Gil Avérous : "Nous proposons un pacte fiscal avec l'État et les entreprises"

"Tous les voyants sont verts" pour le démarrage de la phase 2 du programme Action cœur de ville mais les maires de villes moyennes – encore sous le coup des émeutes du début de l'été – demandent aux partenaires du programme de ne pas relâcher les efforts alors que des nuages s'amoncellent : facture énergétique, inflation et hausse des taux d'intérêts. S'ils accélèrent leurs projets de transition énergétique, les retombées prendront du temps. Réussir la réindustrialisation, faire du ZAN une opportunité, requalifier les entrées de villes : pour Gil Avérous, maire de Châteauroux (Indre), président de Châteauroux métropole et président de Villes de France, ces défis doivent reposer sur de nouvelles relations avec les partenaires privés. Il prône un "pacte fiscal" État-collectivité-entreprise sur cinq ans. Il s'en explique à l'approche des rencontres Coeur de ville organisées à Avignon les 9 et 10 octobre par la Banque des Territoires.

Localtis - Depuis quelques années, les "nouvelles frontières" du développement urbain se déplacent vers les villes moyennes. Pensez-vous que le phénomène soit durable ?

Gil Avérous - Nous avions déjà pu constater un nouvel intérêt pour nos villes moyennes. Cet intérêt s'est renforcé avec la crise sanitaire et nous pensons qu'il s'agit d'un phénomène durable. Cela a commencé à se traduire par l'installation de familles qui font un vrai choix de vie. Souvent, l'élément déclencheur est la présence dans le foyer d'un enfant qui commence à grandir. Les villes moyennes représentent pour ces familles un compromis entre l'activité des grandes villes et le cadre de vie, sachant que l'éducation et l'accès à l'enseignement supérieur sont des critères de choix pour l'implantation. Le travail n'est plus le premier critère car il suffit pour l'un des deux membres du couple de pouvoir télétravailler, avec la possibilité pour le second de trouver un travail localement. Pour les villes moyennes, c'est une chance de pouvoir accueillir ces nouvelles familles, d'autant qu'elles amènent des compétences. Ce sont souvent des profils un peu plus qualifiés. Les compétences sont un élément majeur du développement économique. Pour la majeure partie des maires de villes moyennes, le premier objectif politique est de développer l'enseignement supérieur sur leur territoire, développer l'alternance… À cet égard, le programme Action coeur de ville comporte un volet spécifique sur l'enseignement supérieur qui s'est avéré salutaire pour nous, avec le déploiement des antennes du Cnam qui ont permis de développer des programmes de formation adaptés.

À peine lancé, le programme Action cœur de ville a eu à subir les chocs de la crise sanitaire puis de la crise énergétique. À mi-parcours, quel premier bilan en tirez-vous ?

La première génération d'ACV a été un grand succès, même si la crise sanitaire a pu freiner certaines opérations. La première clé du succès a été de mettre en place une gouvernance reposant sur les épaules du maire, d'en faire le chef de file, même si le tout s'inscrit dans un cadre national. On part donc de la réalité du terrain. La deuxième clé est l'apport en ingénierie financée par les partenaires, ce qui a permis de créer des postes de chargés de missions. Les premières années ont surtout été consacrées aux études de préfiguration. En 2020, on a commencé à développer les actions malgré la crise. Mais les difficultés sont encore plus grandes aujourd'hui avec l'inflation : le coût des opérations s'envole, notamment sur le bâtiment. La hausse des taux d'intérêt est encore plus impactante. On s'était habitué à des taux de 1%, là ils atteignent 4, 4,5%, et encore pour ceux qui ont de "bons" profils. Et les recettes des collectivités augmentent moins vite que les coûts. Le moment est compliqué.

Mais les 5 milliards d'euros de la première phase du programme ont été dépensés. C'est une grande réussite. La Banque des Territoires a été particulièrement à l'écoute. Le rôle d'Action logement a aussi été salutaire, en passant à un système de subvention des partenaires privés pour rendre viables des opérations, comme la rénovation d'anciennes écoles, de casernes qui continuent à se délabrer... Cela a permis de donner un rendement financier à ces opérateurs privés et d'éviter que le public intervienne. Tout cela contribue à ramener des habitants en centre-ville…

Votre dernier congrès s'est achevé par le "pacte du Creusot", suite aux émeutes du début de l'été. Quelle est la situation presque trois mois plus tard ?

