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Pouvoirs locaux - Départements : "ne pas tout attendre de l'Etat"

Alors que les départements entendent se positionner comme "acteur majeur des services à la population", leurs marges de manoeuvre financières menacent leur capacité d'intervention, y compris dans le champ social, leur coeur de métier. Le 75e congrès des présidents de conseils généraux en a témoigné.

Les présidents de conseils généraux ouvraient leur 75e congrès le jour même où Bercy présentait son projet de loi de finances pour 2006. Un hasard de calendrier qui a évidemment donné à ces élus, réunis à Valence (Drôme) les 28 et 29 septembre, de nouveaux motifs d'interrogation quant à l'évolution des finances départementales. Leur réaction immédiate a été la même que celle des autres associations d'élus : ils ont mis en cause, d'une part, le choix de l'année 2004 comme année de référence s'agissant du plafonnement de la taxe professionnelle (mesure dont le coût pour l'ensemble des collectivités serait de 469 millions d'euros) et, d'autre part, le fameux "bouclier fiscal" avec reversement par les collectivités du trop-perçu.
"Il n'est pas acceptable que les collectivités deviennent les variables d'ajustement des choix fiscaux décidés par le gouvernement", déclarait jeudi à ce sujet Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), en accueillant en clôture du congrès le ministre délégué aux Collectivités territoriales. Sur le premier point, celui de la TP, Brice Hortefeux a laissé entrevoir une ouverture : "J'ai bien conscience que l'année de référence pose problème. Et j'imagine que les parlementaires sauront le faire valoir. Le débat parlementaire sur le projet de loi de finances doit servir à quelque chose... et peut-être démontrerons nous alors que nous ne sommes pas sourds. Je ne peux guère en dire plus."


Brice Hortefeux entend "renouer le dialogue"

Le ministre délégué a en revanche confirmé - comme l'avait déjà fait mardi Jean-François Copé devant le Comité des finances locales - que la perspective d'une modulation par les départements du taux de la taxe sur les conventions d'assurance (TSCA), que l'ADF continuait à réclamer, "n'aboutira pas". Il a par ailleurs mis l'accent sur "l'effort du gouvernement" s'agissant de la reconduction du contrat de croissance et de solidarité, qui représenterait "un coût supplémentaire pour l'Etat de 1 milliard d'euros". "L'Etat n'applique pas ici les sacrifices qu'il s'impose à lui-même", a souligne Brice Hortefeux.
RMI, transfert des routes et des personnels DDE, handicap, Sdis, modernisation de la fonction publique territoriale, services publics en milieu rural... Autant d'autres sujets rapidement évoqués par le ministre, le plus souvent pour marquer sa volonté de "dialogue renoué" avec les collectivités. Aucune mesure réellement nouvelle n'a été annoncée. Juste quelques rappels ou précisions. Ainsi par exemple, Brice Hortefeux a assuré avoir demandé un assouplissement des délais pour les conventions relatives à la recentralisation sanitaire, ou bien encore avoir donné des instructions aux préfets pour résoudre les tensions continuant d'entourer le transfert d'agents des DDE peu enclins à quitter leur administration.


Ne pas apparaître comme "les pleureuses de la République"

Sur d'autres problèmes, certaines divergences d'appréciation pourraient persister. Sur le RMI par exemple, l'ADF demande que le correctif promis pour combler le différentiel de 2004 soit renouvelé pour 2005, mais aussi que la loi soit révisée afin d'introduire une fois pour toutes un système de modulation de la compensation tenant compte du nombre de Rmistes? "Pas question de quémander chaque année" le financement par l'Etat des dépassements de dépenses RMI, estime Louis de Broissia, porte-parole du groupe des présidents de droite au sein de l'ADF, rejoignant sur ce point Claudy Lebreton pour qui, plus globalement, les collectivités ne doivent pas apparaître comme "les pleureuses de la République".
Claudy Lebreton a tenu à souligner que les conseils généraux n'ont "aucun pouvoir sur la cause essentielle de l?augmentation du nombre de Rmistes, c?est-à-dire la sortie des fichiers des Assedic de tous ceux qui sont en fin de droits". Or de son côté, Brice Hortefeux a tenu à rappeler que le RMI a bien été décentralisé pour plus d'efficacité des actions d'insertion, lançant aux présidents de conseils généraux : "La vraie réponse à ce problème est d'abord entre vos mains." Et le ministre de les enjoindre à innover pour faire baisser le nombre de Rmistes.
Innover, "faire des propositions concrètes", "ne pas tout attendre de l'Etat"? Le président de l'ADF en a fait l'un de ses principaux mots d'ordre. Le renforcement en cours de leurs compétences devrait conforter les départements dans ce sens, en faisant d'eux des "acteurs majeurs des services à la population" : action sociale et insertion, gestion complète des collèges, carte scolaire, routes et transports, services d'incendie et de secours?


Emploi et développement économique aussi

Ainsi, l'intitulé choisi pour ce 75e congrès, "Les départements et les services à la population dans la décentralisation", a permis d'aborder le traditionnel enjeu des services publics tels que ceux de La Poste, notamment en milieu rural? Mais aussi d'évoquer la façon dont les conseils généraux investissent aujourd'hui des pans entiers de services allant parfois bien au-delà de leurs compétences propres. Ou comment le département s'emploie à prendre la relève d'un Etat n'ayant de cesse de "réduire la voilure", tel que l'ont souligné plusieurs élus. Et ceux-là même de s'interroger : est-il normal de voir "des services publics nationaux défaillants être remplacés par ceux assurés par les collectivités locales" ?
L'appétit des départements à intervenir dans des domaines qui ne leur sont pas spécifiquement dévolus (TIC, logement?) s'explique aussi pas un souci de "cohérence". Ainsi, l'un des ateliers thématiques du congrès, consacré aux "politiques départementales pour l'emploi et le développement économique", s'est attaché à témoigner du "lien étroit entre les politiques sociales des départements et leurs interventions en matière de développement économique", à montrer que la compétence "insertion" n'avait guère de sens si elle ne s'articulait pas avec une action forte en matière d'emploi.
Pourtant, l'environnement budgétaire rend leurs marges de manœuvre de plus en plus étroites. "Devons-nous, pouvons nous aller plus loin dans un contexte de contraintes financières fortes ? Des choix sont à faire", a par exemple résumé Michel Teston (Ardèche). Pour certains, la question est même plus radicale : vont-ils être en mesure d'assurer leurs compétences propres ?


Handicap : la grande inconnue

Tel est le cas dans le champ de l'action sociale, leur "cœur de métier", qui prend une nouvelle dimension avec la mise en œuvre de la loi Handicap. Sur ce volet, les élus sont en alerte. Sur 80 décrets attendus, pas un seul n'est encore sorti. Or au 1er janvier 2006, les départements sont censés avoir mis sur pied les maisons départementales des personnes handicapées et donc aussi les GIP et diverses commissions qui en constitueront l'ossature. Face aux multiples questions et problèmes matériels qui se posent (construction juridique, moyens disponibles, locaux, intégration des personnels des Cotorep et des CDES?), les élus demandent qu'un cavalier législatif vienne leur accorder un délai supplémentaire. "Le dispositif ne fonctionnera pas totalement au 1er janvier 2006, on le sait tous", a d'ailleurs reconnu devant eux Jean-François Bauduret, le directeur adjoint de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).
S'agissant de la nouvelle prestation de compensation du handicap (PCH), le manque de visibilité quant aux nombre de bénéficiaires potentiels et quant au rythme de montée en charge a maintes fois été souligné. Selon certaines estimations, la PCH pourra toucher, à terme, 450.000 personnes (contre 99.000 bénéficiaires de l'actuelle ACTP, l'allocation compensatrice pour tierce personne), ce qui représenterait un coût de 1,5 milliard d'euros. Auquel cas les crédits de la CNSA seront très insuffisants. Or s'il est un domaine où les attentes sont fortes, c'est bien celui du handicap. Pierre Jamet, DGS du Rhône et co-auteur du rapport de préfiguration de la CNSA, n'est guère optimiste : "Cela va susciter une vague de mécontentement. Et s'il y a dysfonctionnement, le département, bien qu'il ne soit ici que l'un des partenaires, sera en première ligne."


Claire Mallet

 

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