"Caméras des champs", un festival international du film documentaire

Le festival du film documentaire de Ville-sur-Yron (Meurthe-et-Moselle), petite commune de trois cents habitants du parc naturel régional de Lorraine, vient de fêter sa huitième édition. Soutenue par un grand nombre d'acteurs, cette rencontre annuelle entre le public local et des réalisateurs qui interrogent les mondes ruraux d'aujourd'hui se veut à la fois renouveau de la vie au village et action d'éducation populaire à l'image. Avec une ambition : soutenir le film documentaire produit en dehors des contraintes du marché télévisuel.

"La tempête que nous avons subie cette année n'a pas découragé le public, raconte Luc Delmas, adjoint au maire de Ville-sur-Yron, signe que notre festival est désormais bien rodé." Consacré en 2006 à la jeunesse et à la mobilité à la campagne, comme chaque année "Caméras des champs" a réuni public local et "gens de ciné" pour cinq jours de fête. "Le festival n'est pas né de rien", précise le maire-adjoint, qui en est aussi l'un des initiateurs. Depuis une vingtaine d'années, la commune réfléchit sur son espace de vie. Située à 25 km de Metz, elle accueille aujourd'hui un quart de néo-ruraux attirés par le faible coût de l'immobilier et le calme de la campagne. Tout un travail est réalisé avec le parc naturel régional de Lorraine et le CAUE pour préserver le bâti ancien tout en en améliorant le confort. Ville-sur-Yron cherche aussi à redonner une vitalité à la vie de village. Dans les années 1980, elle relance la fête traditionnelle de mai puis organise en parallèle des projections de documentaires sur le monde rural. Mais dès la décennie suivante, concurrencée par la multiplication des festivités locales, la fête elle-même s'essouffle. Que faire ?

Une journée d'étude entre élus et universitaires

En 1998, le conseil municipal décide d'organiser une journée d'étude à laquelle il invite un architecte du CAUE ainsi que des universitaires : un spécialiste du paysage, un géographe ruraliste et un ethnologue et ses étudiants. Une étudiante en DESS est recrutée pour prendre en charge la logistique (1). Le thème de la journée, "Ruralité d'hier, ruralité de demain", s'inscrit dans le droit fil de la politique architecturale du village : conserver certains traits originaux sans se figer dans le passé. Et puisqu'une partie des habitants est manifestement intéressée par les films proposés depuis quelques années, pourquoi ne pas "offrir une scène aux documentaristes du monde rural" en créant un festival qui sanctionnera les meilleurs films par un prix du jury ?
Né en 1999, "Caméras des champs" cohabite pendant deux ans avec la fête du village avant d'en prendre définitivement le relais. Le jury est composé de journalistes, de professionnels de la télévision et du cinéma, d'étudiants et d'agriculteurs. Un comité de pilotage se réunit dès septembre pour tout mettre en place puis sélectionner les films reçus. Avant d'en confier l'organisation à un professionnel qui travaille déjà pour le festival du film fantastique de Gérardmer (Vosges), les élus de la commune ont utilisé leurs réseaux personnels pour lancer l'appel à documentaires (ils en ont reçu ainsi trente la première année). Mais il ne s'agit pas de se tromper d'ambition : "Nous ne voulons pas faire une indigestion de films, ni entretenir un débat savant sur le cinéma entre spécialistes, explique Luc Delmas. Avant tout, nous demandons aux réalisateurs d'être présents. Ils apprécient d'ailleurs énormément les réactions immédiates du public sur leur vision du monde rural."

Le public local touché en priorité

Le public des films évolue rapidement. Suspecté au départ d'être une manifestation d'"intellectuels" véhiculant une image idyllique et stéréotypée du monde rural, le festival attire progressivement les agriculteur et les autres habitants : ils trouvent là l'occasion de débattre de sujets qui leur tiennent à cœur (l'animal, la solitude, la nouvelle économie de marché, la lenteur...) mais aussi de renouveler leur regard sur l'image. "Il s'agit de rompre avec le discours élitiste et pleureur sur l'image abrutissante. On essaie au contraire de rééditer ce qui se passait autrefois sur les plateaux de la télévision, avec un débat sur les thèmes traités mais aussi sur l'écriture des films." Au côté de l'atelier d'anthropologie visuelle, animé par un chercheur, trois ou quatre soirées sont organisées pour le grand public avec des spécialistes (cinéastes, artistes, sociologues, représentants du foyer rural...). En 2006, un réalisateur russe est venu donner une leçon sur le documentaire noir et blanc. Progressivement, cette "pédagogie de l'image" vise aussi les publics des écoles primaires, des collèges et des lycées généraux (qui ont une option cinéma) et agricoles, ces derniers ayant leur propre jury. Les enseignants sont invités avec leurs élèves à des ateliers de cinéma où l'on apprend comment se fabrique un film. Cette année, des adolescents ont réalisé un clip vidéo sur leur propre vision de la campagne.

