Bassin Rhône-Méditerranée : un nouveau plan d’adaptation au changement climatique pour "agir plus vite et plus fort"

Le Comité de bassin Rhône-Méditerranée a adopté ce 8 décembre son nouveau plan d’adaptation au changement climatique, qui comporte deux innovations principales : une carte de vulnérabilité pour chacun des 192 sous-bassins versants et l’institution de 30 défis chiffrés pour 2030, dont 17 incombent en tout ou partie aux collectivités territoriales. Parmi eux, la réduction de 16% de leurs prélèvements en eau.

Réuni à Avignon le 8 décembre sous la présidence de Martial Saddier (voir notre entretien du 24 octobre), le comité de bassin Rhône-Méditerranée a adopté son nouveau plan d’adaptation au changement climatique, qui fixe la marche à suivre pour les sept prochaines années. Ce comité est le cinquième à mettre ainsi à jour son plan d'adaptation cette année, après les actualisations conduites par le comité de bassin Artois-Picardie le 30 juin, le comité de bassin Seine-Normandie le 5 octobre, le comité de bassin Adour-Garonne le 11 octobre et le comité de bassin Rhin-Meuse le 24 novembre. Ceux du bassin Loire-Bretagne (plan initial adopté le 26 avril 2018) et de Corse (plan adopté le 24 septembre 2018) ne l’ont pas encore été. Le comité de bassin Loire-Bretagne doit toutefois "se positionner sur les principes directeurs de son plan" au regard du plan Eau le 13 décembre prochain. Contactée par Localtis, l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée Corse nous a indiqué en revanche qu’une révision du plan corse n’était "pas prévue pour le moment".

Décliner le plan Eau, mais pas seulement

Les motivations de cette révision étaient nombreuses. Matthieu Papouin, directeur adjoint de la Dréal Auvergne-Rhône-Alpes, les passe en revue : renforcer les mesures d’adaptation aux effets du changement climatique, plus aigus que lors de l’adoption du plan initial en 2014 ; décliner le plan Eau du gouvernement (notamment la réduction de 10% des prélèvements – voir notre article du 30 mars) ; y inclure un nouvel enjeu, celui des risques naturels – singulièrement, les inondations ; mais aussi la volonté de "porter à connaissance de tous les acteurs les difficultés auxquelles ils vont être confrontés" ces prochaines années. "Mobiliser plus vite et plus fort", résume Hélène Michaux, directrice du département du programme et des interventions de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, qui souligne que le plan sera également "le document de référence pour les documents de planification non seulement de l’eau, mais aussi d’urbanisme".

5 enjeux, 6 "incontournables", 192 sous-bassins

Pour faire face aux cinq enjeux identifiés – baisse de la quantité et de la qualité de la ressource, perte de biodiversité aquatique et humide, assèchement des sols et, donc, développement des risques naturels liés à l’eau –, le plan fixe "6 incontournables" : consommer moins ; préserver et restaurer les écosystèmes ; s’appuyer sur les services rendus par les sols ; établir des "stratégies locales concertées" ; "planifier les solutions de demain" et faire du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et du plan de gestion des risques d’inondation (PGRI) "les premiers pas pour faire face au changement climatique". "L’une des principales innovations est la réalisation de diagnostics et de cartes de vulnérabilité territoriale, avec une synthèse pour chacun des 192 sous-bassins versants", met en relief Hélène Michaux. Chacune permet d’identifier le degré de vulnérabilité du territoire au regard des cinq enjeux évoqués. Si aucun territoire n’est épargné, les enjeux dominants varient en effet plus ou moins fortement d’un territoire à l’autre. Ainsi, à l’échelle régionale, la perte de biodiversité aquatique, l’assèchement des sols et la détérioration de la qualité de l’eau sont les principaux défis que doit relever la Bourgogne-Franche-Comté alors que la baisse de la disponibilité de la ressource et les pertes de biodiversité aquatique et humide constituent les enjeux dominants dans les Alpes (avec une vulnérabilité forte de la haute montagne aux risques naturels ou à l’assèchement des sols). Pour répondre à ces enjeux, il dresse "un panier de solutions" dans lequel les acteurs sont invités à puiser en fonction de leur situation : infiltrer les eaux, interconnecter les réseaux, restaurer les habitats naturels, renforcer la maîtrise des pollutions, etc. 

