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Des députés veulent réformer les procédures d'urgence pour mieux défendre l'environnement

Pointant les "dysfonctionnements" des procédures d'urgence pouvant être utilisées devant les tribunaux pour les litiges environnementaux, une "mission flash" de la commission des Lois de l'Assemblée nationale recommande de les moderniser, de les harmoniser et de mieux les adapter aux enjeux écologiques et environnementaux. Ces propositions ont déjà pris la forme d'amendements au projet de loi Climat et Résilience. Reste à voir quelle sera la position du gouvernement, qui avait écarté la question dans son projet de loi "justice environnementale".

"Dans le domaine de l’environnement, les dommages causés peuvent être irréparables : il est donc impératif de pouvoir intervenir rapidement en amont, avant toute instance définitive au fond, et c’est pourquoi la question des référés est éminemment importante", expliquent à la commission des Lois de l'Assemblée, ce 10 mars, Naïma Moutchou (LaREM, Val d’Oise) et Cécile Untermaier (Socialistes et apparentés, Saône‑et‑Loire), en présentant les conclusions de leur mission flash sur le "référé spécial environnemental".

Un droit de l'environnement abondant mais manquant d'effectivité

Ce dernier constituait la 2e des 21 recommandations d'un rapport remarqué du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’Inspection générale de la justice (IGJ), intitulé "Une justice pour l’environnement", rédigé à la demande des ministres de la Justice et de la Transition écologique (alors Nicole Belloubet et François de Rugy) en janvier 2019 et publié en octobre de la même année. De manière générale, ses auteurs y relevaient que le "droit de l'environnement, abondant, manque d'effectivité". En particulier, ils dénonçaient, d'une part, l'absence de référé judiciaire environnemental spécial et, d'autre part, l'application "prudente" et l'interprétation "trop restrictive" des dispositifs existants par un juge administratif jugé "peu enclin à ordonner des mesures de remise en état ou de réparation". Et appelaient notamment à une "nécessaire" harmonisation des procédures entre les deux ordres juridictionnels.

Des procédures nombreuses mais inadaptées

Naïma Moutchou et Cécile Untermaier partagent peu ou prou le constat. Elles dénoncent "une pluralité de procédures" – renforcée par la séparation entre les deux ordres juridictionnels – qui "nuit à la bonne compréhension et à l'utilisation de ces outils par les justiciables". Qu'on en juge :

- dans l'ordre administratif, aux référés généraux – d'urgence (référé-liberté, référé-conservatoire et, surtout, référé-suspension, "le plus usité", représentant 250 des 299 référés administratifs portant sur l'environnement répertoriés en première instance en 2020) ou sans condition d'urgence (référé-constat, référé-instruction, référé-provision) – s'ajoutent les référés spécifiques au droit de l'environnement : référé-étude d'impact, référé-enquête publique et référé-évaluation environnementale ;

- dans l'ordre judiciaire, là encore aux côtés de référés généraux (référé d'urgence, référé-conservatoire, référé-provision et référé-instruction) prennent place des référés spécifiques au droit de l'environnement : référé pénal spécial de l'article L. 216-3 du code de l'environnement et celui de l'article L. 415-4.

Pour autant, pour les élues, ces procédures manquent leur cible. Elles ne sont "pas suffisamment rapides", peu compatibles avec "la complexité et la technicité de certains dossiers environnementaux [qui] demandent une instruction approfondie et une analyse spécifique qui prennent du temps", peu adaptées aux enjeux écologiques et environnementaux, quand elles ne sont tout simplement "plus adaptées aux réalités". Fermez le ban.

Améliorer plutôt qu'ajouter

Les députées ne se résolvent toutefois pas à la "création d'un nouvel outil, qui viendrait se superposer aux autres" – sauf à en fusionner… –, qui "ne semble pas la solution la plus efficace". Elles plaident pour "l'amélioration, l'harmonisation et la modernisation" des dispositifs existants ; bref, la réparation législative plutôt que la création compulsive. Concrètement, elles proposent différentes mesures, dont plusieurs font déjà l'objet d'amendements au projet de loi Climat et Résilience actuellement en discussion à l'Assemblée nationale :

revoir le champ du référé-étude d'impact afin de permettre au juge des référés d'ordonner la suspension de cette dernière lorsqu'elle est insuffisante ou incomplète - le juge ne pouvant aujourd'hui le faire qu'en cas d'absence totale d'étude d'impact (voir amendement) ;

faciliter la suspension d'une décision administrative allant à l'encontre des conclusions d'une enquête publique via le référé-enquête publique, en revenant sur la nécessité d'un "doute sérieux" quant à la légalité de la décision, critère jugé "trop restrictif" ;

