Comment apprécier la covisibilité entre un projet et un édifice classé monument historique ?

Réponse :

I - La covisibilité, une notion centrale pour la protection au titre des abords de monuments historiques

La protection au titre des abords s'applique aux immeubles qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui contribuent à sa conservation ou à sa mise en valeur. 

Cela prend soit la forme d’une zone délimitée par l’ABF à la suite d’une étude approfondie sur le terrain, soit, en l’absence d’une telle étude, d’un périmètre de 500 mètres dressé au compas sur une carte autour de l’édifice protégé. Cette zone, appelée “servitude d'utilité publique” est justifiée par la nécessité de protéger, conserver et la mettre en valeur le patrimoine culturel. La réalisation de travaux dans un tel périmètre est donc soumise à davantage de règles afin de mener à bien cette mission d’intérêt général.

Dans le cas où aucune étude n’a été menée afin d'affiner le périmètre des abords d’un monument historique, c’est la notion de covisibilité qui va permettre de déterminer si les travaux qui vont être menés sont susceptibles d’être de nature à dénaturer la cohérence architecturale du site et ainsi porter atteinte à l’objectif poursuivi de protection du patrimoine.

II - La covisibilité, une notion très précise et à la libre interprétation de l’ABF

La définition de la covisibilité a évolué plusieurs fois au cours du temps. Aujourd’hui, elle se définit comme étant le point de vue humain situé sur le domaine public, depuis n’importe quel point de l’espace (que ce soit dans le périmètre des 500 mètres ou en dehors de celui-ci) et depuis lequel il est possible de voir simultanément (même brièvement ou en partie seulement) à la fois l’édifice protégé et le site sur lequel vont avoir lieu les travaux.

Des sites gouvernementaux, tels que “l’Atlas du patrimoine” ou “Géoportail”, permettent de se faire une idée de l'étendue de cette servitude en donnant accès à des plans cadastraux sur lesquels figurent ces périmètres. Mais seul l’ABF est habilité à déterminer s’il y a bien covisibilité ou non. Même le maire et le service d’urbanisme de la mairie ne sont pas habilités à le définir ni même à le contester. La mairie a l’obligation de transmettre à l’ABF toutes les demandes d’autorisation d’urbanisme situées dans ces zones. Ils peuvent toutefois alerter l’ABF sur l’éventualité que ces travaux ne soient pas visibles en tout point en même temps que l’édifice protégé.

Les dossiers de demande d’autorisation d’urbanisme (permis de construire, permis d’aménager ou encore déclaration préalable) qui doivent être transmis à l’ABF au titre de cette protection doivent avoir été envoyés par la mairie dans un délai de 7 jours à compter du dépôt du dossier en mairie par le demandeur. Dès la réception du dossier, l’ABF dispose d’un délai de 2 mois pour traiter le dossier et se prononcer sur l'existence ou non d’une covisibilité. Ce délai de 2 mois vient ainsi s’ajouter au délai de traitement global dont dispose la mairie pour se prononcer sur la demande de travaux.

III - Les conséquences de l’existence d’une covisibilité

Lorsque la covisibilité est confirmée par l’ABF, cela a des répercussions importantes sur l’autorisation d’urbanisme, en rendant contraignant l’avis qu’il va rendre ainsi que toutes les prescriptions qu’il sera amené à détailler dans son rapport. Cela signifie que ni le maire, ni le demandeur, ne vont être en mesure de pouvoir s’opposer à ce que l’ABF va décider. Le maire devra accorder ou refuser la demande si l’ABF le décide et le demandeur devra suivre tout ce que l’ABF aura détaillé, que ce soit en rapport avec la volumétrie, la nature des matériaux, la couleur ou encore la localisation des travaux. L’avis contraignant porte donc particulièrement bien son nom.

Lorsque la mairie aura rendu sa décision à l'issue du processus d’instruction, le demandeur sera alors en mesure d'effectuer un Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO) directement auprès du préfet. En théorie, la mairie peut également faire ce recours. Une commission départementale sera alors constituée afin de valider ou d’invalider l’avis de l’ABF. Dans la pratique, il est extrêmement rare que ce type de recours aboutisse. Le préfet du département valide dans la quasi-totalité des cas l’expertise de l’ABF.

Dans le cas où la covisibilité n’est pas retenue par l’ABF, l’avis et les prescriptions de son dernier deviennent facultatives. Il ne s’agit dès lors plus de prescription, mais de recommandations. On parle également d’avis simple lorsque l’on évoque le rapport de l’ABF. Cette situation est bien moins contraignante que la précédente, car le maire, comme le demandeur, peuvent décider de ne pas suivre la position de l’ABF. Dans l’absolu, il arrive tout de même que certains maires reprennent les conclusions de l’ABF en ajoutant ses recommandations dans le document formalisant l’autorisation d’urbanisme. Dès lors, les recommandations de l’ABF redeviennent contraignantes et devront obligatoirement être respectées par le titulaire de l’autorisation d’urbanisme sous peine de ne pas obtenir le certificat de conformité de ses travaux à l’issue de ces derniers.

S’il le désire, le titulaire de l’autorisation va tout de même pouvoir faire un recours (gracieux et ou un recours contentieux devant le juge) contre cette décision du maire.

IV - Notre conseil

Dans la mesure où les pouvoirs de l’ABF sont très étendus et que ses prescriptions peuvent avoir des répercussions très importantes sur la réalisation des projets, il est vivement conseillé de prendre directement contact avec lui avant de déposer le dossier de demande d’autorisation d’urbanisme en mairie. Lors d’un rendez-vous, il pourra examiner le projet et conseiller sur le plan technique afin que la demande d’autorisation future soit respectueuse des objectifs de préservation et de mise en valeur du patrimoine. 

Attention toutefois, car un tel rendez-vous n’est pas de nature à supprimer l’obligation qui pèse sur la mairie de lui transmettre le dossier et cela n’a pas non plus pour effet de garantir l’octroi de la demande d’autorisation d’urbanisme. L’ABF peut très bien revenir sur sa position précédente en invoquant de nouvelles prescriptions. Mais cela a au moins le mérite de limiter les surprises et faciliter l’instruction de la demande de travaux.

Références : Code de l’urbanisme : articles R423-11, R423-67, R423-67-1 et 2, R423-59, R425-30 , R425-1, R425-2 , R423-68 , R423-35, R424-3 ; Code du patrimoine : articles L. 621-30 et L621-31 ; CE, 5 juin 2020, n° 431994 ; CE, 20 janvier 2016, n° 365987

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