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Congrès des maires - Les élus pris dans l’écheveau de leur responsabilité pénale

La complexité législative de la prise illégale d’intérêt effraie les maires qui y ont été confrontés, même si une minorité d’entre eux sont conscients des risques encourus. La loi 3DS apporte une réelle clarification, mais juristes et élus sont tombés d’accord, lors du débat organisé ce 24 novembre durant le 104e Congrès des maires, pour reconnaître qu’elle doit être complétée et précisée par la jurisprudence. En attendant, cartographie des risques et recours au déontologue sont vivement conseillés. 

Dans leur très grande majorité, les élus considèrent qu’ils ne peuvent pas être touchés par un conflit d’intérêt au sens pris par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : c’est sur ce constat étonnant, tiré d’un récent sondage, que Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne) et vice-président de l’AMF, a lancé les débats du forum destiné à "clarifier la responsabilité pénale des élus pour leur permettre d’agir en toute sécurité", organisé jeudi 24 novembre dans le cadre du 104e Congrès des maires.

Pourtant, les affaires se multiplient et les élus tardent à regagner la confiance de leurs concitoyens. À tel point que les maires, qui arrivent toujours largement en tête au palmarès des élus préférés des Français, sont tellement excédés par cette ritournelle du "tous pourris" qu’ils sont 55% à ne pas vouloir se représenter en 2026, selon un sondage réalisé par l’Ifop qui a suscité beaucoup de commentaires durant le congrès.

L’élu doit bénéficier d’une "présomption d’honnêteté"

Guy Geoffroy veut remettre les pendules à l’heure en affirmant résolument "que si le maire doit être plus qu’exemplaire, il doit aussi bénéficier d’une présomption d’honnêteté". Tâche ardue, même si le législateur s’efforce depuis la loi de 2013 de rassurer les administrés. Sébastien Ellie, secrétaire général adjoint de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), a précisé que l’institution devait "jouer le rôle de tiers de confiance entre les élus et les citoyens", rappelant au passage que la récente loi 3DS permettait de sécuriser les élus en clarifiant les zones de risques, désormais circonscrits à trois types de décision : les marchés, les subventions et les délibérations désignant les représentants de la collectivité dans un organisme extérieur.

Les élus pointent néanmoins les incohérences de textes qui obligent les conseils à une gymnastique permanente. Yann Guével, adjoint au maire de Brest et vice-président de Brest Métropole, résume d’une formule les difficultés entraînées par le déport des conseillers départementaux, suivi de leur sortie de l’assemblée délibérante, quand la collectivité traite de sujets concernant la commune où ils sont élus : "Les conseils ne sont plus des conseils, ce sont des vaudevilles où l’on sort et l’on rentre sans arrêt." 

Mais le théâtre de genre peut aussi se muer en funeste mascarade quand l’élu n’applique pas strico sensu la loi, pourtant sans intention de la contourner ni de s’enrichir personnellement. À Plougastel-Daoulas, commune de 13.000 habitants appartenant à la métropole brestoise, le maire et deux de ses adjoints ont été condamnés l’an passé pour prise illégale d’intérêt parce que leur commune avait voté une subvention à une association sportive dont ils étaient membres. Alors qu’ils s’étaient abstenus de prendre part au vote, respectant la règle du déport, on leur reprochait de n’avoir pas quitté la salle du conseil. "Vous vous rendez compte que l’adjoint aux sports a dû verser une amende de 4.500 euros, ce qui doit représenter quatre fois son indemnité mensuelle d’élu", s’indigne Yann Guével.

Doter systématiquement la commune d’un code de conduite

Le représentant de la HATVP rappelle une affaire récente de même nature où le Conseil d’État a annulé une délibération parce que le maire, qui s’était pourtant déporté, était resté dans la salle du conseil, "bras croisés, assis sur son siège, à fusiller tout le monde du regard pendant le débat, faisant en sorte d’influencer la décision".

Si l’objet – louable – de la loi est de redonner confiance aux citoyens, ne faudrait-il pas se préoccuper aussi de redonner confiance aux élus ? Des méthodes existent, et elles passent, pour les plus grandes des collectivités ou pour les associations départementales des maires, par la création de postes de déontologues, mesure qui doit être précisée par un décret d’application de la loi 3DS dont on attend la parution "avant la fin de l’année". 

Olivier Renucci, chef du département du conseil aux acteurs publics à l’Agence française anticorruption (AFA), préconise quant à lui de doter systématiquement la commune d’un code de conduite "pour éviter les six infractions pénales d’atteinte à la probité". Il faut, énumère le fonctionnaire, que le document "rappelle les règles légales qui s’imposent aux élus, mais aussi les obligations déclaratives en matière d’intérêt et de situation patrimoniale, tout comme les sanctions prévues par le code pénal au manquement du devoir de probité (articles 432.10 et 432.16)".

On va y trouver également "la liste des bonnes pratiques à adopter dans les situations à risque, avec la description très précise des comportements à éviter et une analyse de la cartographie des risques". Selon une enquête statistique menée par l’AFA durant l’été 2021, 13,6% des communes possèdent déjà un code de conduite, chiffre en progrès par rapport à la précédente enquête mais encore largement insuffisant.

Le conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur a pris conscience de l’évolution de la loi en recrutant dès janvier 2016 Catherine Husson-Trochain, ancienne première présidente de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, comme déontologue. L’une des premières missions confiées à l’ancienne magistrate a été de rédiger un code de déontologie qu’elle a fait voter et annexer au règlement intérieur de l’assemblée régionale. En outre, elle demande à chaque élu "de faire une cartographie personnelle de ses risques, en s’appuyant sur sa déclaration à la HATVP", et en la doublant avec une seconde cartographie, liée à l’exercice du mandat. 

Catherine Husson-Trochain a également fixé des règles concernant les cadeaux reçus par les élus : "Tout ceux d’une valeur supérieure à 150 euros sont interdits. Et la liste précise de ceux d’un montant inférieur doit être remise à la collectivité chaque année."

Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de tous leurs efforts, les maires et leurs adjoints, surtout des plus petites communes, s’avouent démunis devant la complexité des textes. La loi 3DS fournit bien sûr des avancées, mais on attend que tous les décrets d’application soient parus et que la jurisprudence vienne consolider l’appareil législatif.

Le gouvernement se dit conscient du problème. En clôture du congrès le 24 novembre, Elisabeth Borne a ainsi déclaré au sujet de ces "difficultés d’application liées à la nouvelle définition de la prise illégale d’intérêt" : "Des situations ubuesques sont nées d’un déficit de clarté. J’ai voulu, avec l’AMF, favoriser une lecture commune, pour que la loi soit claire et applicable pour tous. Ce travail mené par le ministère de la Justice et le ministère en charge de la Cohésion des territoires devra aboutir rapidement."