CNR Logement : pour l’ensemble des acteurs, le sentiment d’un rendez-vous manqué

Au lendemain de la restitution des travaux du CNR Logement et des mesures présentées par la Première ministre, c’est un sentiment de gâchis et une immense déception qui prédominent chez l’ensemble des acteurs. Si certains saluent des avancées dans les annonces du gouvernement, tous s’accordent à dire qu’elles ne sont pas à la hauteur des enjeux pour répondre à la crise que traverse le secteur, en particulier celle du logement social, grand oublié de ce CNR pour beaucoup.

Concomitance du calendrier, les Assises nationales du logement et de la mixité urbaine étaient organisées mardi 6 juin, au lendemain de la restitution des travaux du Conseil national de la refondation sur le logement (voir notre article du 5 juin 2023). La table ronde d’ouverture de cette cinquième édition y était d’ailleurs entièrement consacrée, sous l’intitulé "Agir ensemble pour le logement et la mixité urbaine : CNR Logement, où en est-on, quelles suites ? Contexte et perspectives avec les acteurs-clés".

Premier à s’exprimer après la prise de parole inaugurale du ministre du Logement, Olivier Klein, Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre et copilote de ce CNR aux côtés de Véronique Bédague, directrice générale de Nexity, a résumé le sentiment qui prédomine chez la plupart des quelque 200 participants à cette consultation inédite : "Ce matin j’ai l’impression d’être partagé entre gueule de bois et un peu d’espoir", a-t-il déclaré. "Non pas que rien n’ait été annoncé et que rien ne se fasse", a-t-il poursuivi, saluant notamment l’extension de la garantie Visale annoncée la veille par Élisabeth Borne ou encore le prolongement du plan Logement d’abord avec des moyens accrus de 160 millions d’euros, "même s’il aurait fallu trois fois plus pour changer d’échelle".

Fortes inquiétudes sur le logement social

De manière générale, les mesures présentées par la Première ministre ne sont pas, selon Christophe Robert, "à la hauteur des enjeux" et en capacité de susciter la mobilisation générale dont le secteur a besoin. En particulier pour relancer la production de logements, notamment sociaux, "qui a dégringolé". "La crise du logement n’a pas démarré il y a six mois", a commenté Emmanuelle Cosse. "Et si on s’est beaucoup investi dans ce CNR c’est parce que pendant cinq ans, on s’est battu contre un mur, pendant cinq ans il y a eu une politique du logement qui a matraqué le logement social", a martelé la présidente de l’Union sociale de l’habitat (USH), évoquant la perte de 140.000 agréments lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. "La crise s’est accélérée de manière folle, c’est pour cela qu’on attend des mesures très rapidement", a-t-elle poursuivi, se déclarant déçue et très inquiète pour le logement social, que ce soit pour la production comme pour la rénovation.

Dans un communiqué, le Mouvement HLM déplore ainsi "un rendez-vous manqué", expliquant que "l’absence aujourd’hui de mesures réinstaurant un taux de TVA réduit sur l'ensemble de la production de logements sociaux, créant de nouvelles aides pour accélérer la production de logements sociaux, en locatif comme en accession sociale à la propriété, et de mesures redonnant aux bailleurs sociaux leurs capacités d'investissements, (…) n’est pas de nature à répondre aux attentes et aux besoins des organismes HLM". Même son de cloche pour la Fédération des offices publics de l’habitat pour qui "le logement HLM est le grand absent du CNR".

Large consensus sur la maîtrise du foncier

La déception est d’autant plus grande que l’ensemble des acteurs mobilisés au sein des trois groupes de travail du CNR ont unanimement salué la très grande qualité des débats et des propositions qui en sont ressorties et partagent tous le constat de l’urgence à agir, y compris sur des questions qui étaient loin de faire consensus il y a encore quelques années, si ce n’est quelques mois. "Le secteur de l’immobilier/logement a fait preuve d’une grande intelligence dans ses travaux, c’est la première fois par exemple qu’il y a eu autant de remises en cause de la question foncière", a relevé Emmanuelle Cosse.

"J’ai rarement vu les acteurs aussi alignés et prêts à bouger", a abondé Christophe Robert, appelant le gouvernement à ne pas rater cette occasion : pour que le travail réalisé pendant ces six mois ne reste "pas lettre morte", il appelle l’État à être "extrêmement ambitieux, porteur de la politique du logement", avec des financements pluriannuels et des objectifs clairs. "Cette impulsion forte de l’État ne signifie pas qu’on ne peut pas déléguer davantage de responsabilités aux collectivités territoriales pour qu’elles soient plus en capacité de s’adapter à la réalité des territoires, notamment celles qui se sont dotées du statut d’AOH [autorité organisatrice de l’habitat, instaurée par la loi 3DS du 21 février 20222, ndlr] en leur donnant plus de compétences, notamment pour adapter les normes, a-t-il poursuivi. Et sur l’encadrement loyer : pourquoi ne pas permettre aux maires de fixer [les seuils] pour lutter contre les inégalités et les ségrégations ?" Avant de souligner qu’en matière d’encadrement du foncier, les maires demandent des moyens d’agir.

"Désaveu" du rôle des maires

Des maires et des élus locaux également nombreux à réagir au lendemain des mesures annoncées par Elisabeth Borne. Celles-ci sont jugées "décevantes", par l’Association des maires de France (AMF), "malgré certaines mesures favorables", à l’image du soutien à la rénovation énergétique des logements, la pérennisation de l’aide aux recyclages des friches via le fonds vert et l’accélération de la transformation du foncier de l’État et de ses opérateurs. Mais pour l’AMF, "le manque de cohérence des propositions faites et, à la faveur d’un discours recentralisateur, le désaveu du rôle des maires et présidents d’intercommunalité comme acteurs centraux de la politique du logement et de la construction en France sont à cet égard particulièrement inquiétants".

