Congrès des maires : derrière les gestes financiers, une décentralisation encore en pointillé

"Les communes sont attaquées, leurs élus pris pour cible, leurs moyens d’action affaiblis, leur liberté entravée", affirme la résolution générale présentée en clôture du Congrès des maires ce 23 novembre. Les annonces d'Elisabeth Borne ont surtout porté sur les moyens avec, notamment, l'annonce d'une rallonge de 100 millions d'euros de la dotation globale de fonctionnement et une évolution de "France Ruralités Revitalisation". Elle a reconnu les nombreuses entraves normatives subies par les collectivités et entend donner un rôle pivot au préfet de département. La veille, Emmanuel Macron l'avait dit lui aussi. Il faut selon lui renoncer aux compétences partagées. Les élus, eux, misent avant tout sur le principe de subsidiarité.

Sur le diagnostic, au fond, tout le monde serait-il presque d'accord ? En tout cas, le discours constant de l'Association des maires de France (AMF) est bien parvenu jusqu'aux oreilles de l'exécutif, lequel en reprend largement les items, que ce soit du côté de Matignon ou de l'Elysée. Sur les remèdes aussi, certaines convergences. Et ce, qu'il s'agisse de mesures immédiates ou de réformes de long terme. Du moins dans les intentions. Car dans l'ampleur des transformations à opérer, les visions ne sont sans doute pas tout à fait comparables. C'est un peu l'impression que l'on a pu avoir en suivant ce 23 novembre la séance de clôture du 105e Congrès des maires de France, après avoir écouté la prise de parole d'Emmanuel Macron, la veille au soir, devant le millier de maires que celui-ci avait réunis à l'Elysée.

Le discours de l'AMF, qui s'était réaffirmé et illustré au fil des trois jours de débats thématiques de ce congrès (voir ci-dessous notre dossier regroupant nos articles sur les différentes séquences de l'événement), a comme le veut la tradition été synthétisé dans la "résolution générale" lue ce jeudi par André Laignel, l'immuable premier vice-président délégué de l'association. Ce document de six pages (en lien ci-dessous) adopté le matin même à l'unanimité par le bureau de l'AMF, commence par un "message d'alerte" que peut résumer cette phrase : "Oui, les communes sont attaquées, leurs élus pris pour cible, leurs moyens d’action affaiblis, leur liberté entravée."

"Brutalisation de la société"

L'enjeu des violences croissantes en direction des élus, mais aussi de toutes les formes de violences et tensions sociétales, du "mal-être démocratique", a sans conteste été le marqueur inédit de ce congrès. Et figure donc logiquement en tête de la résolution. "La violence n'est que l'une des expressions de la déliquescence civique", a redit David Lisnard en clôture, parlant d'un "tournant dangereux de notre démocratie". Dans son allocution ayant suivi celle du président de l'AMF, Elisabeth Borne a de même évoqué "la brutalisation de la société". Et quand David Lisnard fustige "le délitement régalien, l'impuissance publique", Emmanuel Macron avait la veille repris son terme de "décivilisation" et déclaré de façon assez concordante : "La crise que nous vivons tous, le malaise, c'est à la fois une crise de l'efficacité et une crise de l'autorité."

Les réponses déjà apportées par le gouvernement au problème des violences contre les élus font d'ailleurs partie des éléments que l'AMF place dans la colonne des "avancées" obtenues au cours de l'année. La ministre Dominique Faure a eu l'occasion de les rappeler plusieurs fois lors du congrès (voir entre autres notre article de ce jour). "Mais je sais que le compte n’y est pas encore, je sais qu’il y a encore trop d’affaires qui n’aboutissent pas, nous devons faire plus et nous y travaillerons avec vous et avec les parlementaires", a toutefois reconnu Elisabeth Borne, sachant que la proposition de loi sénatoriale doit arriver à l'Assemblée d'ici la fin de l'année.

Autre sujet relatif aux élus eux-mêmes : l'"amélioration des conditions d’exercice du mandat" et donc le statut de l'élu. Indemnités, formation, droits sociaux, conciliation avec la vie personnelle et professionnelle… Le chef de l'Etat lui-même a abordé la question. Elisabeth Borne a fait savoir que les propositions formulées lors de la Convention nationale de la démocratie locale de début novembre devront "se traduire en actes", sachant que plusieurs propositions de loi ont déjà été préparées, et a chargé Dominique Faure de "faire aboutir ces travaux au premier semestre 2024". Avec, d'ores et déjà, une première annonce : dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, la dotation pour l'exercice des mandats locaux sera augmentée de 14,6 millions d'euros, ceci devant permettre aux petites communes rurales notamment d'augmenter les indemnités de leurs élus.

