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Commande publique - Contrats de coopération entre entités publiques : difficile d'échapper aux règles européennes de mise en concurrence...

La Cour de justice européenne est revenue, dans deux nouvelles décisions rendues fin juin, sur les conditions cumulatives devant être remplies pour dispenser un contrat de coopération entre entités publiques de l'organisation d'une mise en concurrence. Ces conditions sont d'ailleurs reprises dans les projets de directives Marchés publics et Concessions.

Dans quels cas de figure les contrats conclus entre personnes publiques peuvent-ils échapper aux règles européennes de mise en concurrence ? La première hypothèse concerne les contrats dits "in house", c'est-à-dire ceux conclus par une entité publique avec une personne juridiquement distincte de celle-ci lorsque cette entité exerce un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services et que ladite personne réalise l'essentiel de ses activités avec la ou les entités qui la détiennent. La seconde hypothèse concerne certaines conventions de coopération ou partenariats "public-public" entre entités publiques respectant plusieurs conditions. Définies et précisées par l'arrêt de la CJUE Commission contre Allemagne du 9 juin 2009, ces conditions ont récemment fait l'objet d'un rappel par la Cour européenne, dans un arrêt et une ordonnance rendus respectivement le 13 et le 20 juin 2013. La juridiction européenne a par ailleurs précisé que la survenance d'une situation extraordinaire telle qu'une catastrophe naturelle ne permettait pas systématiquement d'échapper aux règles de mise en concurrence. Retour sur ces deux affaires.

Des conditions cumulatives érigées en principe

Des conditions cumulatives avaient été définies pour la première fois dans l'arrêt de la CJCE du 9 juin 2009, Commission contre Allemagne, pour dispenser un contrat de coopération entre personnes publiques de l'organisation d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. Ces conditions sont clairement posées et reprises en tant que principe par l'arrêt et l'ordonnance de juin 2013 : le contrat doit d'abord instaurer une "coopération entre entités publiques dont l'objet est d'assurer la mise en œuvre d'une mission de service public commune". De tels contrats doivent par ailleurs être "conclus exclusivement par des entités publiques, sans la participation d'une partie privée" et "aucun prestataire privé ne doit être placé dans une situation privilégiée, par rapport à ses concurrents". Enfin, "la coopération que ces contrats instaurent doit être uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d'objectifs d'intérêts publics" (point n°37 de l'arrêt du 13 juin 2013, point n°44 de l'ordonnance du 20 juin 2013).

Une mise en application rigoureuse par le juge européen

Rappelant les règles permettant aux conventions de coopération de se soustraire aux règles de la commande publique, la juridiction européenne a jugé dans les deux affaires que plusieurs des conditions faisaient défaut. La première affaire (CJUE, 13 juin 2013, n° C-386/11) concernait un contrat signé, sans mise en concurrence, entre un groupement de communes allemand et une ville qui s'était vue confier la mission de nettoyage de bâtiments situés sur son territoire mais appartenant et utilisés par le groupement, "moyennant une compensation financière". Une société privée, qui était chargée jusqu'alors de cette mission, saisit la justice allemande afin que ce contrat soit qualifié de marché public. La CJUE est alors saisie d'une question préjudicielle : un contrat conclu entre deux collectivités territoriales "par lequel l'une d'entre elles transfère à l'autre une compétence strictement limitée contre remboursement des frais" peut-il être qualifié de marché public ? La cour répond par la positive dès lors que ce contrat n'instaure pas entre les deux entités publiques une coopération pour la mise en œuvre d'une mission de service public commune (la mission d'entretien de bâtiment a été qualifiée d'annexe) et qu'une compensation financière était prévue au contrat, compensation censée correspondre aux coûts engendrés par la mission en cause. En outre, la nouvelle entité à qui était confiée la mission de nettoyage était "autorisée à recourir à des tiers".
La seconde affaire (CJUE, 20 juin 2013, n° C- 352/12) mettait en cause deux communes italiennes qui, ayant été touchées par le séisme survenu dans la ville de L'Aquila le 6 avril 2009, avaient passé des conventions avec des établissements universitaires pour établir un plan de reconstruction pour les parties de leurs territoires endommagées par la catastrophe naturelle. Le Conseil national des ingénieurs italiens conteste ces conventions au motif que ces dernières auraient été passées sans mise en concurrence. Par le biais d'une question préjudicielle, la CJUE a considéré que la condition relative au caractère commun de la mission de service public faisait défaut, rendant ainsi la procédure de passation des contrats litigieux irrégulière.

Une situation extraordinaire n'exempte pas de mise en concurrence

Dans cette affaire du 20 juin 2013, la juridiction européenne précise par ailleurs que même une situation extraordinaire telle qu'un séisme ne justifie pas l'absence de mise en concurrence. Pour déroger aux règles de la commande publique, trois conditions cumulatives sont posées par l'article 31 de la directive 2004/18 du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. "L'existence, outre d'un évènement imprévisible, d'une urgence impérieuse incompatible avec les délais exigés par d'autres procédures et d'un lien de causalité entre l'évènement imprévisible et l'urgence impérieuse" doivent être rapportés pour s'y soustraire, précise la CJUE. En l'occurrence, ces critères ne sont pas remplis, selon la juridiction européenne.

L'Apasp

Références : CJUE, 13 juin 2013, n° C-386/11 ; CJUE, 20 juin 2013, n° C- 352/12 ; directive 2004/18 du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services. 

Des conditions reprises par les projets de directives européens...
Les conditions jurisprudentielles dégagées par le juge communautaire pour exempter les contrats de coopération entre entités publiques des règles de la commande publique sont reprises par les projets de directives européens marchés publics et concessions sous la forme suivante : "Un accord conclu entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus n'est pas réputé être un marché public au sens de l'article 2, point 6), de la présente directive, dès lors que toutes les conditions suivantes sont réunies :
(a) l'accord établit une véritable coopération entre les pouvoirs adjudicateurs
participants qui vise à mener de concert leurs missions de service public et prévoit des droits et des obligations mutuels pour les parties ;
(b) l'accord n'est guidé que par l'intérêt public ;
(c) les pouvoirs adjudicateurs participants ne réalisent pas, sur le marché libre, plus de 10% de leurs activités pertinentes dans le cadre de l'accord, en termes
de chiffre d'affaires ;
(d) l'accord ne prévoit aucun transfert financier entre les pouvoirs adjudicateurs
participants autre que ceux correspondant au remboursement du coût effectif
des travaux, des services ou des fournitures ;
(e) les pouvoirs adjudicateurs participants ne font l'objet d'aucune participation
privée" (article 11§4 du projet de directive Marchés publics et article 15§4 du projet de directive Concessions).
Le seuil de 10% a été relevé à 20% au cours des négociations politiques en juin 2013 entre le Conseil, le Parlement et la Commission européenne sur les projets de directives.
 

 

 

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