Déficits excessifs : la France dans le viseur de Bruxelles
La Commission européenne a ouvert, mercredi 19 juin, une procédure pour "déficits excessifs" à l'encontre de sept États membres dont la France. À l'heure où les candidats rivalisent de promesses, ce retour à la réalité européenne rappelle que, quelle que soit sa couleur, le futur gouvernement sera placé sous étroite surveillance.
Les "pigs". Il n'y a pas si longtemps, on affublait de cet acronyme très dépréciatif les pays européens cumulant les difficultés financières et mis sous pression des marchés financiers. Avec une dette de 5,5% du PIB et un endettement de 110,6% en 2023, la France pourrait allègrement prétendre à ce club peu recommandable. La voilà sous le coup d'une procédure pour déficits excessifs lancée par la Commission ce mercredi 19 juin. Sept pays sont dans ce cas pour avoir dépassé l’an dernier la limite de 3% du produit intérieur brut (PIB) pour les déficits publics et d'un endettement de plus de 60% du PIB, telle que fixée par les nouvelles règles de gouvernance économique entrées en vigueur le 30 avril dernier (les six autres pays sont la Belgique, l'Italie, la Hongrie, Malte, la Pologne et la Slovaquie). Cette règle d'or avait été suspendue en 2020 pour laisser des marges de manœuvre pendant la crise sanitaire. Le réveil n'en est que plus douloureux. Réactivé et remanié, le pacte de stabilité et de croissance prévoit des "agios" à hauteur de 0,1 % du PIB par an, soit environ 2,5 milliards d'euros pour la France. En soi, la mesure n'a rien d'exceptionnel, depuis la création de la zone euro, la France a régulièrement fait l'objet de cette procédure d'où elle était sortie depuis 2017. Et les menaces n'ont jamais été mises à exécution. Seulement le nouveau cadre semble plus persuasif. "Les sanctions sont beaucoup plus réalistes dans le but d'être applicables", commente une source européenne.
Trajectoire de retour à l'équilibre
Ce qui est sûr, c'est que le futur gouvernement sera sous étroite surveillance. En application du nouveau cadre de gouvernance économique, la Commission transmettra dans deux jours aux États membres un guide pour la réalisation de leur "plans fiscaux et structurels de moyen terme" (PFSMT) qu'ils devront remettre avant le 20 septembre. Ces plans doivent comporter une trajectoire de retour à l'équilibre sur quatre ans (avec possibilité d'aller jusqu'à sept ans pour les pays qui ont une dette très élevée, comme la France), mais aussi les réformes et investissements que les États comptent entreprendre. Il est demandé aux États de réduire qu'au moins 0,5% du PIB leur déficit chaque année.
Dans son rapport sur la France publié ce 19 juin dans le cadre du paquet de printemps du Semestre européen, la Commission considère qu'en matière macro-économique, elle a accompli des progrès, ce qui lui vaut de sortir de la procédure dite de "déséquilibre macro-économique". Mais outre les efforts demandés en matière budgétaire, elle émet une série de recommandations comme le fait d'actionner davantage les fonds structurels (Feder et FSE) pour résorber les disparités entre les zones rurales et urbaines ou entre l'outre-mer et la métropole. La révision à mi-parcours de la programmation actuelle prévue pour mars 2025 pourrait être l'occasion de rendre le marché du travail "plus inclusif", notamment pour les migrants. La Commission rappelle également l'existence de la nouvelle plateforme "technologies stratégiques pour l’Europe" (Step) qui permet aux régions d'utiliser jusqu'à 15% de leurs fonds structurels pour renforcer la place de leurs industries dans les nouvelles chaînes de valeur. Elle attache par ailleurs beaucoup d'importance à l'éducation et estime que malgré les efforts consentis en matière de formation, il reste encore beaucoup à faire sur les pénuries de compétences, en particulier dans la transition verte et pour les personnes peu qualifiées. Constatant les mauvais résultats de la France au classement Pisa, elle préconise notamment d'améliorer les conditions de travail et de la formation des enseignants. La Commission pointe par ailleurs le fait que la France ait raté ses objectifs en matière d'énergies renouvelables pour 2020 et qu'elle aura du mal à atteindre ceux de 2030.
Un budget 2025 scruté à la loupe
Toutefois, elle considère que la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables – partie intégrante du plan RepowerEU – "jette les bases d'un déploiement plus rapide des renouvelables", même si certains décrets ne sont toujours pas pris et si les "zones d'accélération" ne sont pas déployées assez vite à son goût. La Commission demande enfin d'améliorer l'environnement des affaires en réduisant la charge administrative (objectif de la loi de simplification suspendue en plein vol par la dissolution)…
Pour être effective, la procédure pour déficits excessifs devra encore être entérinée par les ministres de l'Économie et des Finances le 16 juillet. Si c'était le cas, elle ne serait enclenchée qu'à la fin de l'année. Et les premières sanctions pourraient tomber six mois plus tard. "Il est fort probable que les services français préparent une 'note des autorités françaises' pour faire valoir la situation politique actuelle et demander un délai supplémentaire", tempère un fin connaisseur de ces sujets. Il n'empêche, le projet de loi de finances pour 2025, qui devra être mis en cohérence avec le plan fiscal et structurel de moyen terme, devra bien être transmis à la Commission avant le 15 octobre. Autant dire qu'il sera scruté à la loupe.