Mobilité - Captation de la rente foncière pour financer des infrastructures de transport : un dispositif à peaufiner
Pour la première fois en France, l'article 22 ter du projet de loi Grenelle 2 adopté par le Sénat le 28 septembre dernier donne la possibilité aux autorités organisatrices de transports urbains, aux régions et à l'Etat d'instituer une taxe forfaitaire sur le produit de la valorisation des terrains nus et des immeubles bâtis résultant de la réalisation d'infrastructures de transports collectifs. Quelles sont ses modalités ? Quel rendement peut-on en attendre? Quelles sont les limites du dispositif ? Toutes ces questions ont été posées lors d'un débat organisé ce 7 octobre lors d'un débat organisé par l'association TDIE qui fédère élus, professionnels et experts des transports. Louis Nègre, co-président de TDIE et rapporteur du volet transports de Grenelle 2 au Sénat a rappelé la philosophie du dispositif qu'il a introduit dans le texte. "Les projets de transport du Grenelle sont estimés à 97 milliards d'euros. Les dépenses de l'Etat étant de plus en plus contraintes, nous devons réfléchir à d'autres financements. Notre proposition de taxation des plus values immobilières liées à la réalisation d'une infrastructure de transport s'inspire notamment de la ligne de métro Jubilee à Londres qui a généré 13 milliards de livres de plus values immobilières, a-t-il illustré. Dans notre texte, nous avons souhaité être modestes pour permettre l'acceptabilité du principe. Du fait de la loi sur le Grand Paris, nous avons exclu l'Ile-de-France du dispositif. Nous avons aussi prévu une taxation minime, avec des exonérations pour les logements sociaux et pour les biens expropriés du fait de la réalisation des projets."
Concrètement, dans le projet adopté par les sénateurs, le fait générateur de la taxe est la réalisation d'un transport en commun en site propre (métro, tramway, bus à haute qualité de service, funiculaire) ou d'une gare ferroviaire. Dans le premier cas, la taxe peut être levée par les autorités organisatrices de transports urbains et dans le second cas par l'Etat ou les régions, en qualité d'autorités organisatrices des services de transports ferroviaires de voyageurs.
Elle s'applique à la fois "aux cessions à titre onéreux de terrains nus et d'immeubles bâtis" ainsi qu'"aux cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière".
La taxe est exigible dans un périmètre arrêté par l'Etat ou l'autorité organisatrice de transport. Ce périmètre ne peut s'éloigner de plus de 800 mètres d'une station de transports collectifs urbains ou de 1500 mètres d'une entrée de gare ferroviaire. Quant à l'assiette de la taxe, elle repose "sur un montant égal à 80% de la différence entre, d'une part, le prix de vente stipulé dans l'acte de cession et, d'autre part, le prix d'achat stipulé dans l'acte d'acquisition augmenté des coûts, supportés par le vendeur, des travaux de construction autorisés, ainsi que des travaux ayant pour objet l'amélioration de la performance thermique de l'immeuble". Enfin, le taux de la taxe ne peut excéder 15% pour les autorités organisatrices de transports urbains 5% pour la région et 5% pour l'Etat, le total de ces montants ne pouvant être supérieur à 5% du prix de cession. De surcroît, elle n'est exigible que lors de la première cession du bien.
Une taxe à asseoir dans le temps
Dans ces conditions, la taxe peut-elle générer des recettes significatives ? "Si elle s'appliquait à l'Ile-de-France, nous l'avons chiffrée à quelques dizaines de millions d'euros par an, ce qui n'est pas à la hauteur des 35 milliards d'euros que coûtent les projets de transports du Grand Paris", a expliqué Gérard Lacoste, directeur général adjoint de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de l'Ile-de-France (Iaurif). Par contre, si la taxe ne se cantonnait pas au périmètre autour du nouveau tronçon mais s'appliquait à l'échelle du réseau de transport et donc de toute l'agglomération desservie, les retombées financières seraient significatives, a-t-il souligné. Selon lui, "cela soulève aussi une question éthique : pourquoi taxerait-on uniquement des territoires nouvellement desservis et ne pas taxer aussi ceux qui vont bénéficier d'un service de transport supplémentaire?".
Dominique Auverlot, chef du département de la recherche, des technologies et du développement durable au Centre d'analyse stratégique estime, lui, que cette taxe ne peut rapporter que s'il y a une volonté politique forte au niveau local ou national pour accompagner la réalisation de l'infrastructure qui aide à générer des plus values. Elle doit donc se concevoir dans la perspective d'opérations d'aménagement autour des axes de transport. Dans le passé, les exemples de Lyon Part Dieu ou d'Euralille l'ont montré. Il juge aussi que c'est l'agglomération nouvellement raccordée au réseau de transport qui doit payer le plus pour la plus-value réalisée. Le mécanisme prévu par le Grenelle 2 devrait aussi être pérennisé dans le temps. Selon lui, la limite des 15 ans pour l'application de la taxe doit être supprimée. Il faudrait aussi ne pas la limiter à la première cession du bien mais à toutes les cessions suivantes.
La longueur de la durée de perception est d'autant plus importante que les cycles immobiliers sont par nature très marqués. "Il y a des périodes où vous pouvez percevoir d'importantes plus-values et d'autres où vous avez des moins-values, a souligné Gérard Lacoste. Il faut donc pouvoir gérer dans la durée cette discontinuité de la ressource."
Anne Lenormand