Des chercheurs montrent la corrélation entre décrochage scolaire et marché du travail

Tous les territoires ne sont pas égaux face au décrochage scolaire de leurs jeunes. Alors qu'on a plutôt tendance à expliquer le phénomène par des déterminismes sociaux (familles défavorisées, niveau de diplôme des parents...), une équipe de chercheurs français, réunis au sein du programme "TEDS" (territoires et décrochage scolaire), tend à montrer que le dynamisme du marché local de l'emploi compte tout autant. Elle révèle également que les jeunes décrocheurs se sentent plus ou moins démunis selon qu'ils habitent un territoire urbain, périurbain ou rural.

Un marché du travail local morose et l'absence de perspectives d'emploi semblent influer négativement sur l'engagement dans la scolarité et sur le taux de décrochage, alors qu'à l'inverse un marché dynamique aurait tendance à en infléchir la courbe. Cette observation compte parmi les effets de contextes les plus importants identifiés dans le cadre d'un projet de recherche, TEDS (territoires et décrochage scolaire), qui s'achèvera à la fin du mois de mars 2018.
Mené sur 42 mois, d'octobre 2014 à avril 2018, par cinq laboratoires sous la houlette du Centre de recherche en éducation de Nantes (CREN), ce projet visait "à rendre compte des variations territoriales du décrochage scolaire en France, afin de déterminer des effets de contexte sur ce phénomène et de mieux comprendre la diversité des parcours et des motifs de décrochage des jeunes".

Plus de chômage = plus de décrochage

"L'absence de perspective par rapport à l'emploi favorise le décrochage", explique le coordinateur du projet, Pierre-Yves Bernard du CREN. "Lorsqu'il y a moins d'emplois et un taux de chômage important, on observe un taux de décrochage supérieur à la moyenne, alors qu'à l'inverse un marché dynamique joue sur l'engagement dans la scolarité, donc l'accrochage". Se fondant sur une enquête réalisée auprès de 3.000 jeunes, les chercheurs ont constaté "l'importance donnée au travail dans le choix d'interrompre leurs études, alors même que l'on sait que trouver un emploi après un décrochage est compliqué". Ainsi, "quand leur était demandé pourquoi ils avaient interrompu leurs études, beaucoup répondaient qu'ils voulaient travailler ou gagner de l'argent", rapportent les chercheurs.

Les "périurbains" plus isolés quand ils décrochent

Cette enquête, menée auprès de jeunes établis en zones urbaines, périurbaines et rurales dans cinq académies, identifie aussi des effets de territoires. Ainsi, ce sont les jeunes des zones périurbaines qui apparaissent les plus démunis face au phénomène, parce que ce sont "les plus isolés, notamment socialement", explique Pierre-Yves Bernard. Ils subissent un double "isolement". D'abord un effet de composition de territoire, car ils ont des origines sociales plus "diffuses", alors que, par exemple, dans les zones défavorisées où les taux de décrochage sont souvent plus élevés existe un phénomène de compensation via une proximité sociale. Les jeunes des territoires périurbains sont aussi plus éloignés de l'offre de remédiation à laquelle ils pourraient prétendre, moins importante et moins diversifiée qu'en territoire urbain. Résultat, constate le chercheur en sciences de l'éducation, "ils restent chez eux, ne font pas les démarches".

Les ruraux ne "déclarent pas forcément une relation conflictuelle avec le système", contrairement aux jeunes urbains

En comparaison, si les jeunes des territoires ruraux sont également démunis face à cette offre de remédiation, ils vivraient moins mal le décrochage que les premiers car "ils n'ont pas la même représentation du décrochage". "Ils vivent celui-ci davantage comme une sortie, un peu illusoire, vers l'emploi, que comme une rupture avec le système, puisqu'ils expriment le désir de travailler, de faire de l'apprentissage, etc.", observe Pierre-Yves Bernard. En outre, ils ne "déclarent pas forcément une relation conflictuelle avec le système, contrairement aux jeunes urbains". Mais chez ces derniers, même si le décrochage est "vécu comme une rupture", "l'offre plus fournie" leur permet "la recherche de voies alternatives à la qualification".
Les résultats complets du projet scientifique seront présentés à l'occasion d'un colloque programmé à Nantes les 30, 31 mai et 1er juin 2018.


ATLAS DES RISQUES SOCIAUX D'ECHEC SCOLAIRE : LES DETERMINANTS SOCIAUX N'EXPLIQUENT PAS TOUT

Un Atlas des risques sociaux d'échec scolaire a été réédité en 2016 (sur des chiffres de 2011) par la Depp (direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance). Ses concepteurs considérent que les territoires qui ont le plus de risques sont ceux qui cumulent fragilités économiques, familiales et culturelles.
La déclinaison par académie montre que la carte du risque de décrochage et la carte du décrochage effectif ne se superposent pas exactement. Par exemple, plusieurs cantons "à risque" de Corse échappent au décrochage massif parce que, expliquent les rédacteurs de l'Atlas, ils garantissaient un emploi "à des niveaux de qualification variés". Dans le même temps, des cantons où les enfants bénéficent de la sécurité économique et du soutien culturel comptent plus de 30% de décrocheurs...
V.L.

 

 

 

Pour aller plus loin

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis