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Congrès des régions : le dialogue avec l'État piétine

Le congrès de Régions de France, qui s'est tenu ce 30 septembre à Montpellier sous la houlette de Carole Delga, est largement revenu sur le rôle majeur que les collectivités ont eu à jouer pendant la crise sanitaire. Parmi les leçons de cette crise : "Un nouvel équilibre dans le fonctionnement des institutions" s'impose. Intervenant en clôture, Jean Castex a pour sa part plutôt mis en avant les complémentarités État-collectivités, jugeant que l'heure n'est pas à un "grand soir" de la décentralisation. Le Premier ministre s'est par ailleurs dit ouvert à des discussions avec les régions, notamment sur quelques questions d'ordre financier. Régions de France juge toutefois ne pas avoir été entendue.

Premier congrès de la nouvelle mandature des présidents de région, premier congrès pour Carole Delga à la tête de leur association, premier "vrai" congrès post-covid (l'an dernier il s'était déroulé intégralement en visioconférence). Le rendez-vous annuel de Régions de France, organisé ce 30 septembre à Montpellier, sur une seule journée, avait quelques couleurs inédites. Mais aussi un sérieux air de famille avec de précédentes éditions. Des demandes d'approfondissement de la décentralisation, un appel à la "confiance" et à un dialogue renforcé, des ambitions en termes de compétences, notamment sur l'emploi et la formation, une grande vigilance sur les finances… vu de loin, rien de très neuf donc. Sauf que la crise sanitaire a mis en lumière beaucoup de choses, qu'il s'agisse de dysfonctionnements ou d'atouts. Et qu'aujourd'hui, la relance de l'économie change aussi quelque peu la donne. Autre élément de contexte à prendre en compte : les tensions et fragilités sociales que les élus régionaux disent percevoir auprès d'une partie de la population. Enfin, en cette fin de quinquennat, les vœux se déclinent désormais à moyen terme, en tant que propositions à l'attention des futurs candidats à l'élection présidentielle.

Crise sanitaire : "Nous avons fait ce que l'État n'a pas su faire"

Côté bilan, les voix se sont multipliées pour évoquer "l'engagement" des régions et, plus largement, des collectivités, dès le début de la crise sanitaire. "Nous avons su, collectivement, apporter une réponse", a résumé Jean Rottner, le président de la région Grand Est. Il a fallu se montrer plus "agiles" que jamais, "se défaire de la norme", aller à la rescousse de populations dont on avait probablement jusque-là sous-estimé les difficultés (étudiants, Ehpad…), faire en sorte que "la vie continue"… Sans oublier naturellement, pour les régions, le soutien à l'économie qui, a rappelé Jean Rottner, s'est mis en place "très tôt", dès mars. Dans sa région, ce fut le "Business Act".

"Nous avons fait ce que l'État n'a pas su faire" et "avons fait la démonstration de notre efficacité", quitte à sortir parfois du cadre réglementaire, a complété François Baroin, le président de l'Association des maires de France, invité au congrès. Y compris en termes de "logistique". Le maire de Troyes regrettant à ce titre que la gestion de cette dimension logistique de la crise ait été confiée au ministère de la Santé, dont ce n'est pas le métier, et non à l'Intérieur ou aux Armées. Et que l'État ait eu tendance à considérer les collectivités "comme des filiales".

Renaud Muselier, président de la région Paca et ancien président de Régions de France, a apporté à peu près le même éclairage, décrivant un État "hyper rigide" face à des collectivités ayant su s'organiser et prendre l'initiative, depuis les fameuses premières livraisons de masques jusqu'à l'ouverture de vaccinodromes. Tout comme François Sauvadet, le nouveau président de l'Assemblée des départements de France, pour qui la crise a été "le révélateur d'un fonctionnement qui doit être revu en profondeur", marqué par une "verticalité" en vertu de laquelle "le simple partage de la mise en œuvre des décisions" ne va pas de soi.

Sur le terrain économique, la "mobilisation collective" et le "quoi qu'il en coûte" ont "bien fonctionné", juge aujourd'hui Philippe Martin, le président délégué du Medef. Pour qui il est désormais "temps de revenir à des dispositifs beaucoup moins coûteux et plus ciblés" (sur des segments d'activités encore très affaiblis, par exemple dans l'hôtellerie ou l'événementiel). Et le représentant du patronat de vanter "la complicité entre le monde économique et les collectivités", qui représente "un gage d'efficacité". Reconnaissant que cela n'a pas toujours été le cas, Philippe Martin souligne qu'"aujourd'hui, le Medef est clairement décentralisateur" et souhaite "un rôle accru pour les régions", notamment sur la formation et par rapport à Pôle emploi. Un rôle qui va selon lui prendre une dimension nouvelle dans le contexte actuel de "surchauffe" économique et de tensions sur l'emploi. Et qui sera déterminant à l'avenir, à l'approche des profondes transformations, industrielles entre autres, que va générer la transition écologique, avec de potentiels dégâts à anticiper en termes sectoriels et géographiques.

Décentralisation : "que le texte final ne soit pas vidé de sa substance !"

Face à tout cela, "un nouvel équilibre dans le fonctionnement des institutions" s'impose, a tranché Carole Delga en clôture du congrès, en accueillant Jean Castex. Si cela doit passer par la loi ou une réforme de la Constitution, alors cela sera "un sujet pour le prochain quinquennat". François Sauvadet propose d'ailleurs que Territoires unis - la plateforme commune à Régions de France, l'ADF et l'AMF - "travaille dès maintenant à identifier tous les dysfonctionnements constatés" durant la crise afin de "disposer d'une vision partagée". Avec une question de fond : "Quel est le bon échelon pour agir ?" "Nous devons poser ces enjeux dans le débat public, faire en sorte que les candidats à la présidentielle se positionnent", a abondé Renaud Muselier.

