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Congrès des maires - Décentralisation : les maires appellent à renouer avec l'esprit des lois "Mauroy-Defferre"

Après des années de recul de la décentralisation, les maires et présidents d'intercommunalité ont appelé à retrouver "l'élan" des réformes des années 1980, qui ont permis l'émancipation des collectivités territoriales à l'égard de l'Etat. Ils ont exhorté ce dernier à un dialogue réel avec les élus locaux.

Il faut "revenir à une décentralisation" qui soit "vécue pas seulement comme une organisation administrative", mais "comme un projet de société", a plaidé Philippe Laurent, secrétaire général de l'AMF et auteur en 2009 d'un essai dans lequel il appelait à "en finir avec les idées reçues" sur ce sujet. Sans ce mode d'organisation des pouvoirs, "aucun pays développé ne peut s'en sortir", a-t-il jugé. En ajoutant que tourner le dos à la décentralisation mènerait "droit dans le mur".
La décentralisation a jusque-là permis un transfert de la gestion de certaines compétences, mais non des décisions, a analysé de son côté Géraldine Chavrier, professeur de droit public à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. "Pratiquement, pour l'État, les collectivités territoriales sont considérées comme des subordonnées", a-t-elle dit. La révision constitutionnelle de 2003 a constitué une tentative pour "changer les choses". "On reconnaissait le fait local, il s'imposait aussi à l'État". On devait passer d'une "décentralisation octroyée" à une "décentralisation concertée". Mais, "immédiatement, l'élan est tombé". Par la loi organique de 2004, Bercy a "flingué le principe d'autonomie financière" qui avait été introduit un an plus tôt dans la Constitution, a-t-elle jugé. "Et depuis, tout s'est aggravé". "À partir de 2010", année du vote de la loi de réforme des collectivités territoriales, "ce n'est plus de la décentralisation, c'est de la réforme de l'État, avec des jeux de mécano institutionnel", a estimé la juriste. 

Décentraliser : la haute fonction publique y serait très rétive 

Lié à la "crise des finances publiques", "le basculement a eu lieu au milieu des années 2000", avait déclaré un peu plus tôt Philippe Laurent. Pour le maire de Sceaux, "on a essayé de mettre à la charge des collectivités territoriales les difficultés du pays". Une attitude encouragée, selon lui, par la "méfiance" que les hauts fonctionnaires de l'Etat nourrissent à l'égard des élus et fonctionnaires territoriaux.
Les contrats sur les dépenses de fonctionnement des grandes collectivités territoriales sont les dernières manifestations du mouvement de recentralisation, a estimé André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF. Des contrats que celui-ci continue de qualifier de "léonins" et porteurs d'une "nationalisation de l'impôt". Le pouvoir central "écoute" les élus locaux, mais il ne prend pas en considération leurs demandes et propositions, ont par ailleurs regretté Martine Vassal, présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône et de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, de même que Carole Delga, présidente de la région Occitanie.
Pour autant, "sur le terrain, le couple État-région fonctionne bien", a jugé l'ancienne secrétaire d'État chargée du commerce. S'agissant des relations entre les services déconcentrés de l'État et les communes et les intercommunalités, Nathalie Le Yondre, maire d’Audenge (Gironde), a fait part d'un tout autre son de cloche. Dans la vie quotidienne, celles-ci sont "compliquées", a témoigné l'élue. L'État fait preuve de "jugements d'opportunité sur un certain nombre d'éléments", par exemple "en matière d'urbanisme et d'environnement". "On fait fi du projet municipal", ou "de ce qui a été adopté dans le PLU [plan local d'urbanisme]", a-t-elle pointé. "Nous avons l'impression que nous ne sommes pas en capacité de décider et de bien choisir pour nos territoires", alors que "nous avons une légitimité démocratique", a-t-elle confié, amère. Échanger avec les services de l'État lui a paru indispensable. Mais ce dialogue n'existe pas, a regretté celle qui est aussi vice-présidente de la communauté d'agglomération du Bassin d'Arcachon Nord. Tout en reconnaissant que les choses sont "compliquées" pour les services de l'État, du fait de leur réorganisation.

Différenciation territoriale : "C'est l'avenir de la gestion publique"

C'est "au maire de décider" de l'opportunité de l'implantation d'un supermarché dans sa commune, a lancé une élue d'une commune de 3.800 habitants, située en Ille-et-Vilaine. La création d'une surface de vente de ce type dans la petite cité a été retoquée par la commission départementale d'aménagement commercial présidée par le préfet. La commune aurait étudié le projet afin qu'il s'insère du mieux possible dans le paysage. Mais, selon l'édile, "Paris a estimé qu'un carré blanc dans la campagne, ce n'est pas joli".
Pour renverser la vapeur, les collectivités territoriales doivent pouvoir passer avec l'État de véritables contrats, ont prôné tant Philippe Laurent que Dominique Schmitt, ancien préfet de région. C'est dans ce cadre que l'État pourrait apporter son soutien aux territoires ruraux en particulier, a plaidé Pierre Jarlier, maire de Saint-Flour. 
Le principe de différenciation territoriale, que le gouvernement a inscrit dans le projet de loi de révision constitutionnelle, présente "beaucoup d'intérêt" pour les collectivités territoriales, a estimé pour sa part Géraldine Chavrier. Selon elle, son application permettrait par exemple d'assouplir les obligations de construction de logement social dans les communes qui disposent de nombreux logements vacants. "C'est l'avenir de la gestion publique", a-t-elle encore déclaré, en jugeant toutefois que les préfets pourraient être réticents à sa mise en œuvre.

"Un tournant pour l'avenir de la décentralisation"

Au nom de la différenciation territoriale qu'il promeut, l'exécutif devrait donner son accord à la création de la commune-communauté, a souhaité le président du Sénat, Gérard Larcher. "Le gouvernement devra surmonter ses propres réticences", a-t-il affirmé en évoquant cette mesure que défend l'AMF et qui figure dans la proposition de loi de la sénatrice Françoise Gatel sur les communes nouvelles. Le Sénat examinera le texte en séance publique le 11 décembre prochain.
La majorité en place y est-elle prête ? Pas sûr. Mais celle-ci affiche sa bonne volonté. Jean-René Cazeneuve, président (LREM) de la délégation de l'Assemblée nationale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, a rappelé l'engagement pris par le président de la République d'engager "un toilettage" de la loi Notr d'août 2015, qui a irrité de nombreux maires. "Tout est sur la table", a assuré le député du Gers. Qui n'a cependant pas voulu se risquer à accepter l'examen à l'Assemblée nationale de la proposition de loi LR votée en juin dernier au Sénat, qui a pour ambition de revenir sur certains points de la loi Notr.
Mais plus encore que la proposition de loi sénatoriale, dont le destin est incertain, le projet de révision constitutionnelle et le projet de loi qui doit venir réformer la fiscalité locale seront déterminants pour "l'avenir de la décentralisation", a insisté François Baroin. Le président de l'AMF a invité les élus à "réfléchir à une phase 3 de la décentralisation" succédant à l'Acte I de 1982-1983 et à l'Acte II de 2003-2004. L'histoire de la décentralisation se poursuit avec des élus "qui ne ferment plus leur bouche", a lancé Géraldine Chavrier. En clair, "la décentralisation a acquis une maturité", a-t-elle conclu.

 

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