Les maires déclarent par ailleurs avoir "besoin de visibilité sur les cinq années à venir pour être incités à se lancer dans des opérations de logements, et de logements sociaux en particulier" et redoutent que l’absence de mesure visant à soutenir les bailleurs sociaux entraîne "une tension plus forte encore pour accéder au parc social". Enfin, le recentrage en zone tendue du dispositif prêt à taux zéro (PTZ) et la suppression du dispositif Pinel "méconnaissent les besoins des autres communes, comme si elles n’étaient pas concernées par la crise du logement". L’AMF rappelle que le PTZ en zone peu dense constitue un facteur essentiel d’accès des ménages à la propriété et devrait rester un dispositif de droit commun.

Les principales autres associations d’élus locaux et intercommunaux (Intercommunalités de France, France urbaine, APVF, Amif, Ville et Banlieue et l’AMRF) regrettent, dans un communiqué commun, "l’absence de propositions fortes et attendues pour résoudre la crise du logement telles que la confortation des délégations déjà existantes et reconnues aux intercommunalités, la gestion de tout ou partie des crédits MaPrimeRénov’ et du service d’accompagnement pour la rénovation énergétique, l’accès par les élus locaux à la définition du zonage et à tous les outils de la régulation publique aujourd'hui réservés aux zones tendues, comme l'encadrement des loyers, la régulation des meublés touristiques afin de lutter plus efficacement contre la spéculation immobilière, et enfin la mise en place d’une aide aux maires bâtisseurs afin de booster la construction de logements en zone tendue comme par exemple en Île-de-France".

Les associations d’élus du bloc local constatent aussi l’absence de mesures visant à renforcer le droit à l'expérimentation d'outils fonciers afin que les territoires puissent réussir la mise en œuvre du zéro artificialisation nette (ZAN) et lutter efficacement contre la vacance des logements, mais aussi à élargir les compétences et responsabilités des collectivités reconnues Autorités organisatrices de l’habitat, notamment en matière de lutte contre la précarité énergétique et l’habitat indigne. Prédisant "une crise majeure dans les mois à venir" si aucune mesure forte n’est prise aujourd’hui, elles appellent l’État "à agir maintenant".

  • Les deux animateurs du CNR Logement font part de leurs inquiétudes

Au lendemain de la restitution du CNR Logement, ses deux animateurs, Véronique Bédague, directrice générale de Nexity, et Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre, ont tenu, lors d’une conférence de presse organisée mardi 6 juin en fin de journée, à revenir sur cette consultation inédite et les suites à y donner. 

Au-delà des "éléments positifs" annoncés par Élisabeth Borne le 5 juin (doublement du nombre de bénéficiaires de la garantie Visale, plan Logement d’abord 2, encouragement du BRS, mesures pour booster la rénovation thermique…), Christophe Robert a fait part de deux "gros sujets d’inquiétude" : le logement social et la nécessité d’encadrer les prix du foncier, question qui a fait l’objet d’un rare consensus au sein du CNR mais pour laquelle les animateurs ont reçu une "fin de non-recevoir", a précisé Véronique Bédague.

La déléguée générale de Nexity a elle aussi dégagé des éléments intéressants dans les mesures annoncées, notamment le développement du logement intermédiaire, tout comme l’idée d’un dialogue renforcé entre l’État et les collectivités dans les villes denses, notamment pour que les préfets puissent avoir un regard sur les plans locaux de l’habitat (PLH). Elle espère également que la mission évoquée pour simplifier les règles d’urbanisme, qui est "un peu le serpent de mer", verra le jour. 

Ce qui pèche en revanche, selon elle, c’est le sujet de l’accès à la propriété des personnes modestes et des jeunes. "Il y a un instrument très fort pour cela qui est le PTZ : il est prolongé sauf qu’il est réduit et ne sera désormais plus accessible que dans 1.100 communes, là où les conditions du marché immobilier sont telles que ceux qui pourraient y prétendre ne pourront y avoir recours, c’est un vrai problème. L’autre sujet sur lequel nous n’avons pas réussi à convaincre c’est d’élargir le marché de la location à un moment où l’accès à la propriété est très compliqué."

Elle a également évoqué la question de la rentabilité : "Tous les opérateurs qui investissent dans le logement ont des problèmes de rentabilité et rien n’est fait pour les bailleurs sociaux qui n’ont plus les moyens d’investir. Il faut travailler pour tous les opérateurs, pour leur permettre de réinvestir dans le logement", a exhorté Véronique Bédague.

"Il faut agir sur tous les leviers, a ajouté Christophe Robert. C’est l’un des éléments que nous avons essayé de porter avec Véronique, un autre étant celui du rôle de l’État en matière d’aménagement du territoire, pour fixer un cap, des objectifs pluriannuels. De ce point de vue, nous avons eu pas mal de déceptions."

Pour autant, les deux animateurs du CNR Logement ont assuré qu’ils allaient continuer à batailler, notamment dans le cadre des discussions du projet de loi de finances dont les arbitrages sont attendus fin juillet, mais aussi à travers la concertation autour du pacte entre l’État et les bailleurs sociaux et la convention avec Action logement, attendus dans les prochains jours.

 

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