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Vie politique - Cumul des mandats, parrainages... les propositions-chocs du rapport Jospin

La Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique a remis ce 9 novembre son rapport au chef de l'Etat. Pour parvenir à un "renouveau démocratique", elle juge nécessaire de bousculer des règles et des pratiques établies de longue date. Elle plaide pour un régime strict de non-cumul des mandats. Elle propose aussi un nouveau système de parrainages pour la présidentielle reposant sur les citoyens et non plus sur les élus locaux... Et une réforme profonde du Sénat.

La Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par l'ancien Premier ministre Lionel Jospin a remis le 9 novembre au président de la République ses 35 propositions pour "un renouveau démocratique".
Par le passé, les rapports sur la modernisation de la vie publique, nombreux, ont connu des fortunes diverses. Mais ce rapport "ne restera pas lettre morte", a promis François Hollande. Le thème figure il est vrai parmi ses soixante engagements de campagne. Dans un communiqué, l'Elysée a fait savoir que les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que les chefs de partis politiques représentés au Parlement, seront consultés "dans les semaines qui viennent". Le chef de l'Etat veut aller vite : les projets de textes seront déposés au Parlement "au début de l'année 2013". L'un d'eux sera de nature constitutionnelle. Ce qui veut dire que le président de la République espère, à ce jour, réunir la majorité des trois cinquièmes des députés et des sénateurs. Mais avant son élection, François Hollande avait déclaré qu'il organiserait un référendum s'il ne parvenait pas à trouver le consensus suffisant chez les parlementaires.
Au cours de son entretien avec Lionel Jospin, le chef de l'Etat aurait qualifié certaines propositions de "téméraires". Composée de quatorze personnalités - parmi lesquelles des universitaires, des hauts fonctionnaires et l'ancienne ministre Roselyne Bachelot-Narquin -, la commission les qualifie de globalement "ambitieuses".
La lettre de mission du président de la République, signée le 16 juillet dernier, demandait de : définir les conditions d'un meilleur déroulement de l'élection présidentielle ; se pencher sur le calendrier des élections législatives qui suivent l'élection présidentielle ; considérer "s'il y a lieu" de faire évoluer le statut juridictionnel du président de la République et de supprimer la Cour de justice de la République. La modification des modes de scrutin des élections législatives et sénatoriales, la restriction du cumul des mandats nationaux et locaux, ainsi que la question de la prévention des conflits d'intérêts figuraient aussi au menu des travaux de la commission. Celle-ci s'est bornée à répondre à la commande qui lui était faite sans, donc, se prononcer sur l'équilibre général des institutions.

Député ou maire, pas les deux

De tous les sujets, la limitation du cumul des mandats est le plus sensible. Le comité de réflexion présidé en 2007 par Edouard Balladur avait préconisé de renforcer la législation mise en place en 2000. Nicolas Sarkozy avait rapidement enterré l'idée. La proposition ressurgit aujourd'hui. La commission Jospin lui donne une importance capitale en l'érigeant en "pierre de touche de toute politique de rénovation de la vie publique".
D'abord, elle recommande d'inscrire dans la Constitution l'incompatibilité des fonctions de membre du gouvernement avec tout mandat local. Ensuite, elle préconise de "limiter strictement" le cumul des mandats des parlementaires. Cela signifie qu'un député ou un sénateur ne pourrait plus, en même temps, exercer des fonctions exécutives locales, y compris dans un établissement public de coopération intercommunale ou dans un syndicat intercommunal (ce qui inclut les fonctions de vice-président de conseil général ou régional, d'adjoint au maire ou de vice-président d'un EPCI). Pour la commission, les "fonctions dérivées", mêmes non exécutives ("membre des assemblées délibérantes des établissements publics de coopération", membre des conseils d'administration ou de surveillance d'établissements publics locaux ou de sociétés d'économie mixte locales…), seraient concernées. Un député ou un sénateur pourrait, en revanche, conserver un mandat de simple conseiller dans une assemblée locale. Mais dans ce cas, il ne percevrait, au titre de ce mandat, aucune rémunération. De cette manière, les parlementaires pourraient "conserver un ancrage politique local", une dimension que les partisans du cumul estiment essentielle à l'exercice des fonctions parlementaires.
Pour la commission, les parlementaires d'un côté, les élus locaux de l'autre, doivent se consacrer pleinement à leurs fonctions respectives, lesquelles ont de surcroît été renforcées au cours des dernières années. Par ailleurs, considère-t-elle, le non-cumul favorisera le renouvellement du personnel politique et améliorera la représentation des femmes, des Français issus de l'immigration ou de milieux populaires.
Ces dispositions entreraient en vigueur à compter des prochaines élections locales, soit en 2014 pour le scrutin municipal et en 2015 pour les élections départementales et régionales. La réforme devrait s'accompagner rapidement de la mise en place d'un "véritable statut de l'élu", souligne la commission.