Augmenter la DGF... avant de la réformer

Cette annonce d'ordre financier a été suivie d'une autre, plus importante, toujours dans le cadre du PLF. Après avoir rappelé les efforts déjà prévus, dont une augmentation de 220 millions de la dotation globale de fonctionnement (DGF), et confirmé que les communes nouvelles auront l'assurance de ne pas perdre de DGF, la Première ministre a en effet annoncé une augmentation supplémentaire de la DGF des communes de 100 millions d'euros (bien des seules communes, et non du bloc local, précise Matignon). Soit une hausse totale de 320 millions par rapport à cette année. On retrouve ainsi finalement à peu près le même schéma qu'il y a un an pour le PLF 2023 (on avait alors eu une hausse de 210 millions dans le PLF initial, puis une rallonge de 110 millions). Selon le gouvernement, la DGF des communes augmentera ainsi en 2024 "au même rythme que l’inflation", comme le réclame depuis longtemps l'AMF. Laquelle ne fera peut-être pas tout à fait le même calcul. Et l'on ne sait pas encore vers quelle composante de la DGF ces 100 millions seront fléchés.

A l'Elysée aussi il avait été question de DGF. Elisabeth Borne l'a d'ailleurs relevé. Emmanuel Macron a fait part de son intention de "confier au comité des finances locales un travail de refonte de la DGF" afin d'aboutir à "un système plus juste, plus clair, plus prévisible". "Je pense que le moment est arrivé", a-t-il jugé, prévoyant que cela suscitera "du débat" entre les élus eux-mêmes. On se souviendra toutefois que le chef de l'Etat avait déjà pris "l'engagement" de lancer une telle réforme devant les maires réunis dans la même configuration… en novembre 2018 (voir notre article de 2018).

Elisabeth Borne a par ailleurs fait savoir qu'elle répondait favorablement à une demande de l'AMF en prévoyant que l'amortisseur électricité sera bien maintenu en 2024 pour les collectivités. La prolongation de cet amortisseur figure dans le PLF mais le texte issu de l'Assemblée prévoit que le champ des clients éligibles sera établi par voie réglementaire.

Enfin, la cheffe du gouvernement a annoncé que la réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR), ou plus précisément la fusion de trois zonages actuels en un zonage unique, "France Ruralités Revitalisation", également inscrit dans le PLF, va faire l'objet d'une évolution face aux craintes de certains territoires ruraux de "perdre le bénéfice de ce dispositif". Cette évolution permettra d'y faire entrer 4.000 communes de plus. Soit un total de 17.600 communes au lieu d'environ 13.400 en l'état actuel du PLF. "Nous y parviendrons en assouplissant le critère de revenu", a-t-elle indiqué ("jusque-là, étaient incluses les communes allant jusqu’au 35e centile de revenu par habitant, cela sera étendu aux communes allant jusqu’à la médiane", précise-t-on à Matignon). Des amendements gouvernementaux au PLF ont déjà été déposés en ce sens au Sénat. La situation spécifique des communes de montagne devrait également être mieux prise en compte et "aucune entreprise ne perdra les droits acquis à ces exonérations fiscales, sur toute la période prévue initialement", a assuré Elisabeth Borne.

Clarifier les financements

Au-delà de ces mesures, les revendications des maires, largement rappelées durant ce congrès, en termes d'autonomie financière et fiscale, n'auront en revanche pas trouvé d'écho immédiat auprès de l'exécutif, du moins pour le court terme. L'AMF en a fait l'un des piliers de sa résolution : "réécriture du principe de compensation et définition des ressources propres", "instauration d’une contribution territoriale universelle" (le matin même, le ministre Thomas Cazenave avait lui-même reconnu qu'un lien fiscal local reposant uniquement sur les propriétaires n'était "pas satisfaisant" et imposait une "réflexion" – voir notre article), "instauration d’un pacte financier sur la durée de la législature"…

Elisabeth Borne a toutefois souligné que les travaux de la mission Woerth sur la décentralisation auront bien aussi un volet financier. Il s'agira de "proposer une voie pour vous donner plus de prévisibilité sur vos moyens". Emmanuel Macron lie lui aussi les dimensions institutionnelle et financière : "Il faut reclarifier les responsabilités, derrière lesquelles on met des compétences, et des financements avec une vraie autonomie financière, c’est-à-dire des financements qui ont une bonne dynamique". Le mandat donné à Eric Woerth : "la clarification du mandat démocratique et les financements", a résumé le président de la République. La question fiscale n'a pas été mentionnée.

Sur le sujet clef de la relance de la décentralisation, que l'AMF comme les autres associations d'élus ayant tenu leurs congrès au cours de l'automne présente plus que jamais comme un impératif, la résolution générale estime qu'il "n’est pas besoin d’inventer des dispositifs alambiqués, ni d’attendre les conclusions d’une énième mission". David Lisnard a redit à Elisabeth Borne ce qu'il avait énoncé mardi lors de la séance d'ouverture : selon lui, il faut remettre au cœur de l'action publique les principes de libre administration des collectivités et de subsidiarité, "remettre de la démocratie locale là où règne la bureaucratie", "oser la liberté pour les collectivités mais aussi pour l'Etat", "transférer le pouvoir réglementaire aux collectivités", "se libérer de toutes ces autorisations préalables"…

Renforcer le préfet de département

Le président de l'AMF a trouvé en cela un écho et un soutien auprès des présidents de Départements de France et de Régions de France, conviés sur le podium au titre de Territoires unis, la bannière commune aux trois associations, qui s'était peu exposée en tant que telle ces derniers temps. Carole Delga a par exemple elle aussi insisté sur la nécessité de "stopper la production de normes", François Sauvadet disant entre autres se méfier d'une décentralisation qui serait en réalité "calquée sur une vision étatique" et mettant l'accent sur "une priorité, celle de l'Etat central".

