsamen a assuré que le gouvernement allait "défendre dans son intégralité" ce texte qui n'intègre pas les modifications préconisées par la plus haute juridiction administrative, alors que la droite sénatoriale avait demandé à ce qu'elles le soient. L'avis de 12 pages du Conseil d'État, mis en ligne ce mercredi en fin de journée, propose notamment d'enlever la notion de "communauté" corse, "de lien singulier (de cette communauté) à sa terre" et refuse un pouvoir législatif autonome à la collectivité de Corse.
"Le Conseil d'État observe que la rédaction retenue par le projet" de loi permet "une intervention de l'organe délibérant de la collectivité" de Corse, donc de l'Assemblée de Corse, "tant dans les domaines où la collectivité exerce une compétence décentralisée que dans tout autre domaine", souligne l'un des 33 points de l'avis. Ce faisant, le projet de loi rendrait possible "potentiellement, un transfert complet de compétences dans n'importe quel domaine", pointe le Conseil, en suggérant de modifier cette portée "radicale" du texte qui, en l'état, reviendrait à "un transfert de compétences sans limites qui n'existe pour aucune autre collectivité quel que soit son régime". Sans modification, le projet de loi risque de créer "la concurrence permanente entre pouvoirs" et "pourrait aboutir à des désordres considérables dans l'état du droit", met en garde l'institution.
Dans une déclaration au conseil des ministres consultée par l'AFP, Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur et patron des Républicains (LR), a exprimé son "désaccord" avec ce projet de loi, jugeant que les "suggestions" du Conseil d'État n'étaient "pas seulement nécessaires mais salutaires" compte tenu "du risque de fuite en avant que ce texte comporte et qui, du point de vue de nos principes républicains, marquerait un recul". Rappelant "qu'il n'existe pas, au Parlement, de majorité qualifiée pour adopter cette révision constitutionnelle", il a "craint que ce projet de loi ne suscite, en définitive, que des frustrations" en s'interrogeant : "Au nom de quoi la République refuserait-elle à d'autres ce qu'elle aurait accordé à la Corse ?"
François Rebsamen, qui a soutenu le terme de "communauté" et a fait un lapsus mercredi en qualifiant la Corse de "pays", a assuré ne pas avoir "fait fi des recommandations" du Conseil d'État en citant le point 8 de son avis dans lequel il "estime que la consécration de cette autonomie ne heurte aucun des grands principes qui fondent la République". Il a assuré "être fier de tenir la parole donnée par l'État", estimant que "le chemin politique proposé est celui de la rupture avec la violence".
Sur cette demande de transfert du pouvoir législatif, le président Emmanuel Macron s'était déclaré "favorable", en septembre 2023, à ce que l'île puisse "définir des normes sur des matières transférées", mais "sous l'autorité du Conseil d'État" et du "Conseil constitutionnel". Le chef de l'État s'était engagé à soumettre un projet de loi au Parlement si l'accord politique conclu en mars 2024 était largement validé par l'Assemblée de Corse, ce qu'elle a fait à l'unanimité moins une voix.
Ce projet de révision constitutionnelle visant à octroyer à l'île "une autonomie dans la République" avait été lancé en 2022 par Gérald Darmanin, alors ministre de l'Intérieur, et ce à la demande d'Emmanuel Macron, pour mettre un terme aux violences sur l'île provoquées par la mort en prison du militant indépendantiste Yvan Colonna.
Au niveau du calendrier, François Rebsamen a avancé la possibilité d'un examen du texte au Sénat du "17 au 21 octobre" puis à l'Assemblée nationale "fin novembre". Pour être adoptée, cette réforme constitutionnelle devra être votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, puis, lors de leur réunion en Congrès, à la majorité des trois cinquièmes.