Gérard Larcher, le président du Sénat, s'est comme toujours posé en défenseur des "libertés locales" et a dit souhaiter "un nouveau texte de loi relatif aux collectivités, qui s'appuie sur une réforme constitutionnelle". "Il n'y a pas d'autre voie", a-t-il ajouté.

Un texte de loi, il y en a pourtant un sur le métier. Le projet de loi 3DS (ex-4D), examiné et enrichi par le Sénat et maintenant attendu le 6 décembre à l'Assemblée nationale. "Aidez-nous à ce que le texte final ne soit pas vidé de sa substance !", a lancé Carole Delga à l'attention du Premier ministre. À ce titre, plusieurs points de vigilance ont été évoqués par les uns et les autres : la demande d'une coprésidence de l'ARS par le président de région, la possibilité de "reventiler" entre collectivités "les grands outils peu performants de l'État" dans le domaine de l'environnement, une place plus centrale des régions dans le service public de l'emploi, la constitution d'un "comité permanent État-régions", le transfert aux départements de tout le médicosocial et des politiques de prévention santé…

3DS : pas de "grand soir"... mais une loi "utile"

"J'entends cette petite musique sur une gestion centralisée, étatiste, de la crise", a rétorqué Jean Castex aux élus. Son diagnostic est sensiblement différent. Lui parle d'un État "à l'écoute des territoires", salue "l'implication sans faille" des collectivités mais "aux côtés de l'État", évoque une "œuvre collective"… et pour le Premier ministre, "la santé demeure pour l'essentiel une responsabilité de l'État". Tout comme "la gestion de crise". "Décentraliser la santé, la régionaliser, est une idée comme une autre"… qu'il serait "irresponsable" de mettre en œuvre à l'heure où l'épidémie est encore là, juge-t-il.

Et le projet de loi 3DS dans tout ça ? Jean Castex affirme y "croire beaucoup" mais reconnaît que "ce n'est pas le grand soir". Là encore : "Ce n'est pas dans la tempête que l'on change les règles." Ce sera une loi "utile", assure-t-il toutefois. Avec quelques petites ouvertures possibles. Ainsi, sur le terrain de la santé, le chef du gouvernement n'exclut pas de donner aux régions la possibilité de "recruter du personnel soignant dans le cadre d'un GIP pour les mettre à disposition des centres de santé gérés par les communes et les départements". Et assure que les régions "sont les bienvenues pour accompagner le volet investissement du Ségur", que ce soit pour les établissements de santé ou les Ehpad.

Au-delà du D de décentralisation, le Premier ministre a invité les élus régionaux à s'intéresser tout autant aux autres volets du texte : la différenciation, la déconcentration… et la simplification. "Faites-moi passer toutes vos propositions pour simplifier encore."

Finances : péréquation, mobilités...

À la veille du début de l'examen parlementaire du projet de loi de finances pour 2022, Régions de France, par la voix de Carole Delga, avait aussi des attentes précises en termes de ressources. Dont la proposition d'une rénovation de la péréquation entre régions. Également visé : le coup de rabot de 50 millions d'euros dont les régions risquent de faire les frais via une diminution des variables d'ajustement. Ceci tout en rappelant, rapport de la Cour des comptes à l'appui, que c'est l'échelon régional qui, parmi les collectivités, aurait payé le plus lourd tribut à la crise.

Jean Castex a reconnu que les collectivités "ont partagé une petite partie du fardeau de la crise" (4 milliards)… mais incomparable avec celle que l'État a assumée (92 milliards). Il a en outre insisté sur le fait que pour établir la compensation de la suppression des impôts de production par une part de TVA, les régions ont bénéficié d'une "année de référence très favorable". Et a indiqué que pour l'an prochain, afin de "neutraliser toutes les conséquences" de cette suppression des impôts de production, l'État compensera la baisse des frais de gestion perçus au titre du financement de la formation professionnelle. S'agissant de la péréquation, après "une première pierre" posée dans la précédente loi de finances, le Premier ministre a accepté d'examiner les propositions de Régions de France afin de "nous accorder sur un dispositif" qui pourra être introduit par amendement dans le PLF.

Il prévoit par ailleurs de "mener un travail sur les pertes tarifaires en matière de transport". Et, transports toujours, il a rebondi sur la demande des régions de disposer d'un volet mobilité au sein des contrats de plan État-régions (CPER) : "Je souhaite que, région par région, nous listions les projets prioritaires au titre de la mobilité qui pourraient faire l'objet soit d'avenants dans le contrat de plan, soit d'accords spécifiques."

Enfin, on saura que le futur plan d'investissement "France 2030", qui doit en quelque sorte venir prolonger le plan de relance, associera bien les régions. Leurs représentants seront d'ailleurs reçus à ce sujet la semaine prochaine par Bruno Le Maire.

Ces ouvertures et réassurances – auxquelles s'ajoutent le volet emploi et formation, voir notre article de ce jour – n'ont visiblement pas suffi à convaincre Régions de France qui, dans un communiqué sévère diffusé à l'issue du congrès, considère avoir entendu "le portrait idyllique d’un État apportant seul les réponses à tous les problèmes du pays" et une ode à une "République de la centralité". "C’est très regrettable et ça ne peut pas être masqué par une annulation partielle de baisses de dotations qui ne visent que les régions, ni par un réabondement des financements sur la formation des demandeurs d’emploi. Le partenariat que nous appelons de nos vœux reste au point mort", tranche l'association, dont la présidente "va réunir dans les prochains jours un conseil des régions extraordinaire pour tirer les conséquences de cette prise de position". L'"espoir" suscité par l'accord de partenariat signé il y a exactement un an avec le gouvernement a clairement faibli.

 

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