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Transports - Continuité du service dans les transports : un rapport sénatorial plaide pour un renforcement du dialogue social

Le Sénat vient de publier un rapport sur l'application de la loi du 21 août 2007 qui avait pour objectif d'assurer la continuité du service public de transport en cas de perturbations prévisibles du trafic, notamment pendant les grèves. Rédigé par deux élus de sensibilités politiques différentes, Isabelle Pasquet et Marc Laménie, le rapport montre que si, formellement, la loi a été plutôt bien appliquée et que les voyageurs sont désormais mieux informés, son impact sur le nombre de mouvements sociaux demeure difficile à établir. Dès lors, il juge nécessaire de renforcer le dialogue social dans les entreprises de transport, y compris en dehors des conflits, pour mieux répondre aux exigences de la loi. Il plaide également pour une plus grande implication des autorités organisatrices de transport et des services de l'Eat dans la mise en oeuvre et le suivi de la loi.

Renforcer le dialogue social dans les transports serait le meilleur service à rendre aux usagers : tel est le principal message du rapport d'information sur l'application de la loi du 21 août 2007 sur la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs réalisé par deux sénateurs de sensibilités politiques différentes, Isabelle Pasquet (groupe communiste, républicain et citoyen, Bouches-du Rhône) et Marc Laménie (UMP, Ardennes). Présenté le 17 octobre devant la commission pour le contrôle de l'application des lois du Sénat, le rapport est le fruit de six mois de travail au cours desquels les sénateurs ont procédé à vingt auditions et réalisé deux déplacements pour tenter d'établir un bilan objectif d'une loi qui, six ans après son adoption, reste encore contestée par la plupart des organisations syndicales.
Pour rappel, cette loi s'applique au transport ferroviaire, au transport urbain et au transport interurbain (transport scolaire compris) et concerne donc des entités de nature très diverses – les deux grands opérateurs publics que sont la SNCF et la RATP, de grandes entreprises privées de taille internationale comme Transdev et Keolis qui exploitent dans le cadre de délégations de service public les réseaux urbains de province, et une multitude de PME intervenant dans le transport interurbain par autocar. Pour assurer la continuité du service en cas de perturbations prévisibles du trafic - pendant les grèves, notamment -, le dispositif retenu repose sur quatre piliers : la mise en place par accord dans les entreprises ou, à défaut, dans les branches, d'un mécanisme de prévention des conflits qui rend obligatoire la négociation pendant huit jours avant le dépôt d'un préavis de grève, sur le modèle de l'alarme sociale qui existe à la RATP depuis 1996 ; la définition de dessertes prioritaires et l'élaboration d'un plan de transport adapté (PTA) et d'un plan d'information des usagers (PIU) à mettre en œuvre en cas de perturbation prévisible ; l'obligation, pour les salariés indispensables à l'exécution du PTA et mentionnés dans un accord ou plan de prévisibilité, de déclarer à leur employeur 48 heures à l'avance leur intention de faire grève ; l'amélioration des droits et de l'information des usagers.
"Visant à développer la prévention des conflits sociaux par la négociation préalable, à améliorer la prévisibilité du service en cas de perturbation et à renforcer l'information donnée aux usagers, [la loi] a surtout profondément modifié les relations sociales dans les entreprises de transport, notent les deux sénateurs. L'équilibre fragile qu'elle a établi en cherchant à concilier les deux principes à valeur constitutionnelle que sont le droit de grève et la continuité du service public, n'a pas abouti à l'instauration d'un service minimum. Tel n'était d'ailleurs pas son objet. Toutefois, c'est aujourd'hui ce qu'en retiennent la majorité de nos concitoyens et parfois même certains responsables politiques". Les rapporteurs se sont donc efforcés de dissiper ces idées reçues et à mettre en lumière les apports et les insuffisances du texte.

Une loi "correctement appliquée"

Tout d'abord, d'un strict point de vue formel, ils estiment que la loi a été "correctement appliquée". Elle ne requérait qu'un seul décret d'application pour définir le contenu de la négociation préalable au dépôt d'un préavis de grève en l'absence d'accord d'entreprise ou de branche et ce décret a été pris dans le temps imparti, le 24 janvier 2008. Les deux rapports au Parlement ont été également remis, même si le deuxième l'a été avec deux ans de retard. Les nouveaux outils du dialogue social ont bien été mis en oeuvre dans le secteur du transport urbain, avec la signature d'un accord de branche entre l'Union des transports publics (UTP) et les organisations syndicales représentatives le 3 décembre 2007. "Il a instauré un observatoire paritaire de la négociation collective et du dialogue social dont les études et statistiques se sont révélées précieuses", a souligné Marc Laménie lors de la présentation du rapport devant la commission pour le contrôle de l'application des lois.
"Malheureusement, 20% seulement des entreprises interrogées par l'UTP déclarent avoir signé un accord de prévisibilité, la plupart ayant préféré recourir à un plan unilatéral, a-t-il poursuivi. La RATP et la SNCF ont, quant à elles, adapté leurs mécanismes de prévention des conflits, auparavant facultatifs, à la loi. Aucun accord de branche n'a été signé dans le transport interurbain." Quant au processus d'élaboration des PTA et PIU des entreprises de transport, il semble désormais "quasiment arrivé à son terme, plus tard cependant qu'à la date prévue, qui était le 1er janvier 2008", a relevé le sénateur des Ardennes. Si la très grande majorité des autorités organisatrices de transport (AOT) ont accepté la mission nouvelle que leur a confiée la loi – définir les dessertes prioritaires à assurer en cas de perturbation et approuver le PTA et le PIU proposés par l'opérateur de transport -, certaines collectivités ont cependant refusé "pour des raisons politiques ou parce qu'elles estimaient avoir déjà pris des mesures similaires, a indiqué Marc Laménie. Selon l'UTP, au moins quinze autorités organisatrices de transport urbain n'avaient toujours pas défini de dessertes prioritaires en 2012 tandis que 23% des réseaux interrogés n'avaient pas adopté de PTA. C'est également le cas d'un certain nombre de régions, en charge des TER. Comme l'a prévu la loi, le préfet s'est alors substitué à l'AOT, après une mise en demeure, ce qui n'est pas satisfaisant".

