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Chômage : Muriel Pénicaud se dit "très frappée" par les disparités territoriales

Si l'économie française a enregistré en 2017 une forte hausse des créations d'emplois (avec 265.000 postes en plus, du jamais vu depuis dix ans), la ministre du Travail se garde de tout triomphalisme et se dit inquiète des fortes disparités territoriales. "Il va falloir d’urgence développer des politiques de mobilité", déclare-t-elle.

Entourée d’économistes, Muriel Pénicaud s’est réjouie, mardi 13 mars 2018, des chiffres de l'emploi communiqués par l'Insee le matin même : 265.000 créations d’emplois dans l’année, "la plus forte hausse depuis dix ans".  "Un signe très encourageant”, a relevé la ministre du Travail ajoutant que cette embellie a eu un impact sur la qualité de l’emploi avec une augmentation des CDI (+14%) et un retour sur le marché pour les jeunes avec une baisse de 2,6% du taux de chômage pour cette tranche de la population. Même si, avec 743.400 postes fin 2017, l'intérim atteint lui aussi des records.

"La France a amorcé la décrue du chômage de masse", a affirmé Muriel Pénicaud, lors de son troisième "Rendez-vous de Grenelle". A son arrivée au ministère, elle avait annoncé qu'elle ne commenterait plus les chiffres du chômage chaque mois comme ses prédécesseurs, mais tous les trois mois, en présence d'économistes.
Dans le détail, 277.700 créations d'emplois ont été enregistrés dans le privé (+1,5%) et 8.900 destructions dans la fonction publique (-0,2%), en raison de la baisse des contrats aidés entamée l’été dernier. La baisse de l'emploi dans la fonction publique s'est accélérée au quatrième trimestre (- 9.600 après - 7.900).
La dynamisme du privé tient au secteur des services marchands, avec 225.700 postes en plus sur un an, mais aussi à la construction avec une véritable reprise de 2,3% sur un an, et aussi à l’industrie, jusque-là malmenée, qui gagne 6.400 postes au quatrième trimestre 2017, ce qui n’était pas arrivé depuis 2001. Sur l'année, l'emploi industriel est quasi stable (+ 1.100 emplois).

Un problème de compétences

Ces annonces ont été saluées par les économistes invités, à commencer par Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, d'un naturel assez pessimiste, qui a applaudi l’augmentation du nombre de CDI proposés par les employeurs. "Aujourd’hui les entreprises ont bien compris que les salariés recherchaient plus la qualité de l’emploi, la qualité des formations proposées au sein de l’entreprise, etc. qu’une hausse de salaire qui ne sert à rien. Car, on l’a vu, plus d’argent n’aboutit qu’à une bataille entre entreprises qui se volent leurs salariés entre elles, sans créer d’emplois."

Malgré ces résultats, Muriel Pénicaud reste extrêmement prudente. "Après des années et des années d’augmentation du chômage, on amorce à peine la décrue avec 8,9% de taux de chômage au niveau national. Il faut donc rester très mobilisés sur toutes les réformes structurelles." La ministre dit avoir entendu les entreprises dont bon nombre se plaignent de ne pas croître malgré la reprise parce qu’elles n’arrivent pas à recruter en raison du manque de compétences sur le marché du travail. "Ce problème de compétences et de qualifications pourrait fortement freiner la baisse du chômage", a expliqué Selma Mahfouz, directrice de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), "d’où l’importance du plan d’investissement compétences, d’où les garanties jeunes, d’où les reformes sur la formation et l’apprentissage proposés par le gouvernement".

Disparités territoriales

Ce manque de compétences se retrouve dans certains territoires où justement le chômage est élevé. "J’ai été très frappée par les résultats territoriaux", a commenté Muriel Pénicaud. "Les disparités sont énormes et surtout elles sont sur la durée, parfois dix ou vingt ans. Il va donc falloir d’urgence développer des politiques de mobilité." Ainsi pendant que la Mayenne connaît le plein emploi au troisième trimestre 2017, les Pyrénées-Orientales ont trois fois plus de chômage et cela depuis les années 1970. Les taux de chômage les plus élevés concernent les départements du nord de la France et de la Seine-Saint-Denis. A l’opposé, le Grand Ouest et certaines zones frontalières de l’Est ont bénéficié de la reprise de l’emploi et ont des taux de chômage faibles. "Il y a une forme de persistance des inégalités en termes de taux de chômage entre les territoires, explique Selma Mahfouz. Mais ce qu’on voit derrière cette apparente stagnation, c’est qu’on a des dynamiques assez différentes." Ainsi certains bassins d’emploi connaissent à la fois une forte hausse de créations d’emploi, comme le pourtour méditerranéen, mais avec un taux de chômage qui reste élevé, car il y a trop d’actifs. A l’inverse certains territoires ne voient pas l’emploi reprendre et pourtant le chômage est bas comme dans les départements de l’Isère ou du Bas-Rhin. Et puis le problème de la désertification reste important : en Eure-et-Loir par exemple il n’y a pas de chômage mais il n’y a pas non plus d’emplois car les entreprises et les employés s’en vont vers des départements plus dynamiques.
Pour Patrick Artus, "il faut clairement mieux former les gens dans les régions où le chômage est fort et où il y a peu de créations d’emploi". "C’est ce qui va être fait avec les réformes du gouvernement. Mais j’ai peur que ce ne soit pas suffisant car si les entreprises n’ont pas envie de s’installer dans ces régions on ne peut pas les forcer, même si l’élévation des compétences est en route. Pourtant il est clair que les entreprises doivent plus s’impliquer ; regardez en Vendée les entreprises payent tout, déménagement, et ça marche", a-t-il expliqué. Pour l’économiste, "il faut aussi traiter du problème de la mobilité géographique". Ainsi, selon lui, le logement est pour beaucoup dans cette situation. "On a poussé les gens à s’endetter pour être propriétaires. Mais avoir une maison dans des endroits où c’est difficile de revendre parce que tout le monde est parti, n’est pas pour aider. On aurait une économie beaucoup plus simple si les Français étaient plus locataires."