30 défis à relever, dont 17 incombent aux collectivités

Autre nouveauté, le plan fixe "30 défis à relever collectivement d’ici 2030, chiffrés et mesurables", dont 17 incombent en tout ou partie aux collectivités locales (voir encadré). Parmi eux, figure la répartition de l’effort de sobriété : les collectivités devront réduire leurs prélèvements de 16% et l’industrie les siens de 15%, l’agriculture pouvant continuer de prélever les mêmes quantités que précédemment. "L’agriculture a déjà fait beaucoup d’efforts en la matière – plus des 60% des économies d’eau réalisées ces dernières années ont été conduits par les agriculteurs [28 millions de m3 économisés par an à l’échelle du bassin, essentiellement dans le sud de ce dernier, depuis 2019, précise l’agence", explique Nicolas Chantepy, directeur général par interim de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. Il précise en outre que la situation variera d’un territoire à l’autre : "Des économies devront être faites à certains endroits pour pouvoir développer l’irrigation dans d’autres". Il souligne encore que "du fait de l’augmentation de plus de 20% de l’évapo-transpiration, conserver les mêmes prélèvements revient de fait à conduire un effort de réduction de 20%". Pour autant, il insiste sur la nécessaire transformation des pratiques agricoles : "Cette transformation peut-être très variée : couverture des sols, changement de culture… Le développement de l’irrigation en est une des modalités, mais ne peut pas être l’alpha et l’omega de cette politique. L’irrigation, ce n’est pas réellement une adaptation, même si c’est humain d’essayer de continuer comme avant".

65 millions d’euros supplémentaires en 2024

Nicolas Chantepy souligne par ailleurs que l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse va accorder 65 millions d’aides supplémentaires l’an prochain, dernière année du 11e programme d’intervention : "35 millions seront consacrés à la réduction des fuites conduite par les collectivités, 25 millions à des démarches de sobriété sur l’ensemble des secteurs économiques et 5 millions à la préservation des zones humides, via les mesures agro-environnementales et climatiques (Maec – des mesures de soutien au changement de pratiques des agriculteurs)". Une enveloppe qui ne sera pas remise en cause par la récente volte-face gouvernementale dans le PLF 2024, avec l’abandon, ou le report, de l’augmentation prévue de la redevance pour pollution diffuse d’une part et de l’instauration de taux planchers sur les prélèvements d’autre part (voir notre article du 8 décembre). "Ces deux mesures, dont on attendait environ 50 millions d’euros au total au niveau national, n’auront un impact que sur le 12e programme actuellement en discussions. Mais il est certain que si nous ne levons pas suffisamment de recettes à l’avenir, il faudra revoir à la baisse les actions de ce 12eprogramme", indique Nicolas Chantepy. Il souligne toutefois que la suppression des taux planchers prévus "ne veut pas dire que l’on n’aura pas d’augmentation de la redevance. Cela signifie simplement que cette augmentation ne sera pas automatique". "Certains comités de bassin ont des taux extrêmement bas. Ils sont prêts à assumer le rééquilibrage de l’effort d’un certain nombre d’acteurs, mais la fixation de ces taux les aiderait grandement", rappelait à Localtis Martial Saddier (voir notre entretien précité), en précisant : "Nous voulons bien prendre notre part, mais il faut que le Parlement nous aide aussi !" Il faudra donc faire sans.

 

Les 17 travaux des collectivités locales 

Parmi les "30 défis" à relever d’ici 2030 fixés par le plan, 17 concernent plus particulièrement les collectivités locales :

-  réduire les prélèvements de 10% (donc 16% pour les collectivités) d’ici 2030, soit 360 Mm3 d’eau à l’échelle du bassin Rhône-Méditerranée (hors centrales nucléaires), dont 150 Mm3 grâce aux Projets de territoires pour la gestion de l’eau (PTGE) déjà adoptés ;

-  engager d’ici 2027 une démarche prospective dans tous les PTGE adoptés (65 à ce jour, couvrant 40% du bassin, précise Matthieu Papouin) ;

-  mettre en œuvre, ou engager là où ce n’est pas déjà fait, une démarche PTGE ;

-  engager un plan de réduction des fuites sur les réseaux d’eau potable points noirs (là où le taux de fuite est supérieur à 50%) ;

-  engager la moitié des EPCI du bassin, soit 150 collectivités, dans des démarches ambitieuses accompagnant des installations économes en eau auprès des ménages ;

-  passer à l’action dans la valorisation des eaux non conventionnelles en visant 250 projets de réutilisation des eaux (eaux usées traitées, eau de pluie, eaux grises...) ;

-  restaurer 500 km de cours d’eau, soit une augmentation de 30% de la dynamique d’action à l’échelle du bassin ;

-  restaurer ou préserver 20.000 ha de zones humides et ainsi doubler la mobilisation sur le bassin ;

- élaborer un plan de gestion stratégique des zones humides sur tous les territoires les plus vulnérables au changement climatique ;

- mettre en place 3.000 km de haies dans le cadre de démarches territoriales ;

- restaurer 100 ha d’herbiers de posidonie et 13 km de nurserie côtière ; 

- inventorier et délimiter les zones marines de peuplements reliques de gorgones à protéger ; 

-  multiplier par deux les surfaces désimperméabilisées, soit un objectif de 1.000 ha, pour infiltrer les eaux pluviales à la source ; 

-  restaurer 17.000 km de berges de ripisylve dégradée, équivalant à dix fois les berges du fleuve Rhône ; 

-  déconnecter les eaux pluviales des réseaux unitaires sur trois fois plus de surface soit 1.000 ha pour le bassin ; 

- mettre en œuvre des démarches de flux de pollution admissibles intégrant le changement climatique ; 

-  mettre en œuvre une démarche de programme d’études préalables/programme d'actions de prévention des inondations sur chacun des territoires cibles identifiés.