Nombreux griefs de la part des syndicats et des employeurs

Les salariés et les organisations syndicales représentatives se sont pour leur part "majoritairement conformés aux conditions nouvelles d'exercice du droit de grève issues de la loi" et celle-ci n'a donné lieu qu'à un contentieux limité, a relevé le sénateur des Ardennes. Il n'en reste pas moins que les acteurs concernés ont fait part aux rapporteurs de leurs nombreux griefs à l'égard du texte. Du côté des syndicats, on met en exergue la faiblesse du dialogue social, des négociations préalables de pure forme qui aboutissent le plus souvent à un constat de désaccord, l'absence, dans certaines entreprises de transport urbain, de procédure formalisée de recueil des déclarations préalables d'intention de faire grève, la transformation du droit de grève en affaire de spécialistes, avec le risque d'une judiciarisation croissante des relations de travail. Côté employeurs, on reproche à la loi de ne pas traiter différemment les grèves répondant à un mot d'ordre national, qui ne peut pas être satisfait par l'entreprise. "Certains estiment que l'alarme sociale est dévoyée, voire banalisée, au détriment des institutions représentatives du personnel, a noté Marc Laménie. Enfin, ils regrettent que la Cour de cassation ait reconnu la légalité des préavis de grève à durée déterminée de longue durée et des grèves récurrentes de très courte durée – moins d'une heure – qui auraient des effets disproportionnés en termes de désorganisation du trafic et de l'entreprise."
"Surtout, il n'existe pas d'éléments irréfutables permettant d'établir un lien de causalité entre l'évolution de la conflictualité dans le secteur des transports et la mise en œuvre de cette loi. Celle-ci n'apporte pas de réponse à la principale cause des perturbations prévisibles du trafic en particulier ferroviaire : les problèmes liés aux infrastructures et au matériel. Les mouvements sociaux, quant à eux, n'en représentent qu'une faible part", soulignent les rapporteurs.

Approfondir le dialogue social et responsabiliser les AOT

Leurs recommandations visent donc "à mieux appliquer la loi". Plutôt que l'ajout de nouvelles contraintes à l'exercice du droit de grève, ils préconisent un "approfondissement du dialogue social", insuffisamment développé en dehors des situations de conflit. "Les institutions représentatives du personnel doivent être mieux associées à la définition du PTA et du PIU. La période de négociation préalable doit être mise à profit par toutes les parties pour éviter le conflit (…). Le dialogue social doit être une démarche permanente et non l'ultime recours lorsque le conflit devient inévitable, sous la menace d'un préavis de grève. Les litiges individuels doivent pouvoir être résolus par d'autres biais que l'alarme sociale, a détaillé Isabelle Pasquet devant la commission le 17 octobre. Surtout, il faut revenir à l'équilibre de 2007 en supprimant les modifications apportées en 2012 par la loi "Diard", qui oblige les salariés ayant l'intention de faire grève d'informer leur employeur 24 heures à l'avance s'ils y renoncent ou, pour ceux qui étaient en grève, s'ils souhaitent reprendre le travail."
La sénatrice des Bouches-du-Rhône a également mis en avant la nécessité de "responsabiliser les AOT, qui doivent s'investir davantage dans la définition des dessertes prioritaires en cas de perturbation, notamment pour corriger des inégalités territoriales". "Il est également important qu'elles approuvent le PTA et le PIU, quitte à les amender, a-t-elle poursuivi. Elles doivent aussi intégrer dans les conventions d'exploitation conclues avec les entreprises de transport des critères sociaux et environnementaux de qualité de service leur permettant par exemple de garantir des acquis sociaux, en particulier lorsque le recours à la sous-traitance est très répandu." Selon elle, l'article 12 de la loi, qui le prévoit, n'est pas appliqué, hormis par le Syndicat des transports d'Ile-de-France (Stif) dans les contrats signés avec la RATP et la SNCF en 2012 alors que l'Etat, AOT des trains d'équilibre du territoire, ainsi que de nombreuses régions sont en retard sur ce point. "La systématisation des bilans d'exécution des PTA et des PIU doit permettre aux AOT d'évaluer les choix de l'entreprise de transport, d'identifier l'origine de toutes les perturbations et, en cas de grève, de comprendre pourquoi la procédure de prévention des conflits a échoué, a encore avancé la sénatrice. Des outils statistiques harmonisés de suivi des perturbations du trafic et de l'application de la loi devraient être mis en place. De fait, la SNCF ne dispose pas de statistiques consolidées sur les principales causes de perturbations prévisibles du trafic sur son réseau. Une typologie précise et uniforme doit être réalisée à l'échelle nationale."
"Le secteur du transport interurbain, qui a échoué à conclure un accord de branche sur la prévention des conflits et ne dispose d'aucun outil statistique fiable, doit faire un effort particulier, a poursuivi Isabelle Pasquet. Le dialogue social dans la branche doit donc reprendre : à la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) d'assurer le suivi de l'application de la loi." Enfin, a insisté la sénatrice, "il est temps que le gouvernement s'assure de l'application uniforme de la loi sur tout le territoire. Le ministère des Tansports devrait recenser les PTA et PIU pour obtenir un bilan exhaustif. Sur cette base, un travail de sensibilisation des AOT et de partage de leurs initiatives pourrait être entrepris."

 

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