Un investissement important en fonds publics

Le festival relève d'une maîtrise d'ouvrage du foyer rural et chaque année les partenariats sont plus nombreux (parc, commune, université, Inra...) et, après avoir bénéficié entre 2000 et 2003 de fonds Feder, un dossier difficile à monter mais qui a donné le coup de pouce indispensable au projet, il s'appuie sur un budget de 30.000 euros constitué aux deux-tiers de fonds publics : 5.000 euros de la région, qui accompagne la commune dans sa démarche auprès des jeunes publics, et 5.700 euros de la direction régionale des affaires culturelles (Drac), 4.500 euros du conseil général (6.000 euros au départ), 3.000 euros de la communauté de communes du Jarnisy et 1.500 euros de la commune elle-même (soit un vingtième de ses rentrées fiscales). Les bailleurs sont invités à participer à la réflexion, et c'est comme cela que la région a suggéré à la commune de s'adresser aussi aux lycées importants.
Le tiers restant du budget est supporté par les recettes annexes à la fête (le festival reste gratuit), notamment la centaine de repas consommée entre le jeudi et le dimanche soir, et un mécénat privé de commerçants locaux : achats d'espaces dans le catalogue du festival, mais aussi dons des entreprises, des artisans, des centres commerciaux, des banques... Cette partie du budget est invariablement la plus difficile à construire.

Lien social et éducation populaire

Chaque année, trente-cinq documentaristes et techniciens du cinéma, membres des jurys, sont hébergés chez l'habitant. Au fil des ans, dans ce "temps long" que Luc Delmas pose comme inhérent au développement culturel, des liens se tissent entre ces professionnels du cinéma et la population locale. Tous les habitants ne viennent pas voir les films, mais souvent ils donnent "un coup de main" pour le covoiturage des réalisateurs depuis Metz ou la garde de leurs enfants, la tenue de la buvette ou encore la fabrication des repas collectifs. Une bonne partie de l'organisation est aussi déléguée aux membres du comité de pilotage pour des tâches un peu plus lourdes, tel l'accueil des écoliers, organisé par une habitante non-élue. Restent un certain nombre de détails techniques à perfectionner, notamment pour offrir à l'opérateur un meilleur matériel de projection (qui est loué par la commune).
Les élus ont également le souci d'aider les documentaristes à réaliser des films qui sortent des critères imposés par le marché de la télévision (format de 52 minutes, sujets "extraordinaires" ou "personnages" hors pair...). Pour leur ouvrir d'autres circuits de diffusion, la commune a passé une convention avec FR3, des radios et même l'Inra. Mais pour réussir, elle devra favoriser l'insertion de "Caméras des champs" dans le réseau des autres festivals du documentaire et amener plus de cinéastes étrangers à répondre aux appels à participation. Ceci non pour jouer à tout prix dans la cour des grands, mais "pour ne pas rester recroquevillé sur soi-même". Ville-sur-Yron se donne ainsi pour perspective de créer une Maison de l'image du monde rural qui deviendrait un centre de ressources sur les documentaires des mondes ruraux, ici et ailleurs.
En somme, "Caméras des champs" ne cesse d'évoluer. Mais il est un aspect auquel les élus restent attachés, c'est celui d'un festival qui se déroule au mois de mai, dans la continuité de l'ancienne fête et pour un public qui reste local. Luc Delmas, qui aime se rappeler le jour où des agricultrices ont revendiqué comme le leur un film de Raymond Depardon, déclare souvent : "Nous n'aurions jamais imaginé que cela marcherait aussi bien. Nous ne savons pas très bien ce que nous faisons, nous faisons de l'éducation populaire."

 

Sylvie Malsan

 

(1) Emploi-jeune plus tard consolidé par le parc au bénéfice, notamment, du festival.

Le conseil des élus

"L'idée de ce festival, c'est aussi l'idée de ne pas se réfugier dans le monde du passé pour échapper à un monde moderne qui nous échappe."
"L'impatience des élus va trop souvent contre le développement culturel. Nous, nous sommes dans le temps long : cela fait longtemps que nous amenons l'association des habitants à rencontrer des artistes et des intellectuels qu'elle n'a pas l'habitude d'entendre."

Parc naturel régional de Lorraine

Nombre d'habitants :

72090
Logis abbatial - rue du Quai - BP 35
54702 Pont-à-Mousson Cedex

Sandrine Close

Chargée de mission culture

Mairie de Ville-sur-Yron

Nombre d'habitants :

300
Rue de Metz
54800 Ville-sur-Yron
mairie.villesuryron@wanadoo.fr

Luc Delmas

Adjoint-au-maire

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