Non-cumul : les élus des petites communes aussi

Les quatorze "sages" fixent donc au gouvernement et au chef de l'Etat un cap très difficile à tenir. 340 des 577 députés et 202 des 348 sénateurs exercent des fonctions exécutives dans les collectivités territoriales. Dans le propre camp du chef de l'Etat, nombreux sont les élus qui rechignent. Y compris de grands élus, comme le sénateur-maire et président du Grand Lyon, Gérard Collomb, ou le président du groupe socialiste au Sénat, François Rebsamen (qui est aussi le patron de la ville et de la communauté du Grand Dijon). Ce dernier a demandé d'exempter le Sénat de la règle du non-cumul, au motif qu'il s'agit d'une assemblée élue par des élus territoriaux et représentant les territoires de la République. La proposition n'a pas trouvé d'écho chez les membres de la commission. Ceux-ci ont souhaité que la règle soit la même pour tous les parlementaires et pour toutes les collectivités territoriales, quelle que soit leur taille. "Tout ce qui permet une différenciation offre un prétexte", a expliqué Lionel Jospin ce 9 novembre au cours d'une conférence de presse. "La simplicité de la règle, le fait qu'elle s'applique à tous, l'égalité devant la loi en quelque sorte, est sans doute la meilleure garantie." Cette position rassurera l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF). Laquelle a pointé que toute dérogation au non-cumul en faveur des petites communes conduirait à leur surreprésentation dans les deux assemblées.
Le renforcement du non-cumul vise à faire en sorte que l'exercice des responsabilités politiques soit "exemplaire". Pour la commission, cette mesure doit s'accompagner de la mise en place d'une "stratégie globale de prévention des conflits d'intérêts" à même, selon elle, de changer en profondeur les comportements de la vie publique. Cette stratégie repose notamment sur l'amélioration de l'efficacité de la Commission de déontologie de la fonction publique qui se prononce sur le départ des agents publics dans le privé. Sont également prévues l'obligation de déclaration d'intérêts pour les parlementaires et la mise en place d'une autorité de déontologie de la vie publique chargée de mettre en oeuvre les nouvelles obligations légales et d'encourager le développement des bonnes pratiques. La création de cette nouvelle institution était déjà préconisée dans le rapport qu'a remis, en janvier 2011, la commission de réflexion sur les conflits d'intérêts présidée par le vice-président du Conseil d'Etat, Jean-Marc Sauvé. La proposition de donner la possibilité à tout citoyen ayant été témoin de cas de conflits d'intérêts de saisir cette autorité, ou un déontologue, est plus innovante.

Parrainages des citoyens

L'autre gros morceau du rapport porte sur la rénovation de la représentation politique. Pour ce qui est de l'élection présidentielle, la commission propose de remplacer le système des parrainages par les maires, que plusieurs candidats à l'élection ont fortement contesté début 2012, par un parrainage par les citoyens. La commission reproche notamment au système actuel de confier principalement aux responsables des collectivités territoriales les moins peuplées le soin de sélectionner les candidats. "57% des élus habilités à parrainer un candidat sont des maires de communes de moins de 1.000 habitants", critique la commission. Pour elle, le parrainage par les citoyens est "plus légitime". Pour prétendre à l'élection, les candidats devraient obtenir au moins 150.000 signatures de citoyens (ceux-ci resteraient anonymes) émanant d'au moins 50 départements. L'organisation du scrutin présidentiel serait, lui aussi, révisée. Afin qu'aucun résultat ne soit communiqué avant la fermeture des bureaux de vote, comme ce fut le cas en 2012, les bureaux devraient fermer à 20 heures dans toutes les communes, y compris les plus petites, estime la commission. Toujours s'agissant de l'organisation des élections, elle suggère d'avancer dans l'année la tenue de l'élection présidentielle et des élections législatives.
Afin de rendre le Parlement "plus représentatif", la commission suggère d'introduire une dose de proportionnelle pour l'élection des députés. Mais celle-ci ne dépasserait pas 10% (soit 58 députés). Chaque électeur disposerait de deux voix, l'une pour le scrutin majoritaire actuellement en vigueur, l'autre pour le scrutin proportionnel, les deux votes étant indépendants.
Une réforme plus profonde encore serait appliquée au Sénat. La composition du corps électoral serait revue. Les députés en seraient exclus, tandis que les intercommunalités y accéderaient lorsque celles-ci seraient élues au suffrage universel direct. Surtout, les départements et les régions seraient mieux représentés (avec 30% du corps électoral grâce à une pondération de leurs voix, contre 4% aujourd'hui). Les villes de plus de 10.000 habitants auraient aussi une place plus grande. Par ailleurs, le recours à la proportionnelle qui est déjà effectif dans 30 départements serait étendu à 25 nouveaux départements. "Le rééquilibrage que nous proposons est modéré, ce n'est pas un basculement. Les communes de petite et moyenne taille resteront largement représentées", a assuré Lionel Jospin en présentant ces recommandations. L'opposition au Sénat a critiqué ce retour de la réforme de la Haute Assemblée qu'avait préparée, en 2000, l'ancien Premier ministre. "Obsédé par le Sénat, Lionel Jospin propose un tour de bonneteau électoral pour empêcher l'alternance en 2014", a dénoncé Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP.

 

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