Comment Montigny-lès-Cormeilles transforme sa zone commerciale en centre-ville

Alors que le programme Action cœur de ville s'ouvre aux entrées de ville et quartiers de gares, que le gouvernement lance un programme de requalification des zones commerciales de périphérie, certaines communes ont pris de l'avance. C'est le cas de Montigny-lès-Cormeilles, dont le retour d'expérience a été présenté, le 10 octobre, lors des Rencontres Cœur de villes à Avignon.

La zone commerciale de la Patte d'Oie d'Herblay, située en partie sur la commune de Montigny-lès-Cormeilles (Val-d'Oise), est l'archétype de ces alignements de "boîtes à chaussure" tant décriées aujourd'hui, avec des locomotives comme Carrefour, Leroy Merlin… le tout sur un boulevard relié à l'autoroute. La commune de 21.000 habitants a connu un "choc urbain" dans les années 60-70, sur le modèle des villes nouvelles qui promettaient un avenir radieux. "De 5.000 habitants en 1960, elle est passée à 15.000 cinq ans plus tard (…). Elle a été rattrapée par l'urbanisation", a expliqué son maire, Jean-Noël Carpentier, le 10 octobre, lors d'une "masterclass" organisée dans le cadre des Rencontres Cœur de ville à Avignon (voir notre article). Lorsqu'il parvient aux commandes de la ville en 2009, il réalise que ce modèle de développement est enrayé. "Je sentais bien que ça n'allait plus, il y avait beaucoup de vacance commerciale, des changements d'enseignes…" Quand tombe, en 2010, cette célèbre une de Télérama sur la "France moche", il y voit le portrait-robot de sa ville. Le sujet n'est pas nouveau : en 2003, l'architecte urbaniste David Mangin évoquait déjà dans "La France franchisée" l'enlaidissement des périphéries de villes françaises. Alors en voyant David Mangin, quelques semaines plus tard, dans l'émission Complément d'enquête, le maire décide de l'appeler pour lui exposer ses difficultés et trouver des solutions. L'architecte l'avertit : "Ce sera dur et long."

"Tout est pensé pour la bagnole"

Treize ans plus tard, la ville est engagée dans un vaste projet de transformation de cette zone. L'enjeu : en faire un véritable centre-ville, alors que Montigny en est dépourvu. Ce qui implique de s'attaquer à un linéaire commercial d'1,5 km (sur les 5 km que couvre la zone à cheval sur plusieurs communes), de restructurer 30 hectares (dont 20 de voirie) pour en faire un quartier habité, avec 900 logements à construire d'ici 2030, une école (prévue en 2025), des espaces verts (20.000 mètres carrés)... "Aujourd'hui, dans cette zone, tout est pensé pour la bagnole, vous avez des centaines de panneaux publicitaires, les sols sont totalement imperméabilisés, ce sont des boîtes à rendement à l'architecture très pauvre, il n'y a pas un arbre, c'est le désert", se désole l'élu.

On mesure l'ampleur du chantier, alors que 3.000 emplois sont concernés. "Ce n'est pas qu'un sujet technique, c'est très humain, derrière vous avez des boulots, des familles, il faut un accompagnement, beaucoup de partenariat", poursuit-il. Mais Montigny a pu recevoir le soutien du Cerema dans le cadre d'un appel à projets lancé par le ministère de la Cohésion des territoires en 2017 sur le thème "Repenser la périphérie commerciale", aux côtés de trois villes aujourd'hui intégrées dans le programme Action cœur de ville - Limoges, Saint Pierre de la Réunion et Thiers - et deux autres agglomérations situées en périphérie de métropoles - Vitrolles et Rognac, dans les Bouches-du-Rhône, et Saint Quentin-en-Yvelines. Entre-temps, Vitrolles et Rognac se sont retirées en raison d'un désaccord politique. Les lauréats ont pu bénéficier d'une enveloppe de 150.000 euros pour financer des études. Le Cerema est intervenu sur cinq piliers : la stratégie de territoire, la gouvernance, l'insertion paysagère et architecturale, la mixité des usages et la faisabilité du projet (montage économique, diagnostic foncier, évaluation de la "dureté foncière, c'est-à-dire la plus ou moins grande capacité des propriétaires à vendre ou céder du terrain…).

"Personne n'y croyait réellement, à cette possibilité de muter"

"La première chose à faire c'est avoir un plan guide qui va structurer le projet, donner un objectif à la zone, démontrer que c'est possible. Personne n'y croyait réellement, à cette possibilité de muter", conseille Jean-Noël Carpentier.

Pour Nicolas Gillio, du Cerema, le portage politique du projet est capital, notamment pour surmonter les difficultés avec les propriétaires. La participation des habitants est "un plus". Selon lui, la stratégie de territoire, c'est par exemple : "Comment agir sur la périphérie sans que cela ne se fasse au détriment du centre-ville ?" Une question qui ne se pose pas pour le cas de Montigny qui vise au contraire à créer un centre. Mais qui, au moment où le gouvernement lance son plan de requalification des zones commerciales et où la nouvelle phase du programme Action cœur de ville s'ouvre aux entrées de villes, est parfois un sujet de préoccupation (voir notre article du 6 octobre). À cet égard, le président de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), Christophe Bouillon, a profité de ces rencontres pour rassurer : "Il ne s'agit pas d'avoir plusieurs cœurs, ce serait la pire des choses. (…) Mais il s'agit de faire en sorte que les entrées de ville soient des quartiers de vie", a-t-il souligné devant les maires rassemblés dans la salle du conclave du palais des Papes.

Un partenariat pour surmonter les déficits

Jean-Noël Carpentier insiste aussi sur l'importance du partenariat entre l'État, le Cerema, l'établissement public foncier et aujourd'hui une foncière. Le gros problème, selon lui, vient du financement de ces opérations "forcément déficitaires". "C'est un foncier vivant, qui coûte, il va falloir indemniser les commerces qui vont s'en aller", explique le maire. Mais il faut aussi débloquer de la trésorerie "tout de suite" pour mener à bien les opérations à court terme, comme la création de l'école qui a nécessité le rachat d'un magasin, soit 7 millions d'euros de foncier. "C'est du déficit pur."

Pour l'aider à surmonter ces difficultés, Montigny a été choisie pour servir de premier démonstrateur du partenariat noué en décembre dernier entre la foncière commerciale Frey, la Banque des Territoires et CDC Habitat visant à "transformer les entrées de ville commerciales en nouveaux quartiers à usages mixtes". Ils ont créé un nouvel outil de portage foncier d'une capacité de 200 millions d'euros baptisé "Repenser la ville". La foncière va acquérir des locaux, gérer les phases transitoires, notamment les baux en place, privilégier autant que faire se peut des relocalisations sur place…

Les trois actionnaires de Repenser la ville estiment que sur 243 zones commerciales de périphérie des 21 plus grandes aires urbaines françaises, il existe un gisement de foncier artificialisé de 55.000 hectares. Ce qui, à l'heure du zéro artificialisation nette, devient capital pour construire du logement.