Congrès des maires – Politique du logement : "Tout le modèle territorial est à bout de souffle"

Lors du Congrès des maires le 23 novembre, des élus ont exprimé leurs inquiétudes concernant la crise du logement, appelant à l'élaboration de nouveaux outils, adaptés aux différentes situations des territoires.

En France, le constat est implacable : tous les territoires sont confrontés à une crise du logement accrue. "Le découplage des prix et des revenus entraîne une financiarisation du logement problématique. Le modèle économique de la production de logement de ces 20 dernières années est obsolète", exposait en propos inaugural Alexandre Coulondre, chercheur associé au Lab’Urba de l'université Gustave-Eiffel. Conséquence : dans les territoires sous tension, l'accession à la propriété est devenue presque impossible pour les ménages, les prix des locations s’envolent et de plus en plus d’administrés se retrouvent confrontés à des conditions de logement indignes, voire à la rue. Si certains élus appellent à une construction rapide de logements, d’autres pointent la question de l’étalement urbain et la permanence d’un modèle non durable qui alimente cette crise.

"Tout le modèle territorial est à bout de souffle. Nous avons fait une ville qui s’est construite sur du pétrole pas cher depuis 70 ans et ce modèle est en crise, a relevé Patrice Vergriete, ministre délégué au Logement et toujours président de la communauté urbaine de Dunkerque. Nous devons aujourd’hui prendre en compte le vieillissement de la population, la distance domicile-travail, ne pas concentrer les plus pauvres... On ne peut plus utiliser les outils qui ont boosté la production de logement ces dernières années car ils ne sont plus en phase avec ce que souhaite la population ni avec les enjeux environnementaux."

Choc d'offre ?

Si le constat général d’un changement de modèle fait l’unanimité parmi les élus, le passage d’une politique de choc d’offre qui consistait à "construire plus, vite et moins cher", à une loi Climat et Résilience, en 2022, bien plus contraignante, fait diverger les avis. "Le choc d’offre est un mythe, qui n'a eu que peu d’effets au regard de l’histoire immobilière du pays, tranche le chercheur Alexandre Coulondre. Ce n’est pas tant la quantité que la nature de ce qu’on produit comme logement qui compte."
Un point qu’Isabelle Le Callennec, maire de Vitré et secrétaire adjointe de l’AMF, nuance : "Le modèle a vécu mais nous avons encore besoin aujourd’hui de construire à destination des gens qui viennent travailler dans nos entreprises. Il faut loger les gens. Nous avons encore besoin d'un choc d’offre sur certains territoires."

Donner de la latitude aux maires

Le fond de la divergence provient de la verticalité des objectifs. De nombreux élus regrettent que le ZAN, autrement dit l'objectif de diviser par deux le rythme d'artificialisation d’ici à 2030, soit appliqué de façon unique à l'ensemble des communes françaises sans prendre en compte les spécificités des territoires (sur ce sujet, voir aussi notre article sur les séquences ZAN du congrès). "La loi laisse peu de manoeuvre aux maires en leur laissant peu d’espace pour construire, il faut plus de latitude pour s’adapter aux particularismes locaux !", a exposé Bénédicte Thiébaut, maire de Roiglise et présidente de l'Association des maires de la Somme.

"La diversité des situations, entre l'Île-de-France et la province, nécessite en effet de la responsabilité politique, abonde le ministre. Par exemple, le recyclage urbain coûte cher – plus que d’aller requalifier des parcelles agricoles. Se pose donc la question de la régulation. Il s’agit de donner la possibilité aux maires de faire de la préemption, de bénéficier de dérogation, de réguler les locations vacancières ou les logements vacants sur leur territoire." Le même jour en clôture du congrès, Élisabeth Borne devait elle aussi évoquer le sujet, chargeant Patrick Vergriete, dans le cadre des concertations devant débuter "dès la semaine prochaine" en vue du futur projet de loi de décentralisation de la politique du logement, de "donner de nouveaux leviers" aux maires en matière notamment d'encadrement des meublés de tourisme, de maîtrise du foncier ou d'attribution de logements sociaux" (voir notre article).

Au-delà de la question de la régulation se pose en filigrane celle des moyens de financement alloués, comme l’expose Karine Traval-Michelet, maire de Colomiers (Haute-Garonne) et vice-présidente déléguée au logement de Toulouse Métropole : "Il faut construire du logement mais la loi bloque nos capacités à en produire. Nous n’avons plus de taxe d’habitation, nous sommes privés de ressources. Derrière la vision de long terme, nous avons donc besoin de politiques court-termistes dynamiques. Il faut bien que quelqu'un paye pour ce modèle plus onéreux."

Face aux besoins urgents de certains territoires, la Première ministre avait annoncé le 16 novembre (voir notre article) un nouveau plan de rachat de logements aux promoteurs par les bailleurs sociaux et le déblocage d'une enveloppe de 500 millions d'euros destiné à développer de l'habitat à un rythme accéléré sur des sites en tension ou concernés par des implantations d'usines. "Cela permettra de simplifier des normes et d’accorder d'éventuelles dérogations au droit de l'urbanisme", a indiqué Patrice Vergriete.

Une boîte à outils en gestation

D’autres outils sont disponibles. L’État a mis en place Action cœur de ville, Petites Villes de demain et soutenu la rénovation thermique des logements. "Des outils qui fonctionnent bien", a souligné Thierry Repentin, maire de Chambéry, président de la communauté d'agglomération de Grand Chambéry et président de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui ajoute : "Il y a des choses qui existent dans notre nouvelle boîte à outils mais ces dernières doivent pouvoir être utilisées différemment en fonction des caractéristiques des territoires."

D’autres dispositifs sont en réflexion ou en cours de déploiement. Un point info logement également organisé au Congrès des maires a permis d'en évoquer quelques-uns. Il y a les contrats mixtes sociaux (CMS) qui permettent à l’État d’accompagner les territoires vers de la mixité sociale. "1.100 communes sont aujourd’hui déficitaires, dans des situations très diverses, souligne Julie Bergeot, directrice de mission nationale d’appui SRU au ministère de la Transition écologique. Ce programme fixe des objectifs triennaux pour aider les communes à se mettre dans le rythme des 20/25% de logements sociaux via des feuilles de route partagées et opérationnelles. Aujourd’hui, plus de 400 communes sont engagées dans ce programme."

Il existe également le bail réel solidaire (BRS), "pas une solution miracle mais un outil intéressant", a relevé Christian Chevet, président de la Coop francilienne. Cet outil de dissociation du foncier et du bâti permet à un office foncier solidaire de conserver le bien et aux ménages de devenir détenteur des droits réels sur celui-ci en jouissant des prérogatives de propriétaires. En somme, un processus anti-spéculatif fondé sur un esprit solidaire (sur le BRS, voir notre article du 19 octobre).

Enfin, des initiatives locales – dans la dynamique territoriale invoquée par les maires – ont vu le jour : Patrick Amico, adjoint chargé de la politique du logement à Marseille, souligne les efforts déployés par la ville pour lutter contre l’habitat indigne. Depuis le drame de la rue d’Aubagne, en 2018, la ville a procédé à la mise en sécurité de plus de 1.300 immeubles en y associant une charte du relogement ambitieuse.

À Biarritz, c’est la dérive des locations saisonnières qui s’est vue taclée par le vote en 2022 de 24 communes d’un principe de compensation qui consiste à transformer en logement un local non-dévolu à l’habitation (bureau, commerce...) afin de neutraliser la perte d’un logement à l’année pour les habitants (voir notre article de mars 2023). Autant de leviers partiels pour tenter de contrer la crise du logement actuelle.

 

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