Elisabeth Borne a assez largement abordé le sujet, avec un constat plutôt sévère sur la situation actuelle : "projets entravés par des procédures trop lourdes", "normes nationales qui imposent trop souvent les moyens à employer plutôt que les objectifs à atteindre" et "ignorent les spécificités locales", "une trop grande complexité et des délais trop longs"…  Elle ne se dit pas opposée à la proposition du Sénat "d’instaurer des conférences départementales de dialogue entre les élus locaux et les préfets". Elle entend, plus globalement, miser sur le fameux "couple maire-préfet" paré de toutes les vertus depuis la crise sanitaire et faire du préfet le "représentant unique" de l'Etat et de ses agences dans le département. Autant d'éléments qui collent de près aux demandes de l'AMF.

Emmanuel Macron affirme lui aussi vouloir "redonner beaucoup plus de place à la déconcentration". Il décrit "des préfets de département mis face à des services régionaux qui ont gonflé et des agences nationales qui passent au-dessus" et veut au contraire "un seul chef de tous les services de l'Etat" à l'échelle départementale.

"Nous savons travailler ensemble"

En revanche, la vision élyséenne de ce que devra être la prochaine étape de la décentralisation semble d'écarter quelque peu de ce qu'expriment les associations d'élus. "On est au bout d'un système. Notre système de décentralisation a dilué les responsabilités, personne ne sait clairement qui fait quoi. Le partage des compétences, ça ne marche pas", a affirmé le chef de l'Etat devant les maires. Il faut selon lui également "sortir des cofinancements".

"Sur le terrain, nous savons travailler ensemble. Dans ma région, je défends l'échelon communal et travaille avec les treize départements", a réagi Carole Delga. "Chaque strate a son rôle à jouer", a ajouté François Sauvadet. Et celui-ci de s'offusquer du fait qu'Emmanuel Macron ait semblé réduire les départements à leur compétence sociale. "Les droits de mutation, ça n'a rien à voir avec la dépense que portent les départements, qui sont les dépenses sociales", avait en effet lancé le chef de l'Etat. "Non, nous ne sommes pas qu'en charge du social !", s'est exclamé le président de Départements de France, citant le très haut débit, les routes, les aides aux communes… et prévenant : "Si on touche aux DMTO, il faudra qu'on se rebelle. Les DMTO, c'est aussi une forme de solidarité entre l'urbain et le rural".

David Lisnard a pour sa part réagi à l'idée d'Emmanuel Macron de donner la possibilité aux collectivités de "déroger" : "Avoir un vrai pouvoir d'action, ce n'est pas déroger à la loi après que la loi a été complexifiée…". La résolution le réaffirme aussi : "Face à l’inflation normative, le pouvoir de dérogation est un pansement sur une jambe de bois. Nous ne quémandons pas à être par exception autorisés à agir, nous exigeons le respect du principe constitutionnel de libre administration".

"Enormité technocratique"

Pour l'heure on le sait, le seul projet concret en termes de décentralisation est celui de la politique du logement, sur lequel Elisabeth Borne s'était d'ailleurs exprimée la semaine dernière à Dunkerque (voir notre article du 16 novembre). Alors que l'AMF semble craindre que le rôle des communes ne soit effacé au profit des intercommunalités, la cheffe du gouvernement a insisté sur le fait que dans le cadre des concertations devant débuter "dès la semaine prochaine" autour du ministre Patrick Vergriete pour déterminer à quel niveau doivent s'exercer les compétences, elle entend bien "donner de nouveaux leviers" aux maires en matière notamment "d'encadrement des meublés de tourisme, de maîtrise du foncier ou d'attribution de logements sociaux". "Les maires sont très sensibles à cette question de l'attribution de logements sociaux, il y aura donc une attention particulière là-dessus", explique Matignon.

Parmi les sujets sensibles du moment… Elisabeth Borne ne pouvait guère éluder celui du ZAN (voir notre article de ce jour sur les séquences ZAN du congrès). Elle a confirmé que les textes d'application de la "loi d'assouplissement" votée cet été seront publiés "dans les prochains jours" et que les préfets seront chargés de présenter "cette nouvelle manière de mettre en oeuvre nos objectifs de sobriété foncière". Se disant consciente que "tout n'est pas réglé", elle a estimé qu'il faudra encore travailler sur "le modèle économique de la sobriété foncière" et sur la fiscalité afférente aux nouvelles exigences. David Lisnard avait peu avant qualifié le ZAN d'"énormité technocratique", la résolution générale du congrès y voyant même "l'illustration la plus frappante" du fait que "la nécessaire transition écologique" serait "devenue un prétexte commode pour justifier le retour d’une tutelle de l’Etat sur les collectivités".

 

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