Des associations demandent "une meilleure protection" des mineurs isolés

Un an après la loi sur la protection de l’enfance du 7 février 2022, 35 associations formulent conjointement des propositions pour garantir un meilleur respect des droits des mineurs non accompagnés. Au même moment, une étude de la Drees apporte des éléments sur les profils et les trajectoires des MNA accueillis en établissement dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.

"Un an après la promulgation de la loi relative à la protection des enfants dite 'loi Taquet', les droits de milliers d’enfants présents sur le territoire français ne sont toujours pas pleinement respectés", dénoncent 35 associations signataires d’un rapport publié le 7 février 2023. Unicef France, le Secours catholique, Médecins du monde, InfoMIE, le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), la Cimade et l’Aadjam (Association d’accès aux droits des jeunes et d’accompagnement vers la majorité) sont les auteurs de ce rapport, soutenu par 28 autres organisations dont le collectif Alerte, l’Uniopss et le Syndicat de la magistrature. Ces associations affirment constater "de graves dysfonctionnements dès les premiers contacts des mineurs isolés avec le dispositif de protection de l’enfance qui peuvent perdurer jusqu’à leur sortie de celui-ci".

Un quart des MNA en établissement dormaient auparavant en centre d’hébergement ou à la rue

Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministères sociaux) paru le 8 février 2023, 28.000 mineurs non accompagnés (MNA) étaient pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) fin 2017. Ce chiffre a fortement diminué en 2020 avec l’épidémie de Covid-19 (- 43%), avant d’augmenter à nouveau mais sans atteindre les niveaux antérieurs à la crise. Ainsi, un peu moins de 20.000 jeunes MNA étaient accueillis par les départements au titre de l’ASE fin 2021, selon le dernier rapport de la mission MNA.

Si la réalité – au moins numérique – des MNA en France n’est donc plus la même depuis 2017, l’étude de la Drees nous renseigne sur les profils de ces jeunes, qui sont "très majoritairement des garçons, nés hors Union européenne, sans reconnaissance administrative d’un handicap par la MDPH" [maison départementale des personnes handicapées]. À partir de l’enquête menée auprès des établissements de la protection de l’enfance, la Drees éclaire également les conditions d’arrivée d’une partie de ces mineurs dans le dispositif, sachant qu’en 2017, 40% des MNA pris en charge étaient accueillis en établissement et que ces mineurs isolés étrangers représentaient un jeune sur cinq accueillis dans ces établissements. "Juste avant leur entrée dans un établissement, un quart des MNA ne bénéficiaient d’aucune mesure de protection de l’ASE (contre un dixième des non-MNA) et un quart dormait en centre d’hébergement, dans un hébergement de fortune, une habitation mobile ou dans la rue (contre 2% des non-MNA)", apprend-on en particulier.  

Non-discrimination, présomption de minorité et application du droit en outre-mer

Appelant à "passer d’une logique de suspicion et de contrôle à celle d’évaluation du danger et de protection, sous l’autorité du juge des enfants", les 35 associations demandent aux départements d’appliquer un "accès inconditionnel à l’accueil provisoire d’urgence" tel que prévu par la loi, et cela "sans délai pour l’ensemble des mineurs se présentant auprès des services de protection de l’enfance". D’autres propositions sont formulées pour renforcer la protection des mineurs isolés : développer des maraudes auprès de jeunes en situation d’errance pour mieux les informer et les orienter, replacer le juge des enfants "au centre de la procédure d’évaluation" et orienter d’abord cette évaluation sociale "sur les facteurs de vulnérabilité et les risques de danger".

Selon les 35 associations, les "principes fondamentaux devant guider la protection des enfants isolés" ont trait à la non-discrimination, la présomption de minorité, le droit à la participation des jeunes et l’application des droits des enfants en outre-mer. Trois "libertés fondamentales" doivent être par ailleurs garanties : le droit à l’éducation, le droit d’asile et l’accès à une couverture médicale et aux soins. Les organisations signataires du plaidoyer jugent notamment que l’exécution par le département de la mesure de placement n’est pas digne lorsque le jeune est hébergé à l’hôtel "ou dans un lieu inadapté à l’accueil de mineurs, avec une prise en charge défaillante (absence de suivi socio-éducatif et sanitaire, défaut de scolarisation, etc.)".

Les MNA davantage logés à l’hôtel, mais un peu plus scolarisés que les non-MNA 

"Dans une large majorité, les mineurs [de 15 à 17 ans] sont hébergés en internat collectif dans l’établissement (60% des MNA, contre 67% des non-MNA), mais 35% des mineurs MNA sont accueillis dans un hébergement éclaté ou individualisé (hors de l’établissement), contre 10% des mineurs non MNA", met effectivement en avant l’étude de la Drees. L’hébergement éclaté ou individualisé hors de l’établissement est défini comme "un ensemble de logements ou de chambres dispersés dans l’habitat social, le logement ordinaire ou à l’hôtel". La Drees ajoute que la diversité des types d’hébergement est plus grande pour les non-MNA accueillis en établissement, 12% de ces derniers étant en particulier "placés à domicile". 

"Entre 15 et 17 ans, les MNA sont un peu plus scolarisés que les non-MNA (89% contre 85%)", indique également l’étude. Les mineurs MNA scolarisés étudient plus souvent dans un centre de formation d’apprentis (CFA, 15% contre 8% pour les mineurs non-MNA) et "suivent plus fréquemment des formations préparant un certificat d’aptitude professionnelle" (CAP, 39% contre 23%). "Entre 18 et 21 ans, les MNA restent fortement et plus largement scolarisés que les non-MNA (86% contre 63%)", est-il aussi mentionné.

Concernant l’accueil des mineurs, les associations appellent également à "limiter les effets néfastes de la répartition nationale", par la recherche du consentement de l’enfant, la prise en compte des liens de ce dernier avec un territoire et la suspension des réorientations vers des "départements défaillants" du point de vue des conditions d’accueil. Quant à la prise en charge des jeunes majeurs, les associations demandent que le cadre juridique, déjà renforcé par la loi Taquet, soit rendu encore "plus contraignant" pour "réduire les inégalités de traitement" entre départements.

  • Les MNA "aussi" doivent pouvoir bénéficier d'un contrat jeune majeur

Qu'advient-il des mineurs non accompagnés (MNA) confiés à l'aide sociale à l'enfance dès lors qu'ils deviennent majeurs ? Ils doivent pouvoir bénéficier d'un contrat jeune majeur (CJM). Et ce, même s'ils font à ce moment-là l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). C'est en tout cas ce qui ressort de trois décisions relativement récentes (novembre et décembre) du juge des référés du Conseil d’État.
Ces référés concernent les départements de l'Essonne, de l'Ariège et de Meurthe-et-Moselle. Il y est rappelé que "les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un département avant leur majorité bénéficient d'un droit à une nouvelle prise en charge par ce service, lorsqu'ils ne disposent pas de ressources ou d'un soutien familial suffisants". C'est le CJM, qui vise à leur apporter "une réponse globale adaptée à [leurs] besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources". Et s'agissant d'un ex-MNA – c'est là l'objet des trois cas –, cela reste valable "sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'autorité préfectorale a refusé [au jeune] le titre de séjour sollicité et lui a fait obligation de quitter le territoire, tant que cette mesure n'a pas fait l'objet d'une exécution spontanée ou forcée". Ainsi, peut-on lire par exemple s'agissant de l'Ariège, "le refus de la prise en charge globale des besoins essentiels du jeune majeur (…) révèle, dans les circonstances de l'espèce, une carence caractérisée dans l'accomplissement par la présidente du conseil départemental de la mission qu'elle tient des dispositions de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles" (qui concerne le CJM).
Départements de France a réagi à cela ce 13 février dans un communiqué. Pour l'association, le fait pour les trois départements de ne pas octroyer le bénéfice de CJM à des MNA devenus majeurs et faisant l'objet d'une OQTF se justifiait pleinement. "La décision du juge des référés est d’autant plus incompréhensible qu’il s’agissait, en l’espèce, de personnes ayant fait l’objet d’une injonction d’expulsion du territoire national et qui ne répondaient, de ce fait, absolument pas aux critères d’un CJM qui suppose un projet d’insertion", dit François Durovray, le président de l'Essonne. Départements de France considère que "le pouvoir d’appréciation de l’octroi ou non d’un contrat jeune majeur doit rester la prérogative des départements, dont les services établissent le projet d’insertion des jeunes majeurs concernés et qu’il ne saurait s’appliquer automatiquement, de surcroît à des personnes en situation irrégulière sous obligation de quitter le territoire".
Les élus départementaux demandent par conséquent aujourd'hui "une clarification législative des conditions d’octroi" des CJM, par exemple dans le cadre du projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration.

   C. Mallet