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Contrôle des travaux dans les logements : Elan a devancé la condamnation de la CEDH

La Cour européenne des droits de l'homme vient de condamner la France pour l'article L.461-1 du code de l'urbanisme autorisant les fonctionnaires et autres agents de contrôle à "visiter les lieux accueillant ou susceptibles d’accueillir des constructions, aménagements, installations et travaux soumis aux dispositions du présent code". La CEDH juge qu'il s'agit d'une ingérence excessive et d'une atteinte à la vie privée. Désormais, deux nouveaux articles, issus de la loi Elan, encadrent davantage ce droit de visite, afin de concilier contrôles administratifs et respect de la vie privée.

Les juridictions semblent se montrer de plus en plus sourcilleuses sur le respect du domicile et sur l'encadrement des contrôles administratifs susceptibles de s'y dérouler. Il y a trois mois, le Conseil constitutionnel censurait ainsi le sixième alinéa de l'article L.651-6 du code de la construction et de l'habitation, qui donnait des pouvoirs très étendus aux agents assermentés des services municipaux de logement, dont celui de "visiter les locaux à usage d'habitation situés dans le territoire relevant du service" pratiquement sans restrictions, afin de lutter notamment contre les locations touristiques illégales sur les plateformes de type Airbnb (voir notre article ci-dessous du 8 avril 2019). Quelques semaines plus tard, la Cour européenne des droits de l'homme (CDEH) condamne la France en raison des dispositions prévues par l'article L.461-1 du code de l'urbanisme.

Des infractions, oui, mais qui ne peuvent être constatées n'importe comment

Cet article prévoyait que "le préfet et l'autorité compétente mentionnée aux articles L.422-1 à L.422-3 [le préfet, le maire ou le président de l'EPCI, ndlr] ou ses délégués, ainsi que les fonctionnaires et les agents commissionnés à cet effet par le ministre chargé de l'urbanisme et assermentés, peuvent visiter les constructions en cours, procéder aux vérifications qu'ils jugent utiles et se faire communiquer tous documents techniques se rapportant à la réalisation des bâtiments, en particulier ceux relatifs à l'accessibilité aux personnes handicapées quel que soit le type de handicap. Ce droit de visite et de communication peut aussi être exercé après l'achèvement des travaux pendant trois ans". Cette disposition concerne tous les types de locaux, donc y compris les locaux d'habitation.

Le pouvoir très large ainsi conféré aux autorités concernées n'a pas manqué de faire réagir la CDEH, saisie par un ressortissant britannique qui contestait la visite effectuée par les agents de l'urbanisme le 19 mars 2009. Après avoir obtenu un permis de construire de la mairie de Grasse en 2006, M. Simon Halabi avait fait construire une maison individuelle de 300 m2 de surface, puis avait obtenu des permis pour une piscine, un local technique, une serre et un escalier extérieur. Mais, le 19 mars 2009, deux agents habilités du service de l'urbanisme de la ville de Grasse effectuaient une visite sur place – sur le fondement de l'article L.461-1 – et dressaient un procès-verbal constatant notamment la construction en cours d'une salle de gymnastique, comportant douches, salle de massage, sauna et hammam, d'une surface de 150 m2 (en lieu et place de la serre) et la construction en cours de deux logements supplémentaires avec diverses annexes, à la place du local technique annoncé. Selon les explications du gouvernement français, "les agents assermentés pénétrèrent dans les lieux par les portes d'accès aux bâtiments qui étaient ouvertes et le personnel de l'entreprise de travaux présent sur les lieux ne s'opposa pas à leur entrée".

Si l'infraction au code de l'urbanisme ne fait aucun doute – et a donné lieu à une mise en examen et à une amende de 5.000 euros – l'intéressé faisait valoir que l'intervention des agents de la ville de Grasse avait violé son droit au respect de son domicile, tel que prévu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Des arguments rejetés en France jusqu'à la Cour de cassation, qui refusa de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, en estimant que l'administration n'avait "exercé aucune coercition".

Une ingérence non "proportionnée aux buts légitimes recherchés"

La position de la CDEH est très différente. Elle considère certes que "l'ingérence dans le domicile du requérant visait à vérifier la conformité des travaux aux autorisations délivrées et à rechercher l'existence d'éventuelles infractions au code de l'urbanisme" et, par conséquent, "que l'ingérence poursuivait les objectifs de 'prévention des infractions pénales', de 'protection de la santé', et de 'protection des droits et libertés d'autrui', lesquels constituent des buts légitimes au sens de l'article 8 § 2 de la Convention".

Mais la CDEH rappelle aussi que "la Cour a déjà eu l'occasion de souligner que, si les États peuvent estimer nécessaire de recourir à de telles mesures pour établir la preuve matérielle des délits et en poursuivre le cas échéant les auteurs, il faut que leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties suffisantes contre les abus". Or, en l'espèce, "la Cour constate que les visites prévues par l'article L.461-1 peuvent être effectuées dans un domicile, à tout moment et hors la présence d'un officier de police judiciaire, sans que soit explicitement mentionnée la nécessité de l'accord de l'occupant, et sans avoir été préalablement autorisée par un juge".

Dans ces conditions, "la Cour considère dès lors que, faute d'accord de l'occupant ou à défaut d'une autorisation judiciaire, et a fortiori en l'absence d'une voie de recours effective, la visite effectuée le 19 mars 2009 en matière d'urbanisme ne saurait passer comme proportionnée aux buts légitimes recherchés. Il s'en suit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention".

La loi Elan offre les garanties attendues

Volonté délibérée ou non d'anticiper une éventuelle condamnation, l'article 77 de la loi Elan (portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique) du 23 novembre 2018 a modifié la rédaction de l'article L.461-1 du code de l'urbanisme. La nouvelle rédaction prévoit que les autorités et services concernés "peuvent visiter les lieux accueillant ou susceptibles d'accueillir des constructions, aménagements, installations et travaux soumis aux dispositions du présent code afin de vérifier que ces dispositions sont respectées et se faire communiquer tous documents se rapportant à la réalisation de ces opérations". La principale différence, assez limitée, vient du fait que la nouvelle rédaction précise la finalité de ces visites, ce qui limite le côté discrétionnaire.

Mais loi Elan a surtout introduit deux articles nouveaux dans le code de l'urbanisme (L.461-2 et L.461-3), prévoyant notamment que "les domiciles et les locaux comportant des parties à usage d'habitation ne peuvent cependant être visités qu'en présence de leur occupant et avec son assentiment". De même, "le droit de visite et de communication dans les lieux mentionnés à l'article L.461-1 s'exerce entre 6 heures et 21 heures et, en dehors de ces heures, lorsque ces lieux sont ouverts au public".

Pour sa part, l'article L.461-3 précise notamment que "lorsque l'accès à un domicile ou à un local comprenant des parties à usage d'habitation est refusé ou que la personne ayant qualité pour autoriser l'accès à un tel domicile ou à un tel local ne peut être atteinte, les visites peuvent être autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux ou les locaux à visiter". Ce même article prévoit aussi, entre autres, que "la visite s'effectue sous l'autorité et le contrôle du juge des libertés et de la détention qui l'a autorisée" et qu'elle se déroule en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant. Autant de garanties qui répondent aux réserves de la CDEH. En revanche, la loi Elan étend au passage de trois ans à six ans la durée après l'achèvement des travaux durant laquelle peut s'exercer le droit de visite et de communication.

Références : Cour européenne des droits de l'homme, cinquième section, arrêt n°66554/14 du 16 mai 2019, Halabi c/ France.