À un moment, nous nous sommes posé la question du maintien du congrès mais nous avons bien fait de le maintenir car finalement cela nous a permis d'échanger sur la situation. Nous avons d'abord pu constater que ces émeutes se sont déroulées dans des quartiers qui n'étaient pas forcément à l'abandon. La plupart des élus de villes moyennes portent un programme de rénovation urbaine, ce sont des quartiers en rénovation malgré tout. La physionomie de la population y a évolué. Il y avait au départ des travailleurs immigrés qui ont participé à la reconstruction de la France. Aujourd'hui s'y concentrent des primo-arrivants qui cumulent des difficultés sociales. Mais cela démontre aussi l'importance des politiques de rénovation urbaine. Car si on était restés dans la même configuration de densité urbaine, je ne sais pas combien de temps auraient duré les émeutes. Il faut continuer la politique de rénovation du logement tout en travaillant sur l'insertion. Car cette violence traduit aussi l'échec de l'insertion d'une partie de la population. Or on a d'un côté des habitants qui n'ont pas de travail, certains vivent d'activités illicites et, de l'autre, des besoins de main-d'œuvre dans les entreprises. Il va falloir améliorer le système éducatif, développer l'apprentissage, l'alternance, l'enseignement supérieur sur les territoires.  Mais il y a aussi quelque chose à faire sur l'insertion. On est désormais dans une politique de "l'aller vers", il faut aller chercher les habitants, notamment les jeunes, pour les mettre dans les dispositifs, les remettre dans le circuit. C'est un vrai changement pour les collectivités, cela conduit à changer notre manière de travailler…

C'est déjà ce que font les missions locales ?

G.A. : C'est en effet le travail des missions locales pour les jeunes. Leur mission est aujourd'hui "challengée" avec la mise en place de France Travail. À Châteauroux, nous avons déployé un dispositif complémentaire : le pôle d'insertion médiation (PIM). On a positionné ce service au cœur des commerces du quartier Saint-Jean, un quartier prioritaire. Les commerçants nous alertaient sur une foule de jeunes qui errent, certains se livrant à des trafics… L'objectif de ce service est d'aller à leur rencontre et de leur faire découvrir des métiers sur place. À l'inverse des médiateurs qui interviennent la nuit, le PIM intervient toute la journée et en soirée. Il faut capter ceux qui "zonent", les sortir du groupe et les amener vers des formations, un emploi… C'est un travail de dentelle, individu par individu. Le "pacte du Creusot" invite à mener des politiques différentes, mais aussi à réaffecter des postes de police dans ces quartiers. Il faut les reconquérir avec des mesures qui démontrent leur efficacité.

Votre congrès devait initialement être axé sur la réindustrialisation. Comment établir des passerelles entre Territoires d’industrie et Action cœur de ville sur ces enjeux ?

Pour les Territoires d'industrie, les résultats sont plus mitigés que pour ACV. Ils ont bien fonctionné dans les relations État-entreprises, notamment à travers des appels à projets, des soutiens pour l'achat de machines… mais ils ont moins bien marché sur la dynamique territoriale. Il y a un petit sujet de gouvernance. Les maires et présidents d'agglomération devraient être chefs de file, il faut aller vers une vraie complémentarité État-élus locaux- entreprises. L'une des difficultés, quand on parle de réindustrialisation, est de faire accepter l'implantation d'une usine par le voisinage. Or les villes moyennes ont une vraie culture de l'industrie et une acceptabilité beaucoup plus forte de la population que dans les grandes agglomérations. Ce sont des territoires plus à même de faciliter cette réindustrialisation.

Quand j'ai été élu à la tête de Villes de France, je suis allé à la rencontre des adhérents, nous avions des échanges consacrés à ACV le matin et aux Territoires d'industrie l'après-midi. L'idée était d'aller voir des chefs d'entreprise pour qu'ils nous expliquent leur choix d'implantation. Il est intéressant d'écouter les entreprises. Ce qu'elles attendent des collectivités c'est du foncier disponible, de la main-d'œuvre, des aides au recrutement… On sent chez les entreprises la volonté de se rapprocher des territoires. La distance devient un handicap avec l'augmentation des coûts de transport, mais les entreprises sont aussi de plus en plus sensibles à leur impact carbone. Et c'est aussi quelque-chose que les candidats regardent de plus en plus. C'est un cercle vertueux. Pour exemple, à la suite de la fermeture de son usine en Russie, le groupe allemand Liebherr, qui fabrique des pelleteuses, a décidé de se relocaliser à Colmar plutôt qu'en Turquie ou en Allemagne, car il a trouvé du foncier disponible, de la main-d'œuvre et aussi pour se rapprocher de ses clients.

La crise énergétique est encore prégnante. Quelle est la situation des villes moyennes ?

C'est une inquiétude qui reprend très fort car les prix repartent à la hausse après avoir connu une légère accalmie avant l'été. Cette ré-inflation énergétique n'a pas forcément été anticipée. Il y a un an, l'État nous conseillait de ne pas signer de contrats de long terme, escomptant un retour rapide à la normale. Mais à l'approche du froid, les prix s'envolent à nouveau. Cela devient une donnée récurrente qui nous conduit à revoir notre consommation et à accélérer les programmes de réduction de la consommation énergétique et à augmenter la part d'énergies renouvelables. Il faut compter au moins trois ans entre la décision et la réalisation d'un parc photovoltaïque et sept à dix ans pour les éoliennes. Ce qui fait que nous nous trouvons dans une période très difficile avec de nouveaux investissements immédiats.

Le ZAN (zéro artificialisation nette) est-il une contrainte ou une opportunité pour les villes moyennes qui disposent de pas mal de friches liées à la désindustrialisation ?

Nous sommes globalement favorables au ZAN pour éviter l'étalement urbain et favoriser le resserrement vers les centres-villes. C'est une politique que nous menons depuis des années, nous cherchons à ramener des habitants en centre-ville, à éviter l'étalement des zones périphériques. Mais si l'on veut réindustrialiser le pays, l'activité ne doit pas être pénalisée par le ZAN. À cet égard, le fonds Friches désormais fondu dans le fonds vert est dans une situation précaire, sans visibilité de moyen terme, or la reconversion des friches va être un sujet permanent. Des entreprises ouvrent, d'autres ferment : les friches se réabondent naturellement. Nous plaidons pour un dispositif d'alimentation d'un fonds Friches qui ne reposerait plus seulement sur les subventions du gouvernement. Nous proposons de taxer les friches existantes pour convaincre les propriétaires de les vendre. Taxer permettrait aux collectivités de bénéficier de subventions pour financer des dépollutions, des reconversions… Il faut parallèlement anticiper et fournir des "friches clés en main", ce qui veut dire anticiper les dépollutions. Les entreprises veulent aller de plus en plus vite. Reconvertir coûte plus cher qu'étendre une zone d'activité sur des terres agricoles.

Nous prônons un "pacte fiscal" qui serait proposé aux entreprises qui s'installent. Un contrat tripartite État-collectivité-entreprise sur cinq ans. La collectivité s'engagerait à stabiliser les impôts locaux et des contreparties seraient demandées à l'entreprise.

La deuxième phase d’ACV met notamment la priorité sur les entrées de villes. Le gouvernement lance parallèlement un plan national de 24 millions d’euros. Vous semble-t-il à la hauteur des enjeux alors qu'on parle de 1.500 zones commerciales en France ?

Nous avons attendu que l'Agence nationale de la cohésion des territoires renouvelle ses équipes. C'est chose faite. Tous les voyants sont au vert. Nous arrivons à mi-mandat, il y a nécessité d'accélérer les réalisations. Chaque partenaire – Action logement, l'Anah, la Banque des Territoires, le gouvernement, Villes de France – sait ce qu'il a à faire. Les nouvelles priorités - les quartiers de gare et les entrées de villes - constituent un challenge financier, cela va demander du temps et beaucoup d'argent. Cela implique aussi une coopération intercommunale plus forte que pour ACV 1 où on intervenait principalement sur la ville-centre.

L'urbanisme périphérique a été loupé. Pendant soixante ans, on a sous-estimé l'impact urbain des constructions en périphérie, on voulait trop spécialiser… il va falloir remixer. Mais c'est compliqué car nous n'avons pas achevé la redynamisation des centres-villes que déjà on entame la reconversion des zones périphériques, en même temps on doit investir dans le logement, les économies d'énergie, les énergies renouvelables… Ce sont des enjeux colossaux. L'ingénierie financière va être au cœur des politiques publiques dans les mois qui viennent.

Pour ce qui est des 24 millions d'euros du plan gouvernemental, ce n'est rien si vous partez du principe que c'est à la collectivité de payer et pas aux promoteurs immobiliers qui ont fait de l'argent. Est-ce normal ? L'investissement va être colossal, il doit être partagé. La question du "qui paye quoi" doit être abordée. On gagnerait à mettre autour de la table, les communes, l'intercommunalité, l'État et également les propriétaires. Plus qu'en centre-ville car les surfaces sont plus importantes. Les propriétaires sont demandeurs d'être associés à la réflexion. La politique est en train de s'écrire.

 

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