élargir le champ d'application du référé pénal spécial prévu à l'article L. 216-13 du code de l'environnement - qui permet, dans le cadre de la recherche et de la constatation des infractions, de prendre toutes mesures utiles, y compris la suspension ou l’interdiction de l’activité en cause, en cas de non-respect de certaines prescriptions -, procédure jugée "prometteuse mais trop peu usitée" à l'ensemble des atteintes à l'environnement (voir amendement). On relèvera que cela rejoint peu ou prou l'objectif recherché par les auteurs du rapport précité, la création du référé judiciaire spécial qu'ils préconisaient se faisant "par extension des dispositions des articles L. 261-13 et L. 415-4 du code de l'environnement"… ;

revoir la procédure de ce référé pénal spécial, d'une part en élargissant les possibilités de saisine (ouvertes aujourd'hui au seul procureur), d'autre part en rendant les pôles judiciaires spécialisés en matière d'environnement créés par la loi de décembre dernier compétents, à la place du juge des libertés et de la détention ;

intégrer, dans le référé-conservatoire de l'ordre judiciaire (CPC, art. 835), "la prévention des dommages irréversibles", et non plus seulement celle d'un "dommage imminent", cette notion, comme celle d'urgence, étant "particulièrement difficile à caractériser en matière environnementale" puisque "souvent diffuse et qui ne se traduit pas toujours par une immédiateté du dommage qui peut apparaître de manière différée" (voir amendement) ;

• pour les mêmes raisons, prévoir un assouplissement de la condition d'urgence pour la procédure de référé-suspension de l'ordre administratif (CJA, art. L. 521-1), en précisant "qu'en matière environnementale, l'urgence peut être présumée d'après le caractère grave ou irréversible du dommage ou du risque de dommage" (voir amendement) ;

toujours dans le cadre de ce référé-suspension, prévoir une procédure spécifique permettant une action plus rapide du juge en cas de dommage ou de risque de dommage particulièrement grave ou irréversible à l'environnement, les parlementaires relevant que le délai d'audiencement actuel, "qui peut parfois être de plusieurs semaines", ne permet pas toujours au juge d'intervenir avant l'exécution d'une décision contestée (prenant l'exemple des opérations de défrichement autorisées en vue de la construction d'une zone d'activité) (voir amendement) ;

intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l'environnement dans le champ du référé-liberté (CJA, art. L. 521-2), notamment "le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" (voir amendement) ;

• enfin, engager une réflexion sur la formation et la spécialisation des magistrats en droit de l'environnement.

Hors périmètre de leur communication sur les référés, mais non sans lien, relevons que les deux élues ont également déposé un amendement visant à garantir que les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement, créés par la loi "justice environnementale", seront rapidement opérationnels en étant constitués de juges spécialisés.

Quelle position du gouvernement ?

On relèvera que le gouvernement n'avait pas fait le choix de retenir cette partie du rapport dans son projet de loi "justice environnementale", adopté en décembre dernier – et que l'on viendrait donc déjà modifier –, qui constituait pourtant le véhicule idoine.

De fugaces tentatives avaient bien eu lieu pour intégrer des dispositions lors des débats, comme en témoigne cet amendement, "suggéré par l'association France Nature Environnement" et défendu, déjà, par Cécile Untermaier, visant "à simplifier et rendre opérationnel un régime de contrôle judiciaire environnemental prenant la forme de mesures conservatoires applicables le temps de l'enquête", au motif que "les dispositifs existants sont trop restreints : ils ne couvrent que les infractions en matière d’eau et milieux aquatiques et marins (article L. 216-13) et des seuls établissements de faune sauvage captive (article L. 415-4)"… Mais il avait finalement été retiré, après avis défavorable de… Naïma Moutchou, rapporteure du texte, et du gouvernement. Le garde des Sceaux indiquait alors que ce référé spécial lui paraissait "inutile et susceptible de générer une complexité inopportune", précisant que "nous avons déjà ce qu’il faut dans l’arsenal : outre le référé administratif, un référé existe en matière civile et pénale. On ne voit pas bien ce que pourrait apporter l’amendement".

D'autres dispositions de cette loi de décembre auraient aussi pu montrer la voie. Ainsi de l'ajout opéré à cette occasion au code de procédure pénale permettant, en matière de lutte contre la criminalité et la délinquance organisées, au juge d'instruction de se passer de l'avis préalable du procureur "en cas d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens" (C. proc. pén., art. 706‑95‑13). On relèvera de surcroît que le député Matthieu Orphelin avait même proposé d'étendre ce dispositif précis aux atteintes… "à l'environnement" (amendement rejeté).

Urgence à réformer les procédures d'urgence ?

Les débats souligneront donc s'il y a, pour le gouvernement, urgence ou non à modifier ces procédures d'urgence. S'il ne faut certes pas confondre vitesse et précipitation, l'on observera que la loi "justice environnementale" avait été adoptée selon la procédure accélérée (dite d'urgence…), procédure également engagée pour le projet de loi Climat et Résilience. Une procédure "exceptionnelle" qui tend à devenir la règle.

Dans tous les cas, le droit de l'environnement fait décidément face à une mer particulièrement agitée. Les vagues législatives se succèdent à un rythme effréné (n'oublions pas le projet de loi constitutionnel, également en discussion à l'Assemblée cette semaine, visant à ce que l'article 1er de la Constitution garantisse "la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique", ou la proposition de loi visant à lutter contre le plastique, examinée au Sénat ce 11 mars). Avec le risque qu'elles effacent des textes non plus gravés "dans le marbre de la loi", mais tracés sur le sable. Et de noyer les marins les plus chevronnés. Nul doute que ce droit est plus que jamais "abondant". Restera à juger de son "